Les allers retours. Les sans issue et sans détours.
Ta vie depuis deux ans se résumaient à ne jamais aller au bout des choses que tu entreprenais, quand il s'agissait de suivre ton instinct. Quelque chose se tramait, du côté de Collins et Placide. Tu n'en étais pas persuadée, et pour autant tout ton corps s'épuisait à t'alerter dès que tu passais près d'eux. L'esprit malade et le coeur en souffrance, tu t'efforçais de taire les stimulus négatifs qui s'activaient au moindre de leur silence.

Une idée fixe te guidait à travers les couloirs sombres de la zone du personnel. Elle te murmurait des choses, au coin de l'oreille. Une partie de ton passé était connecté à cet endroit, sans que tu ne puisses le justifier, ni même l'expliquer.
Les pas arpentaient silencieusement les tapis, le souffle en suspens dans l'univers baigné de sérénité.
Mais qu'avais-tu réellement comme indice ? Que cherchais-tu ? L'absurdité de ton enquête se traduisait dans l'absence réel de crime. Le non-sens était dans cette quête de sens.

Tu fis demi-tour, comme à chaque fois.
Tu fuyais dans les escaliers, comme toutes les dernières fois, les dévalant comme pour te forcer à ne plus y retourner, ne pas regretter.

Une fois dehors, une voix t'appela des tréfonds. Une voix grave et caverneuse, tu la reconnaitrais entre mille. Mais ou l'avais-tu déjà entendu, de cette manière ? Elle résonnait dans ton esprit comme les cloches d'une église.
Comme si tu étais déjà morte dans ses bras.

— « Placide. »

Tu lui rendis son appel, de la même tonalité. Tes yeux se plissèrent pour l'inspecter de bas en haut, méfiante. Il en savait trop sur tes agissements et toi aucunement. C'était ça qui était terrible.

— « Euh.. »

Donc il avait remarqué. Soit cet homme t'espionnait, soit tu étais la dernière des idiotes à avoir seulement cru être discrète. La bombe était lâché, et pourtant, tu voulais le pousser à se dévoiler un peu plus.

— « Le bâtiment appartient à tous le personnel, tu le sais. » Tu fronças les sourcils en lâchant une longue inspiration coupable. « Je ne faisais rien. Je ne cherchais rien. »

Tu avanças de quelques pas vers lui, les mains enfoncées dans les poches arrières de ton jean. Ton regard n'était pas effronté mais il le défiait. Tu étais tout de même mal à l'aise en sa présence.

— « Par contre, si tu estimes que je n'ai rien à faire à ton étage. Et qu'en plus tu te déplaces pour m'en faire part. C'est que toi t'as des trucs importants à cacher. »

Ça ce n'était un secret pour personne, tous le monde le savait que Placide et Collins travaillaient ensemble sur des projets que même toi ou les autres professeurs principaux n'avaient le droit de savoir. Ce n'était pas ça qui t'intéressaient, malheureusement.

Il avait joué sur l'évidence pour te désarmer. Et il avait réussi si facilement, car tu n'ayant aucune piste tu ne pouvais du coup pas jouer sur les sous-entendus.
Placide n'était pas du genre à vouloir entretenir des relations inter-collègues, tu l'avais déjà bien compris à ton arrivée ici. Mais le fait qu'il soit venu te chercher cette fois titillait ta curiosité malsaine, remuait les théories qui s'acheminaient déjà dans ta tête. Quelque chose clochait.

— « C'est à toi, d'arrêter de faire semblant Placide. »

Tu tapais du pied contre le béton de la cour, et à ton tour tu croisas les bras sur ta poitrine. S'il voulait que ça soit un jeu de pouvoir, ça le serait. Tu n'avais pas peur de lui, tu étais simplement gênée de ce qu'il semblait pouvoir savoir - et que par extension tu ignorais.
Les cachotteries, c'était bon pour le temps de l'école. Vous étiez adultes.

— « Je t'arrête tout de suite. Je me fiche de savoir ce que tu fous avec Collins. Je... On est tous au courant Placide, de ce que font les élèves dans ta classe. On prend tous sur nous parce qu'on est personne pour s'opposer au gouvernement. »

Ça y était, tu étais excédée. Son excès de confiance te ramenait trop à ta propre personnalité. Et le fait qu'il ait les moyens de pouvoir te jauger et pas toi, ça te plaçait directement dans une position d'inconfort.

— « Tu vas me prendre pour une folle mais je trouve très désagréable avec moi, de un. Et de deux j'ai l'impression que toi en particulier tu me caches des trucs. Je me sens mal dès que je traverse votre couloir. J'ai une sale intuition et d'habitude, elle ne me trompe jamais. Alors s'il te plait, si tu sais quelque chose, crache le morceau. »

Tu avais ouvert ton coeur l'espace d'un instant, devenant vulnérable à ses jugements. Tu avais trouvé cela nécessaire d'en arriver là, comme un sacrifice inévitable. Et pourtant c'est un gout amer qui te restait dans la bouche pendant que tu déglutis. Placide n'avait pas cillé.
Tu te trouvais ridicule soudainement dans tes propos, parce que les siens n'étaient pas à la hauteur de ta bêtise. L'idée de redevenir aussi légère qu'une adolescente terrifiée, ça, ça te terrifiait. Placide aurait toutes les raisons en sa possession pour t'illégitimer. Et tout tes efforts seraient réduits à néant.

Il te conseillait de continuer.
A être aveugle.
A être sourde.
Et surtout muette.
Tes yeux le transpercèrent avec froideur. Tu n'étais plus prête à collaborer Daisy, seulement à prendre ce qui te revenait de droit.

— « Ouai. Ouai c'est moi qui m'invente des problèmes. C'est sûr. »

C'était dit sous le ton du sarcasme, pour réagir avec agacement à ses propos trop évasifs. Tu le savais, au fond de toi. Personne ne pouvait te regarder comme il le faisait et mentir aussi bien face à toi en affirmant qu'il ne savait rien. Mais savoir quoi ? Toujours la même issue dans cette putain d'impasse. Cela n'avait aucun sens.

— « Écoute-moi bien Placide. Si c'est pas à ton étage que je le découvre, ça sera à celui de Collins. Je ne sais pas pourquoi la moitié du corps professoral vous craint - ou du moins j'ai ma petite idée - mais ce n'est pas mon cas. Je serais stupide de te sous-estimer mais ce ne sont pas des avertissements mielleux qui me feront renoncer. »

Parce que ça te tenait trop à coeur. Avait-il seulement des armes face à toi ? Pouvait-il te combattre autrement qu'avec des menaces creuses ?
T'avais la gerbe Daisy, parce que des sentiments cruels remontaient le long du tube digestif. Tu réprimas un hoquet de vomi, décidément de plus en plus mal à l'aise.

— « P'tain. Ça commence à me saouler. Cette conversation n'ira jamais plus loin n'est-ce pas ? »

Le dialogue semblait rompu. Placide n'en dirait pas plus, même si le fait qu'il se soit déplacé jusqu'à toi avait eu la mauvaise aubaine de te donner un peu d'espoir sur d'éventuels révélations. S'il voulait se la jouer muet comme une tombe, tu serais celle qui l'enterrerait.
A n'importe quel prix.

Tu clignas des yeux, un peu agacée par ses réponses succinctes. Placide se laissait aller aux sous-entendus vaporeux et le ton qu'il employait ne te plaisait pas du tout. De quels secrets parlaient-ils ? Ton front commença à suer légèrement, surtout quand il ajouta par la suite que ça parlait dans ton dos. Qui parlait ? Les professeurs, les élèves ? Les deux ?
Tu serras discrètement le poing, désormais inquiète concernant ta relation avec Orion.
Si ça venait à se savoir, c'est ton boulot que tu perdrais, mais surtout ta réputation. Si tu ne voulais pas mettre le président des élèves dans l'embarras, tu avais plus peur pour toi que pour lui. Il quitterait l'académie dans un an tout au plus, et votre relation pourrait s'officialiser dès la remise de son diplôme. Mais avant...

Sur la défensive, tu contre-attaquas.

— « Moi ? Des secrets ? Pfff, n'importe quoi Placide. Tu débloques. » Tu étais une très mauvaise menteuse Daisy, tes yeux partaient dans des directions bizarres et le ton de ta voix partait dans les aigus sans raison. « Hahahaha. Des secrets. C'est toi qui cache des trucs, pas moi ! »

La patience rompue par cette conversation, tu étais tout de même avertie. Si tu ne voulais pas qu'il se mette lui même à vouloir vérifier les sources de ses accusations déguisées, il te faudrait être prudente.
Si dans les faits tu n'avais rien à cacher, le malaise instaurée par ses soupçons te trahissait dans une posture de culpabilité.

— « Et arrête de te la jouer mystérieux, je te jure c'est démodé. »

La dérision était ton seul mécanisme de défense. Tu t'approchas de lui pour lui faire face, et pouvoir parler tout bas sans qu'aucune oreille mal intentionnée ne puisse vous entendre.

— « Je suis désolée si j'ai pu paraitre envahissante. J'ai peut-être et surement tort de m'en faire. Je ne recherche probablement rien. Mais si j'apprends un jour que tu m'as menti je te jure que tu m'entendras de nouveau. »