attendre la fin du cours.

reste assis. quitte pas la classe.

il l’a regardée, mi-blasé mi-dégoûté. l’envie de lui dire qu’il fera bien ce qu’il veut. mais anaël n’a pas zippé son sac quand les copains sont partis. un pied sur le genou, calé dans la chaise à faire tourner son crayon entre le pouce et l’index. yeux dans le vague, yeux qui fixent une craquelure sur le bureau.

voilà ; il attend. daisy. ça te va ? anaël ne comprend pas. rare journée où il ne regardait pas ailleurs, où il ne t’a pas dessiné avec cinq langues de feu, trois verrues sur un grand nez et tes cheveux blonds en épis. rare journée il ne t’a pas demandé si le foulard mauve de sa mère pouvait acheter son silence; t’aime bien le mauve daisy, non ? il aura essayé.

anaël ne comprend pas.
anaël s’en fout.

inhale. exhale. se cale davantage contre la chaise. attendre la fin du calvaire. il a volontairement évité tes regards, tes questions. les éclats sombres qui te disaient t’veux quoi la marshall ? le silence lourd pour te répondre. anaël dans le fond de la classe, là où - durant un autre cours - il a dessiné un jour un vieux winchester et une jeune windsor. blague salace de petite enfant sur les genoux d’un homme douteux.

et alors que tu arrives, anaël, l’envie de saccager encore. anaël, l’envie de balancer les chaises contre le tableau, renverser les tables. recommencer. et cette fois personne pour le protéger. personne pour rendre invisible les dommages. et parce que c’était elle, ce jour-là qui l’a sauvé, anaël l’envie retenue. mâchoire serrée. laëstiel ne voudrait pas.

et alors que tu arrives, le cœur au bord des lèvres. injuste. daisy. tu sais combien c’est injuste. ce n’est pas contre toi qu’il en veut, davantage contre ta position.

et alors que tu arrives, il joue avec son crayon. l’envie soudaine de se l’enfoncer dans l’œil. ça lui donnerait une bonne raison de manquer les cours. manquer l’année.

sucks as fuck.

d’jà on va mettre un truc au clair m’dame. moi c’pas quinn. moi c’est anaël. j’suis l’fils pas l’vieux.

traits tirés. dents serrées derrière les lèvres. mâchoires bloquées, retenir le deuil. anaël lâche son crayon, pose le pied au sol puis fait balancer la chaise. dévisage daisy, mais ce serait mensonge dire qu’il n’y a que provocation dans les yeux. l’envie aussi de dire s’il-vous-plaît, laissez-moi tranquille. pas dormi de la nuit. rien foutu de ma vie.

anaël hausse les épaules. elles retombent, mouvement sec.

cool ? thanks ? wow trop sweet j’ai pas d’cours demain. yeah.

monotonie dans la voix.  

et encore cette furieuse envie de défoncer un bureau. limite demander à rex de venir le chercher tout de suite.

vous avez raison. personne d’vrait subir. accepter la pression pour avoir la cote qui faut pour chill out avec sa family. personne d’vrait rester stucked dans d’la shit gratis. même les pensionnats ça permet aux kids d’voir leurs parents. mais c’triste hein. guess c’la vie : on grandit et plot twist pop existe plus.

écarte les bras, sourire pincé, yeux déments.

c’la vie.

et tout ce qu’on peut faire c’est prier entre quatre murs comme si c’était sa chambre d’enfant. faire semblant. inventer la cérémonie.

trouve autre chose daisy, c'est pas convaincant.
mais l'investissement de sa prof lui fait mal au cœur, à anaël.

il a replié ses jambes sur la chaise, croisé les bras sur ses genoux. de la même espèce, ça fait longtemps qu’on le pense, que toi et orion vous n’êtes pas bien différents. ça se pose devant lui et ça parle comme des philosophes. anaël les yeux vers le plafond, mais il l’écoute. faudrait alors se taire puisque le gouvernement est si bon. faudrait se taire façon juré devant un innocent. c’est pas la faute de personne, il fait son possible, le gouvernement.

tout le monde fait son possible.

dialogue partie deux. ça ne dit plus suce mes couilles. ça se fatigue dans les yeux. toujours en faute de vivre, parce qu’il y a tant de monde pour se soucier de sa sécurité. quand son père lui a dit be proud de tes actes ça signifiait ferme ta gueule et dit merci. oui.

non. il est dead en sachant qu’j’vis pas autrement qu’à ma façon. seulement elle marche pas ici.

déglutir et la fixer ; se poser. on va faire comme si tout était à recommencer. comme s’il ne t’avait jamais connu. comme si c’est la première fois qu’il voyait la prof des techs. comme si anaël savait réfléchir.

dites marshall, ça peut pas changer ?

hausse les épaules sur sa chaise, la tête qui fait le tour de l’espace. ses yeux au-dedans du cœur. faire le deuil du moteur de sa rage. anaël, retour à la base.

ici ou ailleurs c’pas grave. on nous teach la même chose, l’éducation c’est universelle. mais j’sais pas, la façon d’nous la rentrer dans le crâne here, ça peut pas changer ? ça va rester la même forme jusqu’à ce qu’on ait un autre gouv ? si y’a des kids qui continuent d’monter dans les greniers, maybe c’pas juste parce qu’ils sont cons.

les yeux dans ceux de daisy, mais les éclats regardent autre chose. cherchent autre chose sur son visage.

on devrait rester tranquille alors qu’on nous laisse watch des histoires à la divergence ou hunger games. des histoires où les déréglés on une chance infime d’modif le monde. c’pas juste une famille here, c’t’un mode de vie. et notre bande de déréglés à nous on n’a pas envie d’les écouter.

une main contre la nuque, le soupire profond. laisse tomber d’un geste évasif.

j’peux piger les raisons d’vouloir nous protéger. mais maybe y’a d’autres façons d’le faire. maybe ça pourrait changer. et p’t’être y’aurait moins d’gens dans les greniers, moins d’people pour crier.

j'raconte d'la merde que le regard rajoute. c'est la folie du deuil, voilà. la fatigue sur les lèvres qui font la moue.

exclusion. dépendance. et les yeux redeviennent noirs. aux oreilles sille la parole. sille le monde. la vibration désagréable des discours. on n’a que dix-huit ans, tellement de choses innommables, des politiques qui glissent entre les doigts. on commence à comprendre le sens de sophisme. on le trouve trop facile. on commence à savoir dire.

se dire. on a lu. on commence à comprendre.
on commence tout.

wrong.

les feux dans ses yeux s’adoucissent.

j’suis pas malheureux ‘cauz mon père a crevé. j’suis pas malheureux. j’suis triste. sad because c’son cœur qui a disparu. et ça veut dire qu’les cœurs d’débiles (la langue s’écorche) dans not’ genre ça finira toujours par s’éclater d’vant le reste. guess c’vrai : not’ seuil d’tolérance est pas très big face au traitement général. j’suis sad parce que ça veut dire maint’nant y’a plus rien. sauf faire comme tout le monde.

ceux qui s’y sentent bien dans la vie actuelle. ceux qui finissent par s’y croire à l’aise. ceux qui encaissent pour guérir ensuite. un jour. tous ceux qui se jettent dans le vide parce qu’il y a des fils pour les retenir. pour les faire avancer.

on a juré à un mort d’être fier de ses gestes. on a juré à un mort de toujours se reconnaître, là où on va. faudrait lâcher toute promesse et se jeter dans le vide. sans fil.

c’pour ça qu’il fallait pas casser avant qu’je revienne, pop.
si t’as courbé le dos, le cœur, l’esprit,
moi qu’est-ce tu veux qu’je fasse ?

there’s nothing at all sauf accepter les paroles toutes faites. ma life depend des r’gards qui voient, pas des yeux avec des scénarios d’jà calculés. et ça m’empêche pas d’réagir en retour.

ravaler au fond de la gorge.