alors que ses camarades s'étaient éclipsés pour aller manger, le gamin de maupassant, lui, restait assis à sa table. d'un air rêveur, il fixait le tableau et tentait de reformer les traits de daisy devant ses iris noirauds. quand elle avait donné son cours, marceau l'avait écouté - tellement bien qu'il en avait été inspiré. il s'était imaginé ses mots glisser, ses mots former une ronde autour d'une mélodie et devenir chanson. il ne savait pas pourquoi.

daisy, comme une statue, s'était dressée dans son esprit, gravée dans le marbre de ses neurones pour devenir une source inépuisable de créativité. d'un coup sec, il s'était extirpé de sa chaise et avait ramassé le carcan de son violon posé avec soin sur le sol. de son sac, des partitions vides se sont éparpillées sur le table. l'instrument posé entre sa joue et son épaule, il s'était mis à tâtonner des notes. il gribouillait sur les lignes des dos, des rés, des sols, recommençait, imaginait, se perdait en route.

non, ça ne lui ressemble pas.
au sommet de la partition, il avait simplement annoté le morceau avec un d majuscule. d comme daisy. il ne voulait pas écrire son nom, de peur de désacraliser son statut.
il ne voulait pas perdre sa muse.
il reprend son morceau. des bribes lui viennent, au fur et à mesure, et voilà qu'il se retrouve avec quelques lignes dont il se trouve plutôt satisfait.
la porte couine. il lève la tête et s'étonne de ne plus être seul. tout le monde devait manger, alors qui...
évidemment. de maupassant se trouva bien coi.
oh, c'est vous. avait-il balbutié.

il titube en rassemblant ses feuilles. j'allais partir manger, pardon.

j'avais oublié qu'il fallait manger. j'ai été pris dans, ça.
un faible mouvement de tête vers sa table, sans pour autant trop insister. de maupassant ne sait plus vraiment où se mettre - comme une envie de courir, comme une soudaine envie de manger.
ah, vous avez entendu?
sa voix s'était trouvée enjouée et il n'avait pas su expliquer pourquoi. pourtant, il ne savait pas vraiment s'il en était content. il repose son violon dans son carcan.
oui, j'essayais de faire quelque chose. quelque chose de nouveau.

devait-il faire écouter à sa muse le morceau qu'elle a inspiré? il se demandait s'il n'y avait pas d'anciennes lois de la nature qui le maudisse de ne pas avoir attendu la fin de la composition. il hésite, se balance d'un pied sur l'autre.
de maupassant se laisser couler.
mademoiselle marshall.
les mots franchissent ses lèvres seuls, comme une force du destin plus grande que lui. il ne contrôle plus rien et se retrouve à voguer sans contrôle.
c'est un morceau... qui porte votre prénom.
l'épée de damoclès s'abat sur sa nuque et soudain, il est lâche, marceau.
je dois aller manger.

retenu par l'inspiration, littéralement, il est contraint d'arrêter sa marche, d'arrêter de fuir face à elle.
la venus demande à entendre sa création. au début, il ne répond rien. il reste mué dans son silence, ouvre l'étui de son violon, reprend ses notes.
il les trouve lointaines à présentes, il les entend dans sa tête et les pense fausses. peut-être le sont-elles.
alors, il joue.

quarante-cinq secondes, c'est le temps qui s'école lorsque son archet se soulève. ses yeux qui s'étaient fermés s'ouvrent alors de nouveau, et il cligne des yeux à cause de la lumière.
c'est tout ce que j'ai pour l'instant.
il s’assoit.
désolé si c'est décevant.
et il spirale. il se dit qu'il lui doit plus, il lui doit mieux. les rés, les fas, les bémols se mélangent à nouveau, il ressent le besoin compulsif d'ajouter des notes sur la portée. tout ce procédé est trop personnel pour qu'il ose le démontrer devant sa professeure.
je crois que j'ai de nouvelles idées, qui vous vont mieux.

il pense. il tape ses doigts doucement sur le bois de sa table.
pourriez-vous... non, c'est sûrement trop privé. ce n'est pas bon.
mais peut-être...
mais peut-être... accepteriez-vous de vous décrire en trois mots?
seulement trois mots. le ton du récit, la tonalité de la pièce.
la tragicomédie musicale de maupassant - le recueil s'éloigne.

un peu trop.
il croit avoir enfin posé le doigt dessus, ce qu'il manquait à son tableau musical. la globalité, la généralité.
le ton, le ton est trouvé. il faut quelque chose de grandiose, quelque chose de plein. il ne faut surtout pas de silences, ni de demi-temps. il faut que le morceau en face trop.
daisy est une hyperbole, elle dit "un peu trop", trop est le mot clé.
j'ai trouvé ce qu'il faut.

alors, il se replie dans le silence et écrit, il écrit, il dessine les notes. de temps à autre, il pince une corde sur son instrument, hoche la tête, déplie les doigts.
peut-être que quelques minutes s'écoulent, sans un bruit. puis, il a fini. la page est remplie, il a un corps à son récit.
peut-être viendra-t-il greffer des chapitres, mais le coeur de l'oeuvre est là, sous ses yeux et ceux de mademoiselle l'aphrodite.
j'ai trouvé, tout est là.

voilà qu'il reprend position, et il se tourne. il a besoin de ce moment solennel, il ne supporterait pas son regard pour sa première représentation.
il sait qu'elle est là, mais ses yeux sont sur son dos.
le morceau, daisy.
il joue. tout s'aligne, il n'y a pas de pose, tout va vite, tout est trop, presque angoissant, mais joyeux. le tempo s'accélère, crescendo, tout s'écroule sur la fin et le mouvement ralenti jusqu'à s'évanouir. il souffle.
il est satisfait.
merci beaucoup, grâce à vous, tout se tient. il y a une continuité dans le morceau. est-ce à votre goût?

il avait rougi - sans trop savoir pourquoi. il fallait préciser que de maupassant ne savait pas grand chose de ses propres réactions, de ses sentiments. il laissait faire et c'était ainsi que se construisait toute sa beauté, dans la spontanéité.
merci, c'est très gentil.
il réfléchit à la proposition, le doigt qui vient caresser son menton dans un cruel cliché.
peut-être oui, c'est une bonne idée.
il pense parfois le faire, avec ses poèmes, mais sûrement serait-il intéressant de les autoriser à être accompagnés de thèmes musicaux? il devait y méditer.

vous n'avez pas besoin de me remercier, vraiment, c'est seulement à moi de le faire, pour m'inspirer.
cette fois-ci, il range son violon pour de bon, considérant avoir joué devant une audience - certes, d'un seule personne - suffisamment en une journée.
c'est vrai que, parfois, parler, ou écrire, c'est comme une barrière. la musique, elle, se laisse porter. en tout cas, c'est comme ça que je le vois.
il s'était souvent demandé s'il n'arrêterait pas un jour d'écrire et se laisserait seulement s'exprimer en arrangements, en notes. après tout, pendant très longtemps, et encore aujourd'hui, il s'était empêché, interdit, de parler - et ne savait même pas le faire jusqu'à un certain point de son enfance.
je ne sais pas mais... vous avez sûrement vu que je n'étais pas très bavard. alors, la musique, l'écriture, c'est un peu tout ce que j'ai. c'est mon trésor. et c'est grâce à des gens comme vous qu'il est inestimable.
loin de lui l'intention d'être flatteur, uniquement véritable.

il jette un regard par la fenêtre et, sans raison, monologue sur le ciel, intimement, uniquement pour lui et sa tête. de maupassant et ses pensées vagabondes, il songerait presque à renommer son recueil.
je ne suis sûrement pas le premier que vous inspirez. je veux dire... si je peux me le permettre... vous avez cette, aura? oui, cette aura.

ainsi, de maupassant range ses affaires, passe une sangle de son sac par dessus son épaule. il se lève également, mais tend l'oreille pour écouter mademoiselle marshall.
c'est vrai, j'oublie toujours que... je suis la source de tout ça.
comme une légère tendance à se sous-estimer - pourtant, il n'en avait pas l'air et il n'avait aucune raison de le faire. marceau est doué, ce n'est pas se venter que de le dire.

il s'avance, traverse la pièce doucement. il se retourne et souris simplement.
j'y vais, je vais manger.
il pose la main sur la poignée. et marceau?
oui?
ses lèvres s'étirent de nouveau. c'est là qu'il réalise pourquoi il se sent si proche de sa professeure - comment ne pas s'attacher à la douceur délicate d'une fleur.
s'il y a quoi que ce soit...
bien sûr.

la porte s'ouvre et il est temps pour lui d'aller manger, la tête haute et les pensées dégagées.