Le tumulte de l'académie pouvait parfois se montrer fatiguant.
Pour s'éviter la peine d'une isolation trop embarrassante dans sa chambre, Jason avait prit des habitudes à l'intérieur de l'école.
Après tout, s'il avait vécu toute sa vie dans cette institution, il avait aussi eu tout le loisir de s'accaparer des endroits pour bénéficier d'un peu de calme.
S'il devait choisir, certainement que ce grand parc serait l'un de ses endroits favori pour s'adonner à la lecture ou simplement la contemplation du ciel.
A une époque lointaine il lui arrivait de préférer l'isolement de sa chambre à ce grand espace mais, ses trois étoiles acquises et son intégration dans la section NOVA lui offrait une tranquillité dont il entendait bien profiter.

Proche de la fontaine, il s'octroyait donc un instant de repos en compagnie d'un livre qu'il avait négligemment déposé contre son torse.
Allongé dans l'herbe, donc, c'est dans l'observation des nuages qu'il trouvait un peu d'apaisement.
Pourtant une présence vint troubler sa contemplation et c'est d'un regard lent et fatigué qu'il détournait son attention en direction de la nouvelle venue dans le parc.
Sans trop d'effort, il reconnu la personne en question : Alexandra Carter.
Une jeune femme de son âge au tempérament explosif pour laquelle il ressentait étrangement une forme d'affection.
Quand bien même elle avait la réputation d'une femme qui en impose et à tendance plutôt bruyante, elle avait toujours eu la courtoisie et la douceur de ne pas le brusquer ou lui imposer diverses moqueries.
Peut-être qu'au sein de cette école, Alexandra était la personne pour laquelle Jason ressentait le plus de bienveillance.

C'est pourquoi, en constatant l'état de détresse dans lequel elle semblait plongée, l'étudiant au masque ne pu se résigner à l'ignorer.
Il se relevait et s'avançait d'un pas nonchalant dans sa direction, son livre balançant dans sa main.
Une fois devant elle, il se laissait lui aussi tombé dans l'herbe pour finalement s'asseoir en tailleur.
Jason déposait son regard sur elle mais ne se voulait pas oppressant.
Le regard n'était pas insistant et il n'attendait pas d'elle la moindre salutation.
C'est dans un silence respectueux qu'il restait à se côtés, car il était bien conscient qu'une présence humaine pouvait parfois être le meilleur remède à nos tourments.
Peut-être était-ce là l'unique forme de compassion dont il était capable ?
Lui qui n'était que très peu habile de ses mots.
Mais c'est toujours mieux que rien.

De toutes les âmes de cette académie qu'il aurait souhaité apaiser, c'est bien de celle d'Alexandra qu'il s'occupait.
Non pas qu'elle ait besoin de sa protection.
Non pas que qui que ce soit ait besoin de la protection de Jason.
Non pas qu'Alexandra ait besoin de la protection de qui que ce soit.
Mais il savait reconnaître lorsqu'un poids devenait trop dur à porter.
Car derrière l'apparence de femme forte d'Alexandra et sa réputation de créature parfois violente se cachait une personne suffisamment sensible pour entrer en connexion avec l'étudiant au masque.
Peut-être était-il capable de voir en elle ce que les gens ne prenaient pas le temps de déceler.
Peut-être que pour une fois, il ne pensait pas uniquement à son confort mais aussi un peu au sien.

En tout cas, lorsqu'elle déposait sa tête sur son épaule, il ne la chassait pas.
Lui qui s’efforçait pourtant d'éviter tout contact physique avec un autre être humain ne semblait pas perturber par ce geste.
Parce que lui aussi était capable de poser sa tête sur ses épaules, pour se reposer.
Parfois la vie dans cette académie pouvait se montrer cruelle.
La vie en règle générale, en fait.
Et si Alexandra avait pour habitude de l'affronter sans jamais baisser les armes, elle méritait elle aussi un peu de quiétude.
De pouvoir respirer.

Alors Jason ne poserait aucune question, il resterait muet.
Ne cherchait aucun mot de réconfort, pour ne pas insulter la guerrière.
Car elle n'avait pas besoin qu'on lui répète encore et toujours les mêmes choses.
Parce qu'elle se savait forte, elle se savait intelligente.
Mais il la savait fatiguée.

En réconfort, il ne déposerait que sa main gantée sur la sienne.
Il ne pouvait lui communiquer la chaleur de sa peau mais il lui communiquerait sa bienveillance à son égard.
Jusqu'à ce qu'elle soit suffisamment forte pour reprendre un volume sonore capable de déranger Jason et sa phobie du bruit.
Si elle avait besoin de deux minutes, il lui en accorderait dix.
Car elle ferait la même chose pour lui, n'est-ce pas ?
Cependant, si elle désirait un sujet de conversation, il déposait son livre sur les cuisses de la demoiselle.
Comme une invitation à discuter d'autre chose, si elle avait le cœur trop lourd pour évoquer la source de son chagrin.

Elle savait faire preuve de tant de calme, en sa présence.
Peut-être était-ce pour ne pas le brusquer ?
Alexandra connaissait son amour pour le calme et une atmosphère douce.
Capable de faire taire ses pulsions d'énergie, elle s'était vite attirée la sympathie de Jason qui faisait en sorte de tempérer au mieux sa violence.
Pour qu'elle apparaisse aux autres comme il pouvait la voir.
Sa camarade relevait finalement la tête pour le gratifier d'un remerciement, lui qui avait finalement été plutôt hésitant sur son geste.
Il existait indéniablement une forme de complicité entre eux deux.
C'était inexplicable, peut-être car ils subissaient tous les deux une réputation non méritée ?
Enfin, elle pouvait le paraître, en surface.

Son sourire dissimulé derrière son masque, c'est ses yeux à demi-clos qui venaient signifier le geste.
Jason penchait la tête sur le côté pour se faire paraître plus doux, moins austère derrière ce masque qui avalait la moitié de son visage.
Afin de se montrer expressif, il devait aussi se montrer créatif.

Le sourire d'Alexandra était apaisant pour lui aussi, lui donnait l'impression d'avoir été utile dans cette épreuve dont il ne connaissait finalement pas l'origine.
Certainement aurait-il essaye d'en deviner les causes mais encore une fois, il estimer qu'extrapoler à ce point relevait plus du manque de respect que de la compassion.
Elle avait autant droit à son jardin secret qu'il avait droit au sien et c'est pour cela qu'il acceptait de changer de sujet, à sa guise.
Les sentiments étaient bien plus fugace que les écrits, raison pour laquelle il ne regrettait nullement d'avoir abandonné sa lecture pour lui venir en aide.
Signifiant ceci, il récupérait avec délicatesse le livre posé sur ses cuisses pour l'agiter avec négligence, témoignant de son importance minime dans cette situation.

― Pas grave. Déjà lu.

C'était faux.
Mais même s'il ne pensait pas qu'elle se sente coupable d'un dérangement aussi minime, il ne voulait pas lui faire croire qu'elle avait pu perturber une activité importante.
Après tout, aucune activité n'avait vraiment de l'importance à ses yeux, c'était surtout une manière de faire passer le temps jusqu'à pouvoir retrouver ses quartiers et ses licornes.

Maladroit, il étirait quelques secondes les joues d'Alexandra pour chasser sa moue emplie de tristesse.
Sûrement un peu gênant, il ne savait comment lui signifier son affection.

― Réviser. Avoir des bonnes notes. Important. D'accord ?

Alexandra se laissait tomber dans l'herbe, probablement épuisée de son propre chagrin.
Mais dorénavant elle avait l'air d'aller mieux et s'habillait de son habituelle désinvolture.
Jason avait toujours nourrit une forme d'admiration pour la force de caractère dont faisait preuve la guerrière.
Elle n'accordait que très peu d'importance au jugement des autres, en général.
Du moins c'est ce qu'avait analysé Jason à ce sujet.
Quant à lui, il était incapable de vivre sous le regard des autres étudiants de l'académie.
En un sens, elle représentait ce qu'il aurait aimé être.
Sans considération pour la propreté de son uniforme, il se laissait guider par sa main.

Allongé lui aussi dans l'herbe, il croisait les bras derrière sa tête pour reprendre une activité de contemplation.
Elle avait raison, respirer c'est déjà beaucoup.
Dans une école qui étouffait ses élèves à l'aide des rangs, des étoiles, de la section NOVA.
Qui étouffait les anti-système, les délinquants.
Peut-être ceux qui étaient juste en quête de liberté ?
Pourtant Jason n'avait pas ce problème, il n'aspirait à aucune autre forme de liberté que celle qui lui permettait de manger autant de sucre qu'il le voulait et pouvoir vivre sans la peur de faire du mal.
Un luxe que lui permettait sa position au sein de l'école.
Une position qu'il ne quitterait pour rien au monde.
Alors pourquoi avait-il lui aussi du mal à respirer ?

Son regard dessinait la forme des nuages dans le ciel et il se demandait.
Quelle était la position de Alexandra concernant la section NOVA ?
Plus encore, quelle était sa position vis à vis de son intégration à cette section ?
Ils n'en avaient jamais vraiment parlé jusque là.

Sans l'envahir de son regard, Jason se raclait la gorge pour s'adresser à elle.

― Alexandra...

Une courte pause, car il n'était pas dans ses habitudes de demander de manière aussi honnête l'avis de quelqu'un.
Habitué à feindre l'ignorance, il accordait pourtant une importance toute particulière au jugement de cette fille.
Elle toujours si gentille avec lui ne pourrait pas lui mentir à ce sujet.
Et même si elle ne désirait pas faire preuve de tact, il ne lui en tiendrait pas rigueur.
Prêt à recevoir n'importe quelle insulte si cela venait d'elle.
Car jamais la souffrance n'avait été son terrain de jeu.

― Grave si je suis NOVA ?

Pour une fois, l'économie de ses mots lui était bénéfique.

Alexandra était une personne rassurante.
Elle ne s'encombrait pas des préjugés, des rumeurs.
Une personne forte et sincère.
Une existence rafraîchissante dans sa vie.
Et elle le lui assurait.
Elle lui assurait que ce badge n'avait aucune sorte d'importance pour elle.
Qu'il n'entraînerait aucun changement d'attitude.
Et Jason lui faisait confiance, plus qu'à n'importe qui d'autre, car jamais elle ne lui avait menti à ce sujet.
Mais venait finalement cette question qu’inconsciemment il redoutait : pourquoi s'était-il engagé auprès des NOVA ?

Il est vrai que derrière son apparence douce se cachait quelqu'un habité par un égoïsme profond, capable de tout mettre en oeuvre pour assurer son confort.
Pour s'assurer le droit de vivre de la manière la moins pénible possible.
Même s'il devait pour cela devenir le chien de garde d'un système qui n'avait pour lui que du mépris.
Jason était le centre de son univers, ne gravitait autour de lui quelques proches dont il espérait pouvoir compter Alexandra parmi eux.
Mais après la sincérité dont elle avait fait preuve, pouvait-il seulement fuir ce genre de question ?
Se contenter d'un silence ?
L'étudiant au masque ne pouvait s'y résoudre.
Une affection bien trop grande envers elle pour lui renier le droit à des réponses.
Sincère, il le serait lui aussi.

― Pour mieux vivre.

La réponse était aussi simple que courte.
Il n'avait comme espoir que celui de s'intégrer au système et faire parti de l'élite.
Lui qui s'était toujours contenté des ombres souhaitait préparer sa mise en lumière du mieux qu'il le pouvait et cette étoile filante serait capable de le lui apporter.

― Pour devenir major.

Jason n'était pas stupide, il connaissait suffisamment Alexandra
pour être au fait de son avis sur le système de rang.
Non pas qu'elle le méprisait, elle n'y attachait finalement que très peu d'importance et s'était libérée des contraintes sociales.
Mais ce n'était pas son cas.
Égoïstement, il était prêt à faire chuter les élèves qu'il jugeait dissident pour accéder à la gloire d'un rang qu'il avait toujours visualisé comme la concrétisation de ses années de travail.
Lui qui n'avait connu que l'académie et ses murs.
Peut-être qu'au fond de lui, il y avait un peu plus.
L'espoir d'être un membre de la section NOVA juste.
Car même s'il y avait en lui une forme d'ambition qu'il ne saurait cacher, le corbeau n'avait jamais pourchassé plus faible que lui pour atteindre le quota demandé par l'académie.
Jason espérait-il de sa position un peu plus que simplement son confort ?

― Une fois major, protéger Kagerou. Et Alexandra.

Pour qu'ils puissent tous voir à quel point elle était resplendissante, lorsqu'elle souriait.

De sa douceur se dégageait la compréhension, le regard d'un personne qui n'exposait à aucun jugement.
Une réponse recevable.
Faire ce qui lui semblait juste.
Jason possédait des lacunes, cela va sans dire, mais au contact de quelqu'un comme Alexandra il se rendait compte que cela n'avait que peu d'importance.
Il n'avait pas à être exempt de défaut, simplement à faire en sorte d'être lui-même.
Accepter son égoïsme qu'il ne saurait s'avouer.
Le transformer en une force qu'il pourrait transmettre à ses compagnons, à sa famille.
Car les étudiants de cette académie étaient ce qui ressemblait le plus à des membres de sa famille.
Jason voulait voir briller chacun d'entre eux aussi fort qu'il s'efforçait à briller lui même.
Pourtant quelque part en lui, il savait qu'un jour il devrait quitter chacun d'entre eux pour vivre là où ils ne pourraient jamais le rejoindre.

A cette pensée, un frisson le parcourait.
Mais elle se voulait de nouveau rassurante à son égard.
Elle aussi désirait le voir réussir, devenir ce à quoi il aspirait.
Si bien qu'elle prenait déjà de l'avance sur la situation pour s'inviter dans sa chambre, une fois son déménagement effectué.
Jason hochait la tête, le sourire aux lèvres.
Était-il seulement capable de lui dire non pour quoi que ce soit ?

― Tout ce que tu veux.

Et ce n'était pas une simple tournure de phrase.
Tout ce qu'il pourrait lui offrir, il accepterait de lui donner.
Peu importe sa requête, sa demande, il ferait tout ce qui est en son pouvoir lui obtenir ce qu'elle désirait et lui déposer dans les mains.
Car il se l'était juré, jamais elle n'aurait à le combattre.
A insister.
Sans conflit, sans geste sauf celui d'une caresse sur la main.
Jason se redressait, se tordait le bras pour frotter son dos et se débarrasser des brins d'herbe.

― Devoir partir. Travail.

Il attrapait une dernière fois la main de la demoiselle pour la déposer contre sa joue.
Lui dire au revoir avec autant de tendresse qu'il lui avait dit bonjour.
Il lui laissait son livre, pour qu'elle puisse s'occuper l'esprit même sans lui à ses côtés.
Se relevait finalement, pour lui signifier son départ d'un geste de la main.

― Prends soin de toi.

Et s'éloignait finalement.
Faire ce qui est juste.