Tu avais attendu désespérément Eulalie. Attendu qu'un prince se détache du lot, s'extirpe de la foule pour t'apparaitre comme une lumière divine. Mais il n'y avait que les ombres qui t'entouraient désormais, et elles se rapprochaient dangereusement et trop rapidement de toi. Au pied du mur, tu avais sacralisé ton évasion de l'académie jusqu'à en faire ta seule option d'évolution. Et après y avoir goûté, après qu'on te l'ait arraché : cela faisait trop mal.

Alors il allait falloir s'accrocher à autre chose. Tu ne pouvais plus faire quelques projections que ce soit sur Elyas. Il avait trop souffert par ta faute. Tu ne pouvais pas non plus faire porter ce poids à Gabrielle. Si entourée Eulalie, et pourtant comme d'habitude la solitude était le plus fort des ressentiments.

La porte grince et tu tressailles. Assise sur ton bureau pour au moins faire semblant de travailler, tu avais lâché ton stylo lorsque la silhouette lugubre de Samuel se dessina dans l'encadrement. Il avait cette prestance qui t'attirait autant qu'elle te terrifiait. Le seul (peut-être avec Elyas) qui t'ôtait tout désir de rebellion juste d'un regard.

— « Samuel... »

Il avait cette manière infantilisante de donner des ordres, d'insuffler des impulsions que tu ne pouvais pas réfuter. Mais pourtant, il y a encore de la déception dans ton regard réservé.

— « Je veux bien parler, mais avec quoi as-tu l'intention de me baratiner cette fois ? »

Tu te lèves et luit fait face (en tremblant) et croises tes bras sur ta poitrine.

— « Tu m'as menti Samuel. Tu n'es pas le garçon que tu as voulu me faire croire. J'avais confiance en toi. Pourquoi ? »

Tu te demandes ce qu'il est venu chercher et ce qu'il attend de toi. Qu'espère-il en te crachant ces mots, en te regardant de cette manière ?
Tu tentes de ne pas faillir face à lui, de ne pas sombrer dans les abysses avec lui. Tu y croyais tellement, à cette petite aventure qu'il t'avait fait miroiter, tournée en déconfiture.
Il a éteint la lumière, t'a imposé son côté sombre. Et désormais entre les ombres, tu erres.

— « Si je t'ennuie, trouve-toi une autre victime. Ce n'est pas moi qui est venu te trouver Samuel. »

Tu le defies du regard, toujours plantée devant ton lit. Il t'avait poussé dans tes retranchements, et il en assumerait les conséquences. Cela suffisait, tu ne voulais plus subir la folie des autres, souffrir de leurs machinations. Tes objectifs mis à mal, tu devais en trouver d'autres pour demeurer animée, vivante et motivée.
Et si Samuel avait au moins le mérite de te faire gagner en assurance car tu n'avais pas l'intention de céder face à lui facilement.

Il te faisait peur, certes.
Mais pourtant au fond de ses yeux, tu avais encore espoir de trouver la lueur de l'âme du garçon à qui tu avais parlé les premières fois. Celui pour qui tu t'étais pris de passion.

— « Tu es complètement fou, surtout. Ce que tu fais avec Anaël... C'est contre-nature. Je t'ai suivi car je voulais aider les autres! Mais en fait c'est toi l'égoïste Samuel ! »

Tu rougies un peu, car tu savais d'avance qu'il pouvait facilement te retourner la carte de l'égoisme. Malgré les failles, tu faisais de ton mieux.
Même si tes motivations étaient clairement corrompues.
La rage d'avoir tort et d'être mise en défaut te faisait de plus en plus trembler, et ta voix commençait à dérailler à la naissance de sanglots.

— « Laisse-moi tranquille ! Je ne te ferai plus confiance et tu peux crever pour que je t'aide avec mon alice ! Si tu tentes quoi que ce soit, je l'annulerai. »

Le pouvoir, tu le cherchais aussi.

S'il te croyait faible, tu allais devoir devenir vaillante. Ne plus faillir face à son sourire, face à ses grandes déclarations dignes d'un démon.
Tu ne rêves pas, il est bien là, pensant te vaincre sur ton propre terrain. Pensant te faire culpabiliser dans ton échec cuisant de lui barrer la route.
Tu n'arrives juste pas, à être dans le rejet. Tu n'arrives pas à te séparer des personnes, à les éloigner de toi malgré leur toxicité. Il était plus qu'une maladie, il était le virus qui vous consumerait tous.

L'antidote, tu l'avais pourtant entre tes mains. Ton alice et ta volonté de feu comme uniques remèdes.

— « En plus d'être fou, tu es orgueilleux. Ne sous-estime pas les sans-étoiles, Samuel. »

Tu fronces les sourcils, peinant à cracher ces quelques mots.

— « Je suis peut-être naive, idiote, mais je ne suis pas faible. Ce n'est pas parce que tu crois pouvoir me manipuler que tu vas y arriver cette fois. »

Tu frissonnes au contact de ses doigts sur ta peau. Qu'on te touche comme ça, c'était quelque chose d'inespéré, une corde sensible sur laquelle il s'amusait.
T'en rendant compte, tu éloignes ton visage brusquement et lèves la main pour le gifler. La violence entrainait la violence, mais ne la soulageait pas.

— « Je... Je ne me répéterai pas Samuel. Dis-moi ce que tu veux, dis-moi clairement ce que tu es venu chercher ! Arrête de te moquer de moi... J'ai compris que le gentil garçon que je voulais aider n'existait pas. Alors dis-moi ce que tu me veux ! Maintenant ! »

Il avait réussi, en soit.
A te mettre hors de toi.

La gifle était partie toute seule, sous l'impulsion de la colère. Samuel ne semblait pas vraiment affecté par cet acte, pourtant toi tu étais déjà au fond. La violence n'était pas quelque chose qui t'animait, tu la fuyais au contraire depuis toujours. Il réveillait en toi des démons terrés, repoussés aux heures sombres. Toi qui baignait de lumière, tu n'avais pas besoin d'être être aussi difforme dans ta vie.

Mais comme d'habitude, tu prenais le parti de la bienveillance. Tu te fourvoyais d'une croyance illusoire, celle de pouvoir le changer. Avec tes mots, avec ta personne. Tu savais le combat perdu d'avance et pour autant tu avais déjà pris les armes.

Il serre ton poignet entre ses doigts et tu te mets à pleurer de détresse, tirant par secousse sur sa prise pour l'inciter à te lâcher. La force de sa poigne marquait déjà ta peau.

— « Arrête... Arrête ! Laisse-moi tranquille... Je ne veux plus t'entendre. »

Il avait raison sur toute la ligne, et c'était ça qui te rongeait peu à peu. Il te faisait de l'effet, peur à peur. Les mots qu'il avait choisi étaient aiguisés, dans le simple but de te faire du mal. ça marchait que trop bien, car à peine il t'avait lâché que tu ne réagis pas à son étreinte. Le diable murmure à l'oreille puis te jette à ses pieds.

Tu t'effondres et lèves la tête pour l'affronter du regard, le regard déformé par une frayeur divine. Celle d'être jugée, celle de ne pas être pardonnée. Celle d'être condamnée.
Par Dieu ou par lui, quelle importance. Si Samuel s'amusait à détruire ta réputation dans l'école, tu ne t'en relèverais pas aussi facilement.

Tu sèches tes larmes, l'implorant du regard, toujours genoux à terre.

— « S'il te plait arrête... Je... Je ne veux pas te trahir, je ne veux juste pas faire de mal aux autres. »

Tu enfouies ton visage dans tes mains, maintenant prise de remords complètement irrationnels. Est-ce que tu avais fait du mal à Samuel ? Est-ce que c'était normal que de le rejeter de la sorte ? Tu ne savais plus quoi penser, complètement amorphe.

— « Qu'est-ce que tu veux de moi Samuel ? Je suis fatiguée... »

Le piège se referme. Telle une araignée affamée, Samuel tisse sa toile dévastatrice. Tu ne sais pas comment t'en échapper, à peine lucide sur son existence. Tu as juste trop mal pour réussir à te défendre à nouveau. La peur est bien présente, quand tu le regardes. Et pourtant quand il prétend pouvoir s'éloigner de toi, tu paniques. Prisonnière du besoin qu'il t'a créé, quand il te valorise.
L'envie de t'échapper est de plus en plus forte, poussée par un instinct primitif de survie. Mais tu n'y arrives plus, c'est au dessus de tes forces.

— « Je suis désolée... S'il te plait ne me déteste pas... »

Tu ne peux pas t'empêcher de pleurer, le visage caché dans tes mains. Tout te manquait, la chaleur d'une étreinte. Croire qu'on pouvait t'aimer, c'était ce qui te motivait au quotidien. Et tu n'avais pas encore compris que tu t'attachais à la mauvaise personne. Dépendante au danger, aux forces mauvaises d'une terre desséchée. Les racines s'enlisent sur tes pieds et te condamne à prier à genoux pour l'éternité.

— « Je veux.. Je veux. Je veux m'enfuir d'ici, retrouver mes parents, ma vie. Mais je ne veux pas être éloignée de mes amis, qui sont ici. » Mais qu'est-ce que tu veux entendre ? Tu ne sais plus. Juste un peu de sincérité.

— « Je veux que tu sois gentil avec moi, parce que moi j'ai vraiment voulu l'être, avec toi. »

La vraie mascarade se dissimulait derrière ce masque. Car au fond, tu savais que ça était impossible pour lui d'accéder à cette requête. Et c'était grâce ce sentiment d'insécurité que tu te sentais réellement vivre.
Tes yeux embués de larmes vinrent chercher à le provoquer du regard et tu murmures.

— « Je n'ai pas peur de toi, je peux te faire aussi mal que tu m'as fait mal. »

Toi aussi, tu avais une vraie personnalité que seuls ceux qui se mettaient à genoux pouvaient vraiment voir.

Samuel est comme un monstre, sauf qu'il a passé la porte de ta chambre, il n'était pas caché sous ton lit. Tu lui parles, et à chaque fois il te donne une impression onirique. Il répond de manière accentuée, presque biblique. Ce n'est jamais aussi concret que ce qu'il arrive à te faire cracher. C'est peut-être pour ça que tu en viens à boire ses paroles.

— « Arrête... Arrête de siffler comme un serpent. Tout ce que tu me promets est impossible. Je me suis déjà fait une raison alors laisse-moi ! »

Mais alors qu'il continue, sa silhouette s'impose et vient sceller toutes les issues, t'emprisonnant dans son ombre. Ses mains attrapent ton visage et tu laisses échapper un couinement de surprise et d'agonie, étouffé par ses lèvres qui viennent s'emparer dangereusement des tiennes. Tu restes interdite et les yeux écarquillés, d'abord choquée parce ce dont il s'était emparé sans pudeur, sans autorisation. Tu t'abandonnes ensuite, les bras le long du corps. C'est chaste mais tu secoues la tête en gémissant, plaquant tes mains sur son torse pour l'écarter.

— « A-arrête ! Qu'est-ce que tu as fait ? Pourquoi ? »

Tu repenses à ce qu'il a dit. Peut-il être gentil ? Tu te mords la lèvre, encore humide. Tu l'espérais sincèrement, naïvement. Il pouvait s'être laissé déborder par des ambitions malsaines, elles t'avaient toi même séduite un temps.

— « Samuel... » Tu croises les bras sur ta poitrine, frictionnant tes épaules comme si tu avais froid. « Je ne sais pas ce que cela signifiait mais... Merci de me voir comme ça. »

Tu en avais besoin.

Tu l'avais écouté sagement comme on écoute le messie, totalement sous l'emprise de son charisme qui t'hypnotise, venant presque à se confondre avec les murmures de l'Alice de Noah dans ton esprit. Samuel n'avait pas eu besoin d'un quelconque pouvoir pour assoir son emprise sur toi.
Ses lèvres sur les tiennes scellent un pacte dont tu ne te souviens pas avoir énuméré à voix haute. Ça te fait peur autant que ça fait battre ton coeur. C'est monstrueux et pourtant tu n'arrives pas à avoir peur de lui.

Tu le regardes de tes yeux grands et ébahis alors qu'il s'était levé pour te recouvrir d'un plaid. Tu t'y enroules dedans et te colles contre le bas du lit, toujours assise par terre.

— « Tu .. t'en vas maintenant hein... »

Comme tous les autres.

— « Alors à plus tard, Samuel. »

A une prochaine rencontre avec le diable, peut-être.
Et cette fois tu en seras l'apôtre.