des bleus à l'âme ★
le monde brise chacun d'entre nous et, après coup, certains sont plus solides à l'endroit de leurs fractures.


Assis en haut des marches menant au grenier, tu as la sensation d’être assis au bord de toi-même Sasha.
A la lisière de ton propre vide.
Parce qu’il y a toujours eu un vide en toi.
Cette pièce manquante, cette fissure qui ne se referme pas et plus le temps passe, plus tu te dis que ça sera à jamais comme ça.
Au fond, tu as appris à vivre avec.
La silhouette d’Elior se dessine en bas des marches et tu relèves la tête. Ça fait seulement quelque jours, mais tout se sait tellement vite ici et ça, ça ne t’as pas échappé.
Tu ne sais pas quoi lui dire.
Y-a-t-il seulement quelque chose à dire ?
Le silence te vas bien en ce moment.
Il te pèse, mais tu commences à t’y habituer.
Tu hausses le coin de tes lèvres en un sourire qui sonne étrangement, un peu en désaccord avec tout le reste et tu ne dis rien.
Pas de « salut » et surtout pas de « ça va ? ».
L’un comme l’autre vous ne deviez pas avoir envie de parler de la façon dont vous allez. Tu étais persuadé Sasha que ça se voyait sur toi, comme le nez au milieu du visage.
Mais alors, qu’est-ce qu’on se dit ?
Tu fais un effort.

▬ T’as peut-être envie de rester seul, ce que je comprends. Ton regard cherche le siens. Je voulais au moins t’accueillir pour ton retour au grenier, même si j’ai un peu de retard.

Un long soupire t’échappes Sasha.
Et tu te penches en arrière, t’appuyant sur tes coudes, donnant l’impression de t’allonger sur le petit pallier. Ton regard se lève vers Elior.

▬ Et si tu veux parler, crier… je sais pas, j’écoute.

Tu le lui dit, parce que tu sais que si tu avais été à sa place, tu aurais eu envie de tout retourner. D’envoyer tout le monde se faire foutre et tu ne serais même pas étonné qu’il le fasse avec toi, mais tu ne lui en tiendra pas rigueur.

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le monde brise chacun d'entre nous et, après coup, certains sont plus solides à l'endroit de leurs fractures.


Tu n’aurais pas le prétention de dire que tu as la sensation d’être face à ton reflet quand tu vois Elior, non, sa peine est trop grande.
Bien plus lourde que la tienne.
Sa colère sourde aussi.
C’est comme si le tout dégoulinait de lui.
Le regard qui glisse lui aussi.
Suit les courbes, mais ne détaille pas.
La voix qui s’élève, qui ne dit pas bonjour, adieu les politesses et la bienséance. Sasha tu préfère laisser entendre que tu sais, sans dire que tu comprends, car ça serait faux.
On s’installe sur les marches.
A mis chemin des cieux.
Et à la fois, plus bas que terre.
Tu tends une main virtuelle à Elior.
Ignorant au fond si c’est vraiment pour lui, et pas un peu pour toi aussi.
Un chuchotis que tu captes Sasha.
Un « merci » qui sonne juste une fréquence au-dessus du silence et qui vibre pourtant si sincèrement.
La risette se creuse faiblement.
« De rien » qui bat sur le cœur.
Nouvelle inspiration d’Elior, le regard qui cherche la réponse sur les murs où s’écaille les rêves des enfants.
Ton temps te sembles à l’arrêt Sasha.
Basculement, tu te penches à nouveau vers l’avant, les coudes qui s’enfoncent dans les genoux, la tête qui se loge dans le creux de la main, basculement du poignet.

▬ Franchement, je sais pas.

Peut-être plus longtemps que la norme.
Trop longtemps pour l’hyperactif que tu es, ça c’est sûr. Tu sens plus tes fesses, mais pas de fourmillements, ni l’envie irrépressible de s’agiter… il y a quelque chose qui cloche.
Les journées passent.
Les nuits aussi.
Ça t’indiffère.
Ça ne te t’affecte même plus.

▬ J’ai comme la sensation que le temps défile sans m’attendre, qu’il m’a laissé en plan.

Un murmure de plus.
Redressant le buste, tu étends tes jambes, étirements… ouais ça doit faire un moment que t’es là à l’attendre et à te demander comment est-qu’on se relève une fois au sol ? C’est pas la première fois, mais à la longue, ça fatigue et on fini peut-être par apprécier de rester étendu à contempler le ciel.

▬ Au fait, je t’ai mis un plaid de côté, parce que la nuit, il caille.

Un octave plus haut.
Sans conviction pour autant.
Dialogue entre fantômes du grenier.

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« Merci » à nouveau.
Tu y penses un instant.
C’est comme si Elior était un disque rayé, répétant inlassablement la même chose… il y a bien pire que « merci » comme mot cela-dit.
Au fond, tu te sens pas mieux.
Et tu te demande Sasha, comment on sauve les gens quand on n’est pas foutu de se sauver sois-même ?
Les yeux roulent dans tes orbites.
Encore une question sans réponses.
Le silence revient au galop.
Ce n’est pas si dérangeant, de toute façon, même la musique sonne étrangement vide en ce moment… tout semble déréglé et toi le premier Sasha.
On ne s’y attends plus, les yeux qui fixent le plafond, comme si les réponses s’y trouvaient gravé par d’anciens élèves, la voix d’Elior refait surface et tes prunelles noisettes cherchent les siennes, mais il a déjà abaissé ses paupières.
Si tu as envie de parler…
Pour dire quoi ?
Que Ace t’as piétiné et que cette fois-ci t’arrive pas à te redresser ? C’est pas comme s’il ne t’avais pas mis en garde… Que cette nuit-là, on vous a tiré dessus et que le bruit des coups de feux te hantes toujours la nuit… peut-être bien qu’on t’as pas prescrit une semaine intensive chez le psy pour rien.
Enfin, pour ça, faudrait réussir à aligner deux mots faces à O’Bannon sur toute cette merde qui te pollue Sasha ; faudrait que ça sorte.
Peut-être avec Elior ?
Cependant, c’est pas ces mots là qui s’échappent :

▬ T’es pas un déchet. On peut pas avoir « or » dans son prénom et être un vieille cannette de Coca.

T’étais pas une flèche en français Sasha, mais tu savais que « or » dans la langue maternelle d’Elior, c’était « gold » dans la tienne.
Cette fois-ci, ton regard le détaille.
Et toujours cette même question à l’esprit : comment on sauve quelqu’un ?
Ton corps n’esquisses pas le moindre mouvement, dans la tête on n’est déjà pas totalement convaincue, et en apparence ça donne vraiment rien.
Un souvenir de Juno te percute.
Mais dis voir, Sasha, à quel moment tu vas commencer à t'affectionner toi-même ?
Ça aussi ça te hante.
C’est comme si elle t’avait dit de t’occuper de toi et en soit, c’est un peu ça… nouveau coup d’œil vers Elior. Peut-être qu’au lieu de vouloir l’aider, tu devrais commencer par te sauver toi-même non ?
Ouais… mais comment on fait ?
Soupire, plus profond que prévu.
Tu penses trop Sasha.
Les bras qui se mouvent, les doigts qui se lient et les paumes des mains qui se plaquent à l’arrière de ton crâne. Le regard évasif, une fois de plus vers le plafond.

▬ Ça te dis, on essaye de se relever ensembles ? On n’est pas obligé de le faire tout de suite, mais quand on en aura trop marre d’être là ?

J’y arriverais pas tout seul Elior.
Je suis désolé.

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Il a pouffé et tu as souris.
Maigre est la victoire.
Mais victoire il y a.
On avance doucement Elior, on avance.
Tu veux t’en persuader Sasha.
Cependant, tout seul c’est compliqué… t’as plus trop la force de pousser sur tes deux jambes et de sourire au monde.
T’es lassé à vrai dire.
Toujours glissé et toujours se relevé.
Inlassablement.
C’est chiant.
Et tu n’attends plus rien.
Tu te laisse ballotter par les jours et les nuits, on verra bien où tu fini ainsi.
Tu n’attendais plus de réponses de la part d’Elior, les yeux toujours rivés sur le plafond, t’as baissé le regard sur lui.
Petit sourire en coin.
T’as laissé tes bras retombé Sasha, gratter le plancher bancale du bout de tes doigts et t’as pas bougé ton cul d’un iota.
Dormir c’était devenu un concept bien étranger, toi qui pourtant raffolait des grâces matinées et houspillait à chaque fois que Laëstiel venait te réveiller avant le réveil pour aller courir. C’est quand la dernière fois que t’as vu ta meilleure amie ?
Tu ne sais plus.
T’esquive le monde.
Même ceux qui comptent.
J’aime bien… être avec toi, Sasha.
Retour à la réalité.
Retour avec Elior dans l’escalier du grenier.
Pendant plusieurs secondes, tu restes interdits, un peu surpris quand même et le temps se dilate étrangement, jusqu’à ce qu’enfin, tes rétines croisent celles d’Elior.

▬ On va aller mieux ensemble… okay ?

Et là, les larmes ont jaillit.
T’as fondu en sanglots sans prévenir.
La tête qui s’éclate sur les genoux.
Fait chier… !
Ça déconnait chez toi et ce, depuis toujours. T’étais comme un puzzle qu’on a éclaté au sol et dont on a perdu des pièces. T’as aucune idée Sasha de comment on est censé fonctionné avec des pièces en moins.
Ce vide au fond de toi.
Il t’étouffe.
Il oppresse ta poitrine.
T’en as ras le cul de pleurer.
Comme ça, comme un orage d’été qui éclate d’un seul coup ; imprévisible.
Mais comme tout les orages d’été, c’est bref.
Tu retrouve difficilement ton souffle.
Tu renifles et tu relèves la tête, séchant tes larmes avec la manche de ton pull.

▬ Dé-solé… moi aussi j’ai-me être avec toi Elior et… La voix qui déraille, fébrile encore. O-oui on va aller mieux, en-semble.

On va y arriver.