les membres engourdis de la veille, les cernes marquées sous ses yeux d'opaline et ses faux-ongles à peine rongés, Gabrielle n'a plus l'allure de reine, sa superbe salement entachée par la perte d'une étoile et les incertitudes qui vont avec - Gabrielle ne sourit plus et reste prostrée sur le banc, les pieds sur l'assise et les genoux ramenés contre son visage pour y faire un support pas trop inconfortable.

Le regard absent, les cheveux dénoués complètement comme c'est trop rare et l'uniforme presque mal mis, Gabrielle n'a plus l'air de grand chose - ça tient à rien finalement, c'en est presque risible et pis elle s'en fout de toute ce qu'elle a déjà foutu en l'air quelques semaines avant, l'excuse en plus d'avoir voulu tout reconstruire sur un équilibre précaire.

Sa plus belle victoire, c'était lui - et le voilà, sa désormais pire défaite qui s'approche, elle distingue son allure de majesté malgré ses paupières à moitié closes, les cils arrangés par le mascara un peu coulant, les doigts qui se crispent autour de ses genoux et le sourire qui s'étire malgré tout - amoureuse encore.

« je t'en prie, j'ai eu ma dose d'humiliation pour aujourd'hui, Ace... »

y a plus de "bonjour" y a plus de "ça va" - y a plus grand chose entre eux non plus et ça fait mal, si mal de se réjouir de si peu, toujours plus que ces derniers jours loin de lui - trop longs trop nombreux - qui ont fait si mal malgré tout ce que Gabrielle a pu dire.

« mais... j'suis contente de voir que t'as rien »

qu'on est là, toi et moi, comme avant

Gabrielle s'est prostrée un peu plus quand il s'est approché - elle avait voulu qu'il passe son chemin non qu'il fasse comme si elle n'existait pas plus le temps juste de retrouver ses couleurs la vie qui l'anime l'extravagance des beaux jours - pas qu'il la voit comme ça si faible si monotone si tristement déchue de tous les titres acquis depuis des mois.

Elle secoue la tête comme une enfant en faute quand il s'adresse à elle - le goût des jours passés - ses doigts se serrent quand le contact de leurs peaux se joue - la saveur des plaisirs assouvis ; un petit murmure en guise de simple réponse « non ! » les mots sortis plus durs que ce qu'elle aurait voulu, le ton ferme, elle relève la tête, les yeux apeurés, les lèvres tremblantes - fronce les sourcils et tourne la tête.

« c'est vrai que ça te va mieux, de jouer le prince sur son cheval blanc qui arrive après la bataille... qu'est-ce que tu veux, d'abord ? »

elle se recule contre le dos du banc, incapable du moindre mouvement, retire doucement sa main de celle de son amant - ancien amant, mais ça sort pas, pince ses lèvres, essuie ses cils humides malgré l'absence de larmes d'apitoiement - Gabrielle est surprenante, parfois, elle ne pleure pas.
Avant de se rappeler que ça servait à rien de mentir, de lui mentir, à lui

« je voulais pas m'enfuir... je voulais rejoindre Eulalie. J'étais coincée avec ta pute... » c'est sorti tout seul, elle le regarde droit dans les yeux, se sent bête et jalouse tout d'un coup, et n'aime pas vraiment ça « pardon, avec Jiang, et d'autres élèves que je connaissais pas, alors j'ai voulu être avec des gens que j'aime plutôt que rien faire... »

elle baisse la tête, joue avec les manches de sa veste, cherche quelque chose à rajouter - ne surtout pas le laisser s'échapper en inconsciente cérémonie

« si tu voulais que je sois pas loin, pourquoi t'as arrêté de me répondre ? » ses yeux se plissent, porte l'accusation en retour « oh, t'étais déjà avec Sasha, peut-être ? »

moi non plus, je ne t'ai pas quitté des yeux tout ce temps.

Gabrielle reste cloitrée dans son mutisme de longues minutes, levant les yeux au ciel à chaque coup porté par la voix tranchante de celui qui se disait "âme soeur" - et c'est reparti pour un tour.

Gabrielle ne regrettait pas grand chose de ce qu'elle avait fait, pas avec Robin, mais elle s'en voulait pour avoir laissé Ace piétiner son coeur, Yingyue l'enterrer sans honte, et avoir céder à sa jalousie mordante quand son propre égo avait été bafoué.

« Tu "étais" ? » Sa voix tranche, elle le regarde, sourit avec insolence à cet aveu qu'elle ne soupçonnait pas possible chez lui jusque là - avant de tourner la tête pour ne pas glisser pour la simple beauté de son visage.

« C'est ça que t'es venu faire ? Savoir où j'en suis avec Robin ? »

Gabrielle hausse un sourcil, pose son menton contre son genou, cherche son regard et quand elle se sent s'y perdre, ferme les yeux un instant.

« premièrement, j'ouvre mes cuisses à qui je veux. Ça ne te regarde plus depuis ce jour-là. » elle finit par se relever, passe une main sur sa jupe plissée pour enlever la poussière imaginaire, rajuste sa veste « deuxièmement, tu peux pas qualifier de "rien" ce qui se passe avec quelqu'un d'amoureux. Fais pas celui qui s'en est pas rendu compte s't'eu plait, Sasha il en pince carrément pour toi et c'est pas nouveau. » Son regard se fait plus dur, sa mâchoire se crispe. « je le sais parce que j'ai ressenti la même chose pour toi... ses lèvres s'arrêtent, elle reprend son souffle ... un temps »

Elle plante son regard, courageuse, fière, dans celui d'Ackerley - c'est bien difficile, malgré les horreurs lancées à la gueule, de résister à ses propres envies.

« T'es peut-être cohérent mais t'es cruel, aussi. T'aurais pu prendre n'importe qui mais t'en as choisi un qui t'aime sincèrement » et pas la peine de chercher bien loin un autre exemple de cette infamie - elle réussissait très bien toute seule dans cet art, Gabrielle, et sa façon de chercher l'amour auprès de Robin « c'est dégueulasse, ce que tu lui as fait »

ce qu'on a fait toi et moi.

« t'es venu pour me punir de t'avoir quitté ? Ou alors t'as besoin de jouer au membre du conseil soucieux du bien-être des autres élèves pour être crédible ? »

Son regard dégouline de haine - son coeur déborde d'amour ; et pour ça, elle s'en veut beaucoup trop.

« je parle de Sasha parce que c'est la même chose » elle lui coupe la parole sans honte, lève les yeux au ciel régulièrement parce qu'au final elle commence à connaître le refrain et ne s'étonne plus de ses réactions, tout aussi égocentriques que ses propres attitudes elle se permet même de marmonner, l'effrontée.

puis sa voix se lève, plus haut que ce qu'elle pensait déjà connaître, alors elle reste interdite devant tant d'honnêteté - il perd le contrôle elle le sait - et elle sourit la garce, adore le voir chuter de son piedéstal, et il n'y a là aucune méchanceté : soudainement il lui semble accessible, à portée de mains de ses sentiments étouffants de tout l'amour qu'elle veut bien encore lui donner. Elle se sait bien trop faible devant Ackerley et pendant quelques secondes ne résiste plus se laisse porter contre lui y trouve un soulagement inattendu. Quand bien même ils se crachent des vérités abominables, monstrueuses ses bras l'attendent ils sont identiques dans leur cruauté et voilà le retour de l'amour malsain! ça n'aura pas duré, le conte de fées.

« toi aussi tu me ma... »

tout s'écroule avec les mots de trop.
peut-être qu'ils ne peuvent pas s'aimer - trop.

le réveil est brutal, Gabrielle qui avait fermé les yeux s'extirpe du conte de fées à peine recommencé, c'est que de la fiction c'est illusoire, et criant de vérité.
elle recule du peu dont elle est capable, ne réfléchit plus, sa main vient heurter le visage de son aimé - tout ça semble puéril alors, le romantisme à deux balles - la gifle claque dans le silence de l'accalmie de leur échange, et d'ici elle voit l'hystérie dont il allait l'accuser dans deux secondes.

« me "siffler" ? J'ai bien entendu ? » elle reste muette l'espace de deux seconds, la main toujours levée « tu m'as pris pour ta chienne ? Mais tu peux aller te faire foutre en fait. »

elle y croit à peine, le basculement, la remise en question de tout, ce qui est arrivé et ce qui aurait pu se passer, le piège dans lequel elle a failli tomber, et les sentiments si forts qui l'auraient fait chuter.

« qu'est-ce que je suis conne... » ça pourrait la faire rire, presque, mais Gabrielle n'est que consternée d'être suffisamment stupide pour y avoir cru - la réaction est vive et la vérité hurle, elle sait ce qui fait mal, pour elle comme pour lui. Et si elle est cruelle avec Robin, elle est cruelle dans son essence, alors avec lui aussi « mais le plus con des deux c'est pas moi. » elle laisse planer le doute quelques instants, mais n'hésite pas une seconde à poursuivre la réponse qui ferait mal « t'es vraiment égocentrique au point de pas t'être demandé si entre Robin et moi, ça pouvait pas être réciproque ? » elle sait que les limites sont désormais franchies, et que reculer serait incohérent, irrespectueux d'elle-même : qu'il est temps d'arrêter de s'oublier dans leur histoire« nan... vu ta gueule, je suis sûre que t'as pas imaginé une seule seconde que je puisse avoir des sentiments pour Robin. »

tant pis si elle extrapole, il n'a pas à savoir le fond de vérité trop faible dans cette histoire. elle l'aime plus que Robin, alors il lui fait mal plus qu'Evans ne pourra jamais le faire. « maintenant je vais te poser la question, et tu bougeras pas d'ici avant que j'ai la réponse » elle reste ferme, sans pitié, elle ne pleure pas, elle est en rage « est-ce que tu m'aimes, Ace ? est-ce que toi, tu m'as aimée, même cinq minutes ? »

est-ce qu'on peut retourner en arrière, et oublier le cauchemar qui dure depuis trop longtemps ?

Méfiante, défiante même, l'adolescente reste là, non pas par contrainte mais par choix, elle veut être forte, plus qu'avant, plus que l'image qu'elle renvoie depuis des années, elle fait face et saura en tirer les gloires, quand bien même ces mérites resteront inconscients et silencieux - mais ses sourcils sont déjà froncés et ses traits graves, préparée d'emblée à être outrée de la réaction de son âme soeur - risible. « et c'est reparti, tu crois vraiment tout savoir sur tout et sur tout le monde. Même ce que je ressens ? Je savais pas que t'étais aussi fort, dis donc » elle n'a plus de peine à provoquer ses instincts exclusifs à la limite de l'auto-destruction - d'ailleurs on en parlerait bien, de ces séjours à l'hôpital, mais après tout ça, ça rime à quoi elle sait plus bien Gabrielle.

alors quand le couperet tombe, que sa réponse vient et plus encore, que la décharge de véracité inonde son esprit, elle arrête tout débat, tout mouvement, reste captive entre ses mains - parce qu'elle le veut bien - et ses lèvres voudraient rétorquer quelque chose - quelque chose n'importe quoi et pas laisser le silence roi.

mais rien ne vient, y a plus que le vide dans son esprit et elle a beau dire je suis prête à tout entendre c'est un joli mensonge - je t'aime ça devrait être merveilleux, extatique, prodigieux. elle devrait lui répondre moi aussi tout pardonner tout oublier, mieux encore! avouer sa faiblesse antérieure d'avoir céder aux démons de la jalousie en le voyant avec Yingyue - elle avait retrouvé un prénom, soudain - d'avoir fui sans même attendre des explications de l'avoir condamné au silence pendant des semaines par péché d'orgueil - et voilà le crime originel!- et d'avoir éhontément affiché une romance sans pudeur au bras d'un autre, un ami, un coeur tendre qu'elle sait lui appartenir.

Mais rien ne vient, pas même la volonté de le remettre en question, si peu.
Elle se demande, finalement, s'il attend une réponse, quelle qu'elle soit. Peut-être pas.

« alors pourquoi ça se passe comme ça ? »

les cris ne sont plus douloureux, la voix ne porte plus, ça sert plus à rien - la vérité, c'est qu'il n'y a pas de vainqueur dans cette joute verbale, simplement deux perdants.

« je t'aime aussi. »

et ses avant-bras qui gèlent sont bien peu de choses face à l'échange visuel qu'elle parvient encore à maintenir - sans noir dans les yeux, plus rien de funèbre.

« je t'aime depuis un moment. Je t'aime comme tu es, malgré tous les défauts que t'as, puisque j'en ai aussi. J'étais prête à tout te donner. » elle en avait passé, des heures d'introspection depuis l'année dernière « j'aurai pas dû fuir quand je t'ai vu avec Yingyue. J'aurai pas dû courir vers Robin quand on s'est séparés. J'aurai dû te parler et te demander directement de me rassurer. » L'aurais-tu fait ?

elle pince ses lèvres, mordille la chair, sent son coeur s'emballer, et là peut-être le froid commence à lui faire mal.

« j'aurai dû croire en tout cas et me foutre du reste. Alors pour ça, je suis désolée. » ils sont fautifs tous les deux, elle le sait, lui aussi sans doute, mais elle veut, plus que le reste, lui montrer à quel point elle avait changé ces quelques semaines loin de lui. « mais j'ai pas la force de continuer comme ça. » elle baisse les yeux une seconde, ravale les sanglots ou pleurnicheries qui viennent à elle finalement, déglutis et relève la tête « je peux pas pardonner ce que tu m'as dit. Je suis peut-être faible mais pas assez pour te laisser me piétiner plus longtemps. » le choix qu'elle peut lui poser serait sans doute trop douloureux à assumer selon sa réaction - quand Gabrielle pense que ça ne peut pas être pire, Ace la surprend encore, et tire encore sur toute la force qu'elle tente de rassembler - elle ravale ses larmes, sa colère du reste, tout le monde autour d'eux sans quoi ce serait sans doute plus simple. Alors elle ne dit rien, une esquisse d'abandon se dessine.

Et les barrages ne tiennent plus, voilà que les sanglots coulent déjà sans qu'elle s'en soit aperçu. « c'est terminé.  » elle se dégage de son emprise, n'y trouve pas une grande résistance, mord sa joue pour ne pas s'effondrer un peu plus, et rentre dans l'enceinte dans l'académie sans se retourner.