Les premiers mois avaient été chargés. Si bien que Lucky n’avait eu que très peu de temps pour elle. En quelques mois elle s’était néanmoins déjà créé une belle petite réputation au sein de l’académie. Difficile de la louper. Que ce fût lorsqu’elle parcourait les couloirs avec sa mine patibulaire gravée sur son visage ou bien lorsqu’elle donnait des cours qui pouvaient partir en vrille salement, la dame avait fait une impression marquée. Bonne ou mauvaise, elle ne saurait le dire, mais son nom était sur beaucoup de lèvres à l’académie.

Mais pas que. Les échos de son passé résonnaient aussi bien dans les bruits de couloirs que dans les esprits les plus impressionnables. Sans forcément parler de malaise, il était clair qu’elle était loin de faire l’unanimité. Une ambiance pesante régnait parfois lorsqu’elle était présente dans une pièce. Lucky, elle, gardait seulement l’œil ouvert et l’esprit fermé. Prisonnière de ses pensées et souvenirs, en cette journée elle eut besoin de se rendre à l’école primaire, là où tout avait commencé.

Car les prémices de sa vie, elle les avait vécues ici. Les premières expériences avec son alice et celui de son frère, le façonnement de son caractère et sa personnalité, tout avait commencé ici. Mais curieusement, la charge émotionnelle qu’elle imaginait ressentir fut faible, voire inexistante. Elle ne ressentait aucune nostalgie. Le pas lent, Lucky prenait son temps aujourd’hui. Du temps, elle en avait devant elle, alors elle en profitait.

La tête dans les nuages, les rêveries de l’ancienne militaire la plongèrent dans un monde dont elle seule semblait avoir l’accès. Elle oublia vite tout ce qui l’entourait, se contentant de mettre un pied devant l’autre, sans savoir la destination qui était la sienne.

Et plus le temps passait, plus elle se demandait.
Qu’est-ce que je fous ici…

Et la réflexion fut interrompue. Brutalement. Choc et fracas. Pour elle ? Bien évidemment que non. C’est à peine si elle trébucha. Solide sur ses appuis, la collision lui fit simplement faire un pas de recul.
Elle regarda devant elle, rien.

Elle baissa les yeux.
Frêle petit être, sur ses fesses posées, tenait sur ses pieds des rollers.
La louve légèrement agacée eut dans l’idée de lui donner une leçon.
Parce qu’elle avait senti le choc, elle avait entendu le fracas.
Mais elle n’avait pas entendu le son de sa voix… à cette morveuse.

Elle le lui fit donc remarquer, d’un ton calme certes, mais qui ne laissait planer aucun doute sur la teneur de la menace :

─ Je n’ai pas entendu.

Sous-entendu : Excuse-toi fissa avant de te manger un coup droit, revers de la main façon Roger Federer. Lucky ne savait pas jouer au tennis, mais alors l’aller-retour de la gifle, c’était un geste technique qu’elle maitrisait. Et pour donner un petit coup de pouce à la gamine, elle téléporta les rollers qu’elle portait aux pieds dans ses mains, avant de les secouer en regardant la gamine ; droit dans les yeux.

─ Je compte jusqu’à trois. Si tu veux revoir tes patins, je te conseille de te grouiller. Un… deux…

Pas de place à la négociation.
La louve ne demandait pas, elle exigeait.

Temps écoulé.

Les excuses de la gamine étaient sommaires, mais correctes malgré tout. Lucky n’avait rien à en redire. Une chose était certaine, la grande dame avait laissé une forte impression. Si bien que la petite baissa rapidement la tête, ne souhaitant pas tenir le regard avec la professeure davantage. La petite surenchérit, promettant qu’elle ne referait plus une bêtise pareille.

Lucky avait sincèrement envie d’exploser de rire, mais elle se retint. Au-delà d’être dans une situation cocasse, l’ancienne du MI6 n’avait pas envie de traumatiser la pauvre petite. Mais elle pouvait le constater sans doute : la leçon avait l’air d’être bien assimilée.

Si bien que Lucky ne ressentait même plus le besoin d’impressionner la petite davantage. Elle méritait peut-être une récompense ? Comme un toutou à qui l’on donne une friandise ? Gratuit ça. Cette pensée arracha un rictus mauvais à l’enseignante.

Elle téléporta les rollers de la gamine à ses pieds, puis s’accroupit. Le doigt sous le menton de la gosse, elle la força à relever la tête pour regarder la louve, droit dans les yeux. Et lorsqu’elle sentit une pression de la petite qui cherchait de nouveau à baisser la tête, elle la dissuada aussitôt :

─ Tu ne croyais quand même pas t’en tirer à si bon compte petite ? Pourquoi tu me regardes comme-ci j’allais te manger toute crue ? Pas de risque, je n’ai pas faim. Dit-elle avant de faire un rapide mouvement de la tête vers la petite tout en claquant la mâchoire, dans l’unique but de l’emmerder. Puis elle reprit, avec un ultimatum : en tout cas, pas encore. Alors je te conseille vivement de rester sage, on ne sait jamais.

Le menton de l’enfant entre son pouce et son index, Lucky appliqua une pression suffisamment désagréable pour rapidement se faire comprendre.

─ Compris ? Mademoiselle ? Tu as un prénom, je suppose, comme tout le monde ?

Inutile de demander si elle connaissait le sien.
À voir sa réaction, la réponse était évidente.

Audace.
Ou insolence ?

Ou peut-être même les deux à la fois. Toujours est-il que la petite avait raison sur un point : Lucky ne pouvait pas manger un enfant. Oui, ça tombait sous le sens, mais ça ne faisait pas de mal de le préciser. Et bien que le sourire tentât de lui monter progressivement aux lèvres, l’enseignante s’efforça de ne montrer aucune émotion. Ne serait-ce que pour faire comprendre à la gamine que cette brillante improvisation ne l’amènerait nulle part.

Elle dodelina de la tête, horizontalement, montrant sa désapprobation aux propos que tenait l’enfant. Et si elle pensait tout de même avoir raison, Lucky se permit de clarifier :

─ Personne n’a le droit de foncer dans les autres en rollers non plus. Pourtant tu viens de le faire, deux poids, deux mesures alors ? Non je ne pense pas. Attention à tes petits élans d’insolence petite… ta jolie petite bouille ne pourra pas te sortir de toutes les situations.

Et certainement pas de celle-ci.
Enfin elle déclina son identité : Zélie Aureus. Lucky aurait aimé pouvoir dire qu’elle la connaissait, mais elle n’avait jamais aimé mentir. Et le petit commentaire qui suivit, eut le don d’attirer l’attention de la louve. Cela sous-entendait beaucoup de choses et notamment que sa réputation la précédait. Pour que les bruits de couloirs naviguassent jusqu’ici… décidément, la vétérante, avait fait forte impression.

En à peine quelques minutes, Lucky venait d’apprendre tout ce qu’elle voulait savoir : le nom de la gamine, ce qu’elle représentait pour elle et surtout, qu’elle était définitivement intimidée par elle. Mais quand bien même, l’adulte ressentit le besoin de tirer certaines choses au clair avec elle :

─ Les grands parlent beaucoup… voyez-vous ça. Et dis-moi, ma chère petite Zélie ; que disent les grands ? Qu’est-ce qu’ils disent de moi ? J’espère qu’ils ont bien précisé à quel point j’ai horreur des mensonges par exemple…

Sous-entendu : tu mens, tu prends, une tarte dans la figure.
Parce que c’est le tarif.

La petite Zélie, bien qu’impressionnée, ne se murait pas dans le silence pour autant. Mieux, elle avait même un semblant de répondant. Lucky ne pouvait qu’apprécier. Elle qui ne s’était jamais écrasée devant qui que ce soit, aimait cette attitude. Il y avait une différence abyssale entre respecter quelqu’un et être soumis à lui. En l’occurrence, la gamine avait peut-être encore du mal à dissocier les deux, mais elle faisait déjà ses premiers pas dans la bonne direction.

« Je ne mens pas » ; ce à quoi la louve répondit dans la seconde qui suivit :
─ Il vaudrait mieux pour toi. Pas une menace, mais plutôt un conseil.

Et vint alors les réponses aux questions de l’adulte. Zélie avait conscience de qui elle avait en face d’elle. Elle avait rapidement assimilé ce qu’elle devait faire ou ne pas faire, raison pour laquelle, Lucky adoucit l’étreinte sur le menton de la petite. Elle était forte, vrai. Physiquement, mentalement, elle n’avait pas à se plaindre. Mais ça… l’enfant l’avait compris par elle-même.

Elle eut un sourire amusé lorsqu’elle mentionna le pourquoi de son fameux surnom : « headshot ». Sans pour autant prêter attention à ce qu’elle marmonnait dans sa barbe et n’en ayant pas vraiment cure, elle écouta toujours avec une attention particulière ce qu’elle avait à dire. Plus les minutes passèrent et plus l’adulte ressentait une certaine tendresse pour la gamine. Certes, elle avait été agacée auparavant par ce qu’elle avait fait ; mais elle constatait néanmoins qu’elle était plutôt bien éduquée. Le personnel de l’académie semblait faire un bon job avec elle.

Elle ne s’attendait pas à la suite de ses propos, ne put s’empêcher de pouffer de rire devant cette candide petite demoiselle. Mais pour sa gouverne, elle n’hésita pas à la corriger :

─ On dit : « droit dans ses bottes » Zélie. C’est une expression qui veut dire que quoiqu’il arrive, je reste fidèle à mes principes. Je te donne un exemple : si j’estime qu’un enfant doit être puni quand il fait une bêtise, je le punirai. Et ce, peu importe qui il est. Il pourrait être un prince, mon propre enfant, je le punirai quand même. Jamais de traitement de faveur avec moi.

Une question lui brûla alors les lèvres. Parcourant la joue de la petite à l’aide de son pouce, dans un élan soudain de cajolerie, la louve lui demanda d’une douce voix :

─ Ta maman ne t’a jamais expliqué ce qu’est une expression ? Ou bien un adulte de l’académie ? Pour la taquiner, elle rebondit sur ce qu’elle avait mentionné auparavant : ah et en effet, je ne me loupe jamais quand je lance quelque chose sur quelqu’un. Tu comprends maintenant pourquoi il vaut mieux éviter de me contrarier hm ? Pour appuyer son propos, elle pinça délicatement la joue de la gamine.

Elle n’en avait pas terminé avec elle.
Mais elle pouvait au moins éviter de la terroriser davantage.
Même si finalement… elle avait du cran la mioche.

Il en fallait vraiment peu.
Que ce soit pour l’impressionner ou bien la rassurer ; ça, ou la petite avait vraiment une mauvaise image de la vétérante. Une fois encore, on pouvait affirmer que sa réputation la précédait. Il suffit d’un simple instant de tendresse pour la voir changer un peu d’attitude, reprendre un peu d’aplomb tout en sachant pertinemment quelle pouvait être la sanction si l’idée lui venait de faire une connerie. Lucky avait réussi son coup et la conversation allait enfin pouvoir changer réellement de ton.

La révélation de la petite sur sa mère provoqua chez la louve une réaction étrange. Sans réellement pouvoir décrire ce qu’elle ressentit à cet instant… elle sentit son palpitant se serrer légèrement dans sa poitrine.

« Je ne connais pas encore maman »
─ Je vois. Moi non plus Zélie. Mais ce n’est pas si grave, on peut s’en sortir sans maman, regarde, j’en suis la preuve vivante. Pourquoi avait-elle pris l’initiative de la rassurer alors qu’elle n’était potentiellement pas inquiétée à ce sujet, impossible pour la dame aux cheveux cendrés de l’expliquer. Elle avait agi spontanément, sans réfléchir. Comme un instinct… non, oublions.

Qu’elle ne connût pas l’expression, c’était purement compréhensible, si bien que l’adulte ne fit aucune remarque. Au contraire, elle encouragea son éventuelle envie d’apprendre :

─ Ce n’est pas grave petite. Il y a tellement d’expressions, moi-même je ne les connais pas toutes. Mais si tu as envie d’apprendre, je peux t’aider. J’en connais quand même plein et ça serait dommage de les garder uniquement pour moi. Mais on verra déjà si tu le mérites. Chez moi, c’est donnant donnant.

Et bien évidemment, la louve avait une idée derrière la tête lorsqu’elle s’exprima. Une fois de plus, elle ne put s’empêcher de glousser lorsque Zélie s’émerveilla devant les aptitudes de l’enseignante. Sa réplique sonna comme un compliment dans la bouche de la petite, ce qui ne fut pas pour lui déplaire à la dame. Elle répliqua alors :

─ Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Le meilleur serait de voir cela de tes propres yeux tu ne crois pas ? Faisons un marché Zélie. Tu vas me prouver que tu peux être sage pendant quelques mois, que tu feras attention quand tu te baladeras avec tes rollers et que donc tu ne fonceras pas dans les gens. Une tendre papouille dans la chevelure de la petite, un nouvel élan de sympathie, qui laissa toutefois planer l’ombre d’une menace, d’un ordre : Je serais particulièrement attentive à ce que l’on me rapportera sur toi. Si je n’entends que du bien alors, nous irons ensemble et je te montrerai l’étendue de mes talents. Et j’imagine que je n’ai pas besoin de te demander ce qui se passera si j’entends du mal de toi ? Non pas qu’elle ne lui faisait pas confiance, mais… c’était une possibilité.

Elle positionna alors sa main devant la gamine, puis reprit :

─ Si le marché te convient, tape dans ma main.

Étrangement, elle n’avait aucun doute à ce sujet.
Elle sentait quelque chose, émanant de l’enfant.
Ou quelque chose qu’elle ressentait vis-à-vis d’elle ?
La réponse à cette question n’était pas encore claire dans l’esprit de la louve.
Et elle n’avait jamais aimé l’ambiguïté.
Raison pour laquelle elle voulait tirer les choses au clair.

Pour la première fois depuis le début de leur échange, Zélie se montra enthousiaste. Certainement rassurée par le fait que la louve ne semblait pas vouloir la bouffer toute crue, elle se détendit pour de bon. Lucky malgré le fait de n’avoir jamais connu le bonheur d’être mère, n’avait paradoxalement pas trop de mal avec les enfants. Au contraire, elle se débrouillait même plutôt bien, en attestait la scène qui se déroulait sous ses yeux.

Si la louve était capable d’impressionner, elle était aussi capable de faire sourire lorsqu’elle en avait envie. Jamais cruelle pour le plaisir, uniquement par nécessité, c’était en tout cas ce qu’elle estimait faire. À cet instant, Zélie était une personne totalement différente. Mise en confiance par la dame aux cheveux cendrés, elle se permit même de la challenger. La louve quant à elle, dans un sourire carnassier, lui répliqua qu’elle n’avait qu’une parole :

─ J’ai beaucoup de défauts, petite, mais je ne fais jamais de promesse que je ne peux pas tenir. Je n’ai qu’une parole. Mais tu en auras la preuve bien assez tôt.

Et comme elle avait horreur de parler pour ne rien dire, elle ne prononça pas un mot de plus, laissa la petite interpréter ses paroles comme elle le souhaitait. D’ailleurs, avec aplomb, celle-ci se permit de dire que finalement, la dame n’était pas si tyrannique qu’elle en avait l’air. Ce qui la fit presque rire d’ailleurs. Un sourire mutin se dessina sur les lèvres de l’enseignante, amusée par ce revirement soudain de caractère de la gamine. Elle était en confiance et elle avait de bonnes raisons de l’être.

Pour autant, Lucky se permit de clarifier quelque chose :

─ Je te disais tout à l’heure que je punis uniquement ceux qui le méritent. Toi, je te laisse le bénéfice du doute. Si je n’ai pas de raison de m’énerver, je suis calme. Si tu te comportes bien, tu n’auras jamais de problème avec moi.

Et l’inverse était tout aussi vrai.
La louve marqua une petite pause et reprit :

─ Je te souhaite de ne jamais avoir de raison d’avoir peur de moi. Sinon ça voudra dire que tu es dans de beaux draps.

Et l’emploi d’une expression pour taquiner la gamine était bien évidemment délibéré.
Les leçons venaient tout juste de commencer.
Sans préambule. Lucky n’aimait pas perdre de temps.

Même dans la bouche d’un enfant, les mots avaient un impact. Et lorsque la professeure écouta Zélie parler, elle se posa des questions. Mais pour une fois, elle ne lui demanda pas de clarifier son propos, pensant sans doute que ce n’était pas la peine, qu’elle comprenait simplement où elle venait en venir. Et elle avait parfaitement raison. Beaucoup parlaient, sans tenir leur promesse. Lucky, elle, parlait peu, menaçait souvent d’ailleurs, mais, lorsqu’elle devait les mettre à exécution, elle ne se priait pas pour le faire, bien au contraire.

Il y avait bien une promesse qu’elle n’avait jamais pu tenir. Aujourd’hui encore, elle s’en voulait ; à s’en mordre les doigts. Mais ça, ça ne regardait pas la petite. Et quand bien même, elle était peut-être encore trop jeune pour comprendre. Malgré son côté candide, Zélie n’était pas stupide bien au contraire. L’esprit était même assez vif, si bien qu’elle était vite arrivée à une conclusion concernant la louve : inutile de la craindre lorsque l’on n’avait rien à se reprocher. Elle avait parfaitement raison. D’ailleurs, elle se permit de le clamer haut et fort.

« J’avais peur de vous, mais j’ai plus peur »
─ Tant que tu es sage… tu n’auras pas de raison d’avoir peur.

Mais si elle venait à se montrer ingrate malgré la magnanimité de l’enseignante, la punition pouvait être terrible. Gamine ou pas, Lucky châtiait tout le monde de la même façon ; ou presque. Alors que la dame pensait se plonger dans ses pensées, la petite changea le sujet de la conversation dans un éclair de curiosité qui ne manqua pas de faire sourire de nouveau son interlocutrice. Cette interrogation, curieusement, lui provoqua un petit pincement au cœur.

Quelques souvenirs refirent surface, chamboulant quelques instants la louve, qui se montra presque évasive dans sa réponse :

─ Je sais faire du patin à glace à vrai dire. C’est un peu le même principe, mais sur la glace c’est un peu plus difficile de s’arrêter ou de contrôler sa vitesse. Je ne sais pas s’il y a une patinoire aux environs de l’académie, vers la ville par exemple, mais j’aurais bien aimé te montrer. Toi tu m’apprendras à faire du roller et moi du patin si ça te chante.

Elle ne mentionna pas avec qui elle en faisait bien évidemment. Car la dame ne souhaitait tout simplement pas en parler. Mais elle se rappelait encore des moments passés avec son frère. Et une fois encore, elle se souvenait à quel point il lui manquait. Fort heureusement, sa mélancolie soudaine fut interrompue par une Zélie qui revint sur l’expression que Lucky avait employée auparavant. Un nouveau sourire en coin, puis en bonne prof qu’elle était, elle expliqua ; une main dorlotant la chevelure de la gamine, dans un nouvel élan de tendresse, comme si elle souhaitait l’amadouer.

─ C’est une… un soupir et ça repart : c’est une expression Zélie. Dit-elle dans un rire goguenard à peine caché, elle reprit, plus sérieusement cette fois : être dans de beaux draps, ça veut dire être dans une situation délicate ou dangereuse si tu préfères. L’exemple est tout trouvé, si tu te comportes mal, tu auras des problèmes avec moi et donc, tu seras dans de beaux draps. L’unique raison pour laquelle tu n’as plus peur de moi pour le moment, c’est parce que je le veux bien. Souviens-toi de ça Zélie. Ne l’oublie jamais. C’est un petit conseil que je te donne.

Tu parles.
Carrément une menace ouais.
Pourquoi se le cacher, la louve avait des attentes avec cette gamine. Elle espérait ne pas être déçue.

Il était dingue de voir, comment, avec de simples mots, Lucky pouvait égayer comme pourrir la journée d’un individu. L’impact était encore plus grand avec un enfant. L’attitude de Zélie était bien différente que lors de son premier échange avec la louve. Alors qu’elle était presque livide comme un cadavre quelques minutes auparavant, elle avait soudain repris des couleurs, égayant petit à petit la conversation entre elle et l’adulte. Les mots avaient parfois ce pouvoir ; et lorsque l’enseignante les maniait, ils prenaient ainsi tout leur sens.

Car la trentenaire, dans sa volonté de ne mentir qu’en cas de nécessité absolue, ne mâchait pas ses mots, ceux-ci frappaient souvent là où ça faisait mal. Ses expériences professionnelles lui avaient appris bien des choses… dont les subtilités du langage. Elle en connaissait une qui avait encore du mal avec cela, mais après tout, ce n’était qu’une enfant. Et les petits, c’était peut-être vif, mais pas toujours au point sur certaines notions.

Zélie, elle, allait devoir travailler les expressions. Et Lucky, elle, bien qu’elle n’avait aucunement l’instinct maternel, avait toutefois cette volonté de transmettre son savoir… et lorsqu’elle tombait sur quelqu’un qui voulait véritablement apprendre, elle était ravie.

Elle le fut encore plus lorsque de la bouche de la petite, elle apprit qu’une patinoire existait non loin de l’académie. Certainement à la ville. Et bien qu’elle devait vérifier la véracité des propos de la petite, l’espace d’une seconde, la louve s’abandonna à certaines pensées, qui lui donnèrent du baume au cœur.

La petite main de l’enfant se présenta à elle, la louve tapa dedans en signe d’approbation à sa proposition. De nouvelles promesses, celle de se revoir, celle d’en apprendre un peu plus sur l’autre, celle de transmettre son savoir. Et bien que cela n’avait l’air de rien, pour les deux, c’était paradoxalement très important.

Questions nulles ? Ahlala… cette déclaration ne pouvait qu’engendrer une bonne réponse de prof :

─ Mais non, mais non, il n’y a pas de questions nulles Zélie. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Si tu as une question, pose là, peu importe si elle te semble débile, si tu veux une réponse, il faut la poser. Elle marqua une petite pause, puis fit quelques pas en avant, invitant la petite à l’accompagner en roulant, tout en reprenant d’une voix calme : je ne te promets pas d’avoir la réponse à tout. Mais si je le sais, je te le dirais.

Et si elle n’avait pas la réponse à sa question, alors elle gardera le silence. Il vaut mieux se taire et passer pour une conne que d’ouvrir sa bouche et confirmer qu’on l’est. Et ça, la grande, elle le savait très bien.

─ Qu’est-ce que t’appelles être intelligente toi ? Je suis curieuse, je demande bien ce que ça représente pour toi. On va faire travailler un peu tes neurones petite...

Et accessoirement la taquiner gentiment.
Parce qu’à cet instant précis, il n’y avait plus de menaces qui plainaient dans l’air.
Juste une conversation candide entre une adulte et un enfant.
Une conversation agréable.

Toujours en compagnie de la petite Zélie, la trentenaire écoutait celle-ci avec la même attention depuis le début de leur échange. Début qui fut tendu, mais qui s’apaisait au fur et à mesure que le temps passait, pour finalement devenir une conversation candide ; ce qui n’était pas pour déplaire à la louve. Sans être capable d’expliquer pourquoi, elle appréciait cet instant. Sans doute parce que la petite lui donnait la possibilité de transmettre ce qu’elle savait ; que celle-ci restait curieuse, toujours désireuse d’apprendre, d’en savoir plus, de grandir.

Lucky voyait cependant qu’elle était même prête à griller les étapes, essayer de comprendre les adultes alors qu’elle n’était qu’une gamine… c’était un challenge périlleux, presque impossible à réaliser. Et pour éviter de la bercer d’illusions, l’adulte fut comme à son habitude : franche et directe.

─ Oh là, ne va pas trop vite en besogne petite. Les adultes ont déjà du mal à se comprendre entre eux malgré leur savoir et leur expérience, tu risques d’être vite déçue si tu penses pouvoir comprendre les « grands » comme ça, en claquant des doigts. N’essaye pas de griller les étapes Zélie, au contraire, procède palier par palier, essaye de grandir et de murir à ton rythme, ne force pas les choses.

Elle concevait que ce qu’elle lui disait était compliqué. Elle aussi avait été gamine, elle aussi voulut faire les choses plus vite que la musique. Elle aussi eut du mal à comprendre qu’il fallait procéder étape par étape… en essayant de s’occuper de son frère turbulent dans le même temps. Tout ne fut pas rose, tout ne l’était pas encore aujourd’hui… mais elle était toutefois fière du chemin parcouru.

Et cette sagesse, ce calme qu’elle avait acquis au fur et à mesure du temps, elle devait le transmettre à une gamine qui avait les mêmes symptômes qu’elle. Tâche ardue, mais pas impossible pour autant.

─ Il faut quand même que je te dise Zélie, le savoir et l’intelligence sont deux choses bien différentes. Ce n’est pas parce que tu sais quelque chose que tu es intelligente. Ce qui est important ce n’est pas l’information que tu détiens, c’est comment tu l’utilises. Comment tu t’adaptes aux situations. Elle soupira… comment expliquer tout cela avec des termes simples… mais ça, tu le comprendras bien assez tôt si tu t’en donnes les moyens. Mais vraiment, n’essaye pas d’aller plus vite que la musique…

Difficile à concevoir pour une gamine.
Lucky parlait avec sincérité, mais avait néanmoins l’impression de ne pas être assez claire.
Mais comment expliquer quelque chose à une enfant… lorsque même des adultes n’étaient pas foutus de comprendre ?
Bonne question.