Vivre avec les autres, c’est le jeu des auto-tamponneuses. Jusqu’au début d’après-midi, Teagan s’en était bien sorti. Esquive des questions chiantes. Victoire du « Non » en réponse au « je peux voir tes réponses ? »  Un repas avec un compagnon silencieux - lui-même, et surtout l’absence de résistance face à l’assaut de la sieste digestive. Ça lui est tombé dessus pendant un cours magistral. La fatigue s’est pointé en catimini. S’est collé à lui et l’a invité à s’abandonner.

Point de départ d’un chemin semé d’embûches.

Parce qu’il a dû faire un détour par la chambre d’un autre étudiant pour récupérer ses notes. A peine a-t-il mis un pied dans la pièce que le repli stratégique surgit dans son esprit. C’est un jour à se transformer en Burrito Man. A se laisser happer par la couette et engloutir des cochonneries.

Adossé à la porte, Teagan écoute, les yeux dans les vides. Oui, il a dit qu’il aurait aimé faire une bataille sportifs vs militaires ou politiques avant de partir. Mais, il est certain à 99% de n’avoir mentionné rien de plus. Surtout pas la transformation de l’eau en l’alcool. Et rien qu’à l’odeur emplissant la pièce, il déduit qu’ils essaient l’étape d’après : la transformation du sang en alcool. Ça explique les gestes désordonnés de son camarade, l’impression qu’il est perdu dans sa propre antre.

Son cœur bondit lorsqu’il voit enfin les précieuses notes entre les mains du jeune homme. Il tend le bras ; un jet éclabousse son sweat-shirt. Au milieu de l’hilarité, Teagan fusille du regard son attaquant, touche le coton du bout des doigts, et les renifle.

Je hais les gens.

Mensonge furtif sous le coup de l’irritabilité. Tout redescend, une fois dans le couloir. Les épaules affaissées, des soupirs mourant sur ses lèvres, les yeux sombres accrochés à ses silhouettes invisibles.

Il est sorti.
Il a les notes.
Il a une anomalie au bout du bras gauche.

Ses soupirs redoublent au froissement du sac en plastique. Cette fois-ci, le « Non » n’a pas été efficace. Et pas le temps de le déposer dans sa chambre. Pas le temps de se changer en quatrième vitesse.

Alors, enveloppé du parfum vodka bon marché, Teagan franchit le seuil de la salle commune. Il ne voulait pas laisser le temps de réfléchir à Klaus. C’est comme dans un match : le temps de réaction est primordial. L’occasion file sous le nez ; le point est perdu.

Tant pis.

Il s’installe dans un coin, se penche sur le sac et se frotte la joue.

Qu’est-ce qu’il va faire de ces pistolets ? En tout cas, sûrement pas les tests qu’on lui a demandés.

Deux sentiments contradictoires se déploient à l’arrivée de Klaus : Dieu merci, j’ai pas attendu pour rien et RAH, s’il avait annulé, j’aurais pu me replier dans ma chambre. En attendant, il a fait des micro-siestes, mais nullement réparatrices entre les allées et venues des autres élèves et le bruit incessant. L’esprit rêvant encore d’oreiller et de couette, il considère Klaus en silence.

— C’est ma parade nuptiale pour attirer un alcoolique.

Et entre deux « je veux pas bosser », Teagan se dit que c’est le moment de surfer sur l’apparente bonne humeur de Klaus. Ça durera sans doute pas. Mais toutes les minutes qui n’équivalent pas à « prise de tête » sont bonnes à prendre. L’énergie reste une denrée précieuse. Il lui en faudra pour rejoindre son lit.

Déjà qu’il a le sentiment d’avoir les neurones branchés sur le courant alternatif. Un coup, ça fonctionne. Le suivant, ça s’éteint. Bosser dans cet état-là, jamais. Ça ne l’empêche pas de prendre le temps de se pencher sur la situation. Le plus sage est d’adopter l’angle sportif. Il y a eu la première rencontre - désastreuse. Être coincés dans le vestiaire se rapproche du match permettant d’évaluer leur travail d’équipe - mitigé. Et Teagan concède, à lui-même, qu’il n’a pas trop aidé.

Et surtout conclusion de tout ça, se lancer dans le boulot alors que la dynamique n’est pas optimale ne sert à rien. Ça revient à laisser deux tennismen qui se tolèrent avec peine jouer en double, et les encourager à continuer. Pas comme ça qu’on forme une équipe gagnante.

Problème numéro un : il ne connait pas Klaus. Et le point sur lequel il a déjà mis le doigt ne suffit pas.

— Cette heure est la tienne, considère que tu peux nous faire faire ce que tu veux.

Ce qui veut dire qu’il devra trouver une méthode simple et efficace que son heure soit la plus productive possible. Rien d’insurmontable, s’il sait diriger Klaus en esquivant la ligne rouge.

Teagan se redresse un peu, appuie ses bras sur ses cuisses. Les yeux se plantant dans ceux de son interlocuteur.

— Qu’est-ce que tu fais en dehors des cours ? Et… (il repense à leur première discussion et aux informations que le professeur a lâché) quand tu ne baises pas, ne fais pas de yoga et n’utilise pas ton alice ?

La dernière est une supposition plus qu’autre chose. Mais il voit bien ses camarades et se dit bien que certains ont dû approcher le jeune homme.

— Avant que tu ressortes ce mot, non, je ne te salke pas. Et si t’en parles encore, je vais finir par croire que c’est ton fantasme, mais je respecte cela dit.

— Oui…

Trop tard pour ravaler ses mots. Point de retour en arrière, l’onde de choc se propage. Un mot lui vient : dommage. Dommage d’abandonner. Dommage de l’avoir ouvert. Toutes les directions derrière le terme convergent vers la même finalité. Le cercle vicieux commence toujours avec lui. Les émotions suivent. S’engouffrent, prises au piège d’un appel d’air. Et plus il écoute Klaus, plus la tentation de l’opposition croît. Je t’arrête. Non. On va oublier. La défiance torpille la confiance. Ou les premières bases de cette dernière.

Teagan malmène ses ongles. Frotte celui de son majeur gauche contre son pouce droit. Jaloux ? Non. Terrifié ? Oui. Les informations le rassurent. Simple préparation mentale. Avec quelqu’un comme Klaus, il en a besoin. Mais au final, il se sent empêtré dans un tunnel à l’issue invisible.

Soit il rebrousse chemin et trahit ses paroles.
Soit il fait fi de sa peur et suit sans protester.

Il s’enfonce un peu plus dans son silence, se masse lentement la paume droite avec son pouce gauche, pétrit la chair pour en faire sortir la crispation qui se concentre. Le programme dressé ne l’alerte pas. Aucune chance pour qu’un seul point de cette liste arrive. S’il n’était pas entre deux eaux, il lâcherait un « mais bien sûr… » Non, le plus probable est qu’ils se prennent la tête, qu’ils se blessent mutuellement, qu’ils reviennent au point de départ. Et mine de rien, cette rengaine, envisager les choses sous cet angle négatif, tient en joug son appréhension.

Qu’est-ce qui pourrait être pire ? La réponse lui saute à la figure. Diable sorti d’une boîte qu’il tente de refermer aussi vite que possible.

Il ouvre la bouche ; son torse se soulève. Et tu pourrais au moins me dire où on va ? D’un côté, il voudrait savoir. De l’autre, ses pensées se cristalliseraient sur l’information. Extraction des pires scénarios avant le possible impact. L’ignorance est plus sage.

Pourtant, le mot « amusant » crapahute le long de sa nuque. Le mille-pattes s’enfonce sous son haut, alors qu’il attrape ses affaires et se lève, prêt à suivre Klaus.

Rester fidèle à ses mots. Mais surtout à ce qui se dresse derrière. Il ne peut pas se retrancher derrière ses craintes et ressasser l’état de leur situation. Se plaindre que rien avance. Qu'il faut que ça bouge alors que l'envie de freiner des quatre fers le démange.

Et si faire confiance se révèle être au final une mauvaise idée, il pourra toujours rester planqué, loin, très loin, jusqu’à leur prochaine rencontre.

Le silence l’arrange. Emotions au repos, inutile de puiser dans ses réserves pour entretenir la conversation ou de s’appesantir sur ce qu’il devrait taire ou dire. Etrangement, il se sent bien. Apprécie même l’absence de discussion. A un moment, ce calme se brisera, alors Teagan savoure. Il n’attend pas grand-chose de cette soirée. Le curseur de l’espoir se bloque sur « pourvu qu’on évite la case violence ». Le reste ? Ce ne serait que du bonus. Evidemment, faut qu’il y mette du sien. Et la solution se trouve peut-être dans l’absence de communication verbale. A méditer.

Ses pensées ne se cristallisent pas sur cette possibilité. Elles mènent leur petite vie et animent son monologue intérieur. Teagan passe en revue sa journée, s’interroge sur sa mauvaise nuit, peste contre certains de ses camarades, se demande où trouver un major pour Kasey, prie pour que les journées cessent d’être aussi chaotiques. A l’intérieur, ça bout. Ça fuse dans tous les sens. Mais ses lèvres closes ne laissent pas soupçonner l’agitation qui le remue.

Une autre jaillit parmi ses divagations internes. Il y a des lieux qu’il préfère éviter. En particulier en compagnie de certaines personnes. Klaus en fait partie.

Les forêts de l’Académie le ramènent à des souvenirs douloureux. A un besoin de fuir. D’être hors d’atteinte. Illusion que personne ne pouvait le blesser.

Son regard erre sur la masse de végétation. Pour toute réponse, il sort son téléphone, cherche l’icône de la lampe torche.

— Dans un film d’horreur, ça finit toujours mal ce genre de situation.

Un grognement lâché tout en emboîtant le pas à Klaus. Oh, il lui fait confiance : pour l’entraîner dans un plan foireux. Mais Teagan sait à quel moment, la balance de la confiance pèsera en faveur ou non du jeune homme. Ça, il le garde pour lui. Cette défense pourrait passer pour une attaque.

A la place, il met son énergie restante à suivre le rythme. A éviter les racines dissimulées dans l’obscurité. A essayer de mémoriser le chemin au cas où Klaus décidait de lui fausser compagnie et le planter dans un coin qu’il ne connaît pas. Ouvrir la marche, c’est une chose. Le ramener à bon port, une autre. Envisager le pire l’aide à garder les pieds sur terre. A ne pas se laisser happer par son passé.

Deux époques. Une ironie se dégage de leur superposition. Un « dire que » empreints de sentiments diamétralement opposés. J’ai grandi…

Peut-être est-ce une occasion de se délester de quelques poids. Ce n’est pas comme si ça ruinerait quelque chose d’important.

La musique résonnant au loin le distrait. Mais il a comme un pressentiment : celui qu’il n’y a pas que ça. Celui qu’il y a quelque chose qui ne lui réussit pas.

Et c’est clairement pas dans ce genre d’endroit qu’il va dénicher un major.

— Je sais pas qui de nous deux a envie de vivre dangereusement, là tout de suite. (une pause) Sinon faire des folies de son corps au fond des bois, c’est cool, mais y a de la bouffe au moins ?

A ce stade-là, il n’a pas la force de ronchonner. De rappeler les règles et les possibles emmerdes à la clé.

Alors, autant se concentrer sur la base.

— Baiser ? Je croyais que la tendance au sein de l’Académie était de se taper quelqu’un pour assouvir un besoin d’attention.

Il voit les gens. Il écoute les gens de sa promo. Il a eu le temps de se faire un avis. Mais ce qui fascine Teagan, c’est surtout l’effet cyclique des relations humaines. Au printemps, on se tourne autour. L’été, c’est la saison de l’éphémère. L’automne, un peu plus de sérieux. Et en fin d’année, on sonne l’oraison des séparations. Du moins, ce sont ses observations, celles qui le confortent de rester en retrait.

Son attention se reporte vers Klaus au mot manger. L’intérêt ne dure pas. Quelques secondes plus tard, il lève les yeux au ciel. Sans rien dire. Le silence lui convient parfaitement tant qu’ils ne sont pas arrivés à destination. En son for intérieur, Teagan maudit son père et ses gènes. Chez les Kwok, c’est maman qui tient bien l’alcool, et papa qui évite d’en boire. Et bourré, son père manifestait un réel amour pour le tambourin et les blagues incompréhensibles.

Ne pas anticiper. Ne pas se faire des scénarios à l’avance. Peut-être qu’il réussira à vider discrètement le contenu de son verre - bien qu’on fasse plus écologique. Repousser les souvenirs qui s’immiscent malgré tout. La fuite dans la forêt, se demander comment les autres font pour s’en sortir au jeu des interactions sociales.

Pourtant, une fois sur place, un autre sentiment le surprend. Le désarçonne. Et un seul mot s’impose à lui.
Absurde.

D’être dans la forêt, un endroit aussi chéri que haï.
D’être à une fête nocturne.
D’être à une fête nocturne avec Klaus.
D’être à une fête nocturne avec Klaus qui lui a répété qu’il était chiant.
D’être à une fête nocturne avec Klaus après leurs dernières rencontres.

Ça le frappe à ce moment-là.
Le décalage entre celui qu’il a été et celui qu’il est.

— Je crois que mon moi de 12 ans aurait été… ému, j’avais ce crush totalement idiot pour toi, ou plutôt non, je pensais que c’était un crush, mais t’inquiète, je sais maintenant que c’était surtout une sorte d’envie et de fascination de la part quelqu’un en manque de repères et en détresse…

Une pause. Le téléphone toujours entre les mains. Ça picote, ça tiraille. Une plaie cicatrise ; il restera tout de même une trace. Celle qui lui dira J’ai grandi. Ce n’est pas un vœu. Ce n’est pas un espoir. C’est un fait. Ça lui tire un faible sourire. Ce que Klaus peut penser de ses paroles, il s’en fiche. Sa parole s’est libérée, l’espace d’un instant. Et ça lui fait du bien à lui. D’avoir pour une fois le regard dirigé vers la sortie du tunnel et non, sur l’entrée. D’apercevoir de discrètes lumières ondulées sur les parois.

Et à son tour, il tape dans le dos de Klaus.

— Je vais faire un effort. Je peux bien faire ça, t’as dit les mots magiques.

Mais plutôt que de rester à ses côtés, que d’aller chercher un verre, il se dirige vers le groupe d’étudiants tout en rangeant son téléphone portable.

Là tout de suite, il a une mission : bouffe.

Très vite, son problème le rattrape. Avoir quelque chose en tête ne chasse pas ses freins. Comment gérer l’incapacité à parler de tout et de rien, alors que c’est exactement ça que les autres utilisent pour juger ? Coincé, bien sûr qu’il l’est aux yeux des personnes qui se nourrissent de l’énergie des autres. Mais coincé n’est pas le mot. C’est juste une moquerie qui lui rappelle sa différence. Qu’il vit les relations humaines d’une autre façon.

Englué dans cette pensée, il achève son petit tour au milieu des étudiants présents. Retour sur ses pas. Deux élèves sont en train de discuter. Elles semblent juste posées dans leur coin, l’air tranquille. Timidement, il les observe, puis approche petit à petit. A leurs pieds, entre elles, un sac de chips.

L’amorce est compliquée, mais tout dépend aussi de la personne en face. Si elle lui offre l’occasion de se laisser porter ou non. Il rebondit sur leurs paroles, tente de rester dans cette dynamique peu naturelle pour lui. Jusqu’à ce que l’une lui propose de s’asseoir avec elles. Rapide regard derrière lui. Klaus fait sa vie ; il décide d’en faire de même. Tant pis, si une question inévitable ressurgit.

Les trente minutes de rigueur commencent dès qu’il prend place auprès de l’une d’elles. Trente minutes, c’est une sorte d’arrangements entre lui et les convenances.

Refuser de l’alcool n’en fait pas partie. Alors, il accepte la bière, boit deux gorgées, alors que la conversation s’écoule paisiblement. Quelques remarques fusent ici et là. Teagan a le sentiment qu’elles testent un peu ses réactions, mais la fatigue et la moitié de la bière - disparue à son insu, ou plutôt à sa plus grande surprise -, ne font naître que moue ou sourire sur son visage. Un rire gêné lui échappe, lorsque l’envie de danser prend ses interlocutrices.

Il a les joues rouges, un voile brumeux en train de flotter au-dessus de ses pensées. Allez, c’est pour toutes les interactions sociales que t’as évitées jusque-là. Une longue gorgée. Quelques mouvements coûtent rien. Aucun geste flashy, - ça, il le laisse aux personnes qui savent vraiment danser -, lui bouge avec un minimum d’effort avant d’estimer que c’est bien assez.

Nouveau éclat de rire, alors qu’il recule dans la pénombre. Non, non, ça suffira pour ce soir. Alors, il récupère ses affaires, cherche Klaus du regard. Plisse les yeux. Secoue la tête.

Il aura toujours le temps de le déranger au moment de son départ. Ou peut-être qu’il devrait s’éclipser sans rien dire. Sortie garantie sans frictions. Pourtant, il imagine bien Klaus lui rappeler uniquement ce qui l’arrange à un moment. T'as pas le droit de dire non... tu te rappelles ? Cette heure est la mienne, c'est toi qui viens de me la donner. S’il se barre en douce, est-ce que ça compte comme un non ? Comme un accord tacite non-respecté ?

Casque sorti du sac, il échoue dans un endroit loin des groupes. Coup d’œil au téléphone portable. Horloge, ma belle horloge, dis-moi que l’heure fatidique approche. Bon, on va dire encore vingt minutes. Repousser le temps pour être un maximum présent.

Décision précise, il s’allonge.
Musique dans les oreilles, yeux sur le ciel.

Un sursaut, et il manque de se redresser à l’apparition de Klaus. Il s’apprête à balancer « putain, tu m’as fait peur ! », mais aucun son ne file entre ses lèvres. La musique laisse place aux rires et cris des autres étudiants. Pourtant, son corps reste cloué au sol. Et une lueur incrédule brille dans ses yeux. Y a un truc qui est pas câblé comme d’habitude. Comme ça devrait être. En tout cas dans son esprit. Et Teagan sait que ça n’a rien à voir avec la conversation avec les deux autres élèves, ni sa danse improvisée, ni l’alcool.

Non, tout tient à l’instant T. Au sentiment d’avoir été pris de court et jeté dans le grand bassin des situations improbables. Ses oreilles sont habituées à leurs prises de becs, à l’agacement ou à tout autre émotion de même nature dans la voix de Klaus.

Mais celle qui l’entend là le replonge dans le doute. Est-ce que. Peut-être que. Des bribes de pensées qui commencent, ne s’achèvent jamais.

Pourquoi est-ce que c’est si compliqué de savoir quand il franchit une limite et menace de finir le nez écrasé contre un mur ? De savoir quand il soulève un pan de rideau et aperçoit ce qu’il ne devrait probablement pas voir ? D’accepter qu’il se bat sans doute davantage contre lui-même que contre Klaus ? D’accepter la peur ?

Le temps qu’il sorte la tête hors de l’eau, Klaus s’est déjà éloigné.

Merde.

Teagan se relève aussi maladroitement que précipitamment. Couvre la distance les séparant à coup de grandes foulées. Arrivé presque à sa hauteur, il lève la main. Une seconde d’hésitation, et ses doigts se faufilent dans les cheveux de Klaus. Les ébouriffent. Glissent mollement un instant sur la nuque.

La seconde d’après, il lui souffle à l’oreille.

— Je n’ai jamais pensé que tu avais vraiment envie de passer la soirée avec moi.

Appui sur le vraiment. Sur ses propres doutes. Un pas sur le côté, et il s’éloigne pour se rapprocher d’un étudiant en train de boire. Avant de jouer, c’est mieux d’ingurgiter une nouvelle dose d’alcool. Lorsqu’il rejoint le groupe, la moitié a déjà disparu. Et cette fois-ci, il n’hésite pas à s’asseoir à proximité de Klaus.

Diverses réactions succèdent les aveux. Des rires francs, des silences suivis d’un malhabile « Bon, suivant ou suivante ? », des gloussements gênés, des taquineries ou des « oooh » teintés de déception. Faut dire quelque chose qui en vaille la peine. Alors, Teagan réfléchit, sépare ce qui va dans « ce que je pourrais dire », dans « ce que je voudrais dire », et « ah ah, seulement sous la torture ».

Son tour survient alors qu’il est encore en plein ménage intérieur.

— Je n’ai jamais confronté les élèves qui m’ont harcelé.

Voyelles et consonnes qui s’échappent. Immédiatement, une grimace barre ses lèvres. Fuck whatever. Ça plombe sans doute l’ambiance, mais l’alcool tient la honte à distance. Juste dire les choses telles qu’elles sont, utiliser les mots justes plutôt que de minimiser les actions, ça l’apaise.

Doucement, il se penche en direction de Klaus.

— Je pense que tu es plus doué que moi avec les groupes… et ce genre de jeux.

Et puis soudain, Teagan pense à tout ce qu’il pourrait dire. Avec encore plus d’alcool dans le sang. Après des minutes à rester éveillé. Alors, il sort son téléphone portable. SMS à Kasey. A peine a-t-il envoyé le message qu’il repense à Klaus. Kasey. Klaus. Kasey.

Cette fois, il se penche davantage pour murmurer à l’oreille.

— En échange de quoi, tu promets de rester gentil ?

Ils seraient gosses, Teagan lui sortirait « si je te donne mon goûter, tu promets de rester gentil ? » Encore plus jeune « si je te file mon jouet - » Malheureusement, l’âge pour une telle approche a été dépassé depuis un moment.

Alors dans une décision unanime prise entre lui et lui-même, Teagan passe ses bras autour de Klaus et l’étreint dans un bref câlin. Pour ensuite joindre ses index et ses pouces pour former un cœur.

— S’il te plaît ?

Il prépare le terrain.
Au cas où.