Y'a de ces journées qui s'allongent comme mélasse et engluent le corps. Difficile d'y échapper comme elles surviennent sans raison. Le coupable est en soi – ou peut-être n'existe-t-il pas. À quoi bon chercher. La tête et lourde et abandonnée à la gravité, le peu d'effort maintenu juste pour ne pas se briser le cou en navigant sur son téléphone. Quel bon invité il fait Kasey, appuyé contre le mur en miroir à Teagan, à la différence qu'il a replié une jambe. Absorbé par le fil d'actualité qui jamais ne finit de se débobiner. Mais pas assez pour ignorer son ami qui l'a – quand même – invité. Sa remarque sur l'année qui ne fait que commence lui vaut un court rire et un « Yeah, mood » approbatif. C'est le fardeau des étudiants, quoi d'autre ?

Dans son champ de vision périphérique, il voit l'autre glisser au sol mollement. Ça le fait sourire entre deux posts. Il est vraiment crevé le pauvre. Avoir su, Kasey ne serait pas venu avec les mains vides. À défaut de bières, il aurait pu apporter des snacks. Ça lui aurait peut-être remonté le moral.

Mais ce qu'il prenait pour un down semestriel s'avère plus grave qu'il ne le croyait. À la seconde où Teagan lui annonce qu'il a quelque chose à lui demander, il lève les yeux de son téléphone. Qu'est-ce qui peut être aussi sérieux pour être annoncé comme ça ? Il se redresse un peu contre le mur et dépose son téléphone au sol. Pendant que l'autre s'assoit, se gratte, et regarde partout ailleurs sauf devant lui, Kasey s'attend au pire.

Et de la manière la plus anti-climatique qui soit, la question est d'une banalité ! Pendant une seconde, Kasey ne sait pas quoi répondre, pris de cours. Mais il se reprend en hésitant :

« Eeeh… Ça va ? Ben, les études c'est toujours busy, comme d'hab. Rien de nouveau, vraiment. »

À l'exception de Matisse qui est revenu dans le décor, mais est-ce le bon moment pour en parler ? Y'a quelque chose dans l'énergie de Teagan qui le dérange, voire l'inquiète. La tête se penche de côté.

« Et toi ? Tout… est ok ? »

Dans le silence, Kasey guette les moindres gestes de son ami, en attente d'un mouvement qui le déclarerait coupable, d'un tic criant de vérité. Qu'y a-t-il donc à confesser ? Son esprit est vide, n'osant imaginer autant le pire que le trivial, de peur des faux espoirs. Il le voit tirer la boîte sous son lit et pendant une seconde, il croit que c'est l'objet de ses angoisses. Mais non, ce ne sont que les snacks, bien sûr, à quoi s'attendait-il de ce bon Teagan ?

Et y'a la canette de bière qui émerge de son centre.
Well shit, c'est du sérieux.

Les yeux de Teagan dans les siens. Kasey lui renvoie son regard, à la recherche d'un indice, un seul, un tout petit signal qui pourra le prévenir, amortir la chute.

Il ne voit rien venir. Ses mots sonnent comme un saut du treizième étage. Écrasement inévitable.

« Comment ça, perdre une étoile ? »

Le ton est un peu sec. Malgré lui. Kasey absorbe le coup. Ne comprend pas. Ne veut pas comprendre. C'est de Teagan qu'il s'agit. Teagan ne peut pas perdre une étoile. Teagan est comme lui, un mec bien. Les coudes appuyés contre ses genoux, il croise ses mains devant sa bouche. C'est son ami qu'il voit plonger dans le vide. Et s'il est trop tard pour le retenir, peut-être peut-il amortir la chute.

Ferme les yeux. Ouvre les yeux. Faire preuve d'empathie et de douceur alors que dans sa tête il est déjà en train de freak-out. Être un bon pote. Essayer. Il a besoin de rationaliser. Comprendre. What the fuck Teagan.

« Ok. Ok, explique-moi. Qu'est-ce qu'il se passe ? »

On reprend tout, retour à la case zéro. Étude de la scène de crime avant que la victime ne soit retrouvée. Minimiser les dommages. Se préparer au pire.