embrasser l’universalité ça ne dérange jamais,
l’absence d’individualité
ici c’est chez nous (tous)
et même sur les uniformes on ne se donne pas la peine d’écrire nos noms,
interchangeable
ce qui est à toi et à moi
c’est comme ça que fonctionne la maison.

déballe les cadeaux c’est une fête de famille, sur le paquet c’était marqué Felix mais on sait très bien que son patronyme ou celui d’un autre, si on préfère la surprise du voisin on n’hésitera pas à potentiellement marchander
probablement bousculer gentiment pour provoquer les échanges. un peu du genre « hé elle est trop jolie ta veste Corentin j’suis sûr elle m’irait bien » idéal pour affronter les grands froids. les compliments glissés au milieu du racket c’est Felix c’est (cruellement) bon enfant
toujours.

mais cette année c’est particulier
le hasard a fait qu’on a envie de garder pour soi tellement on n’a pas l’urgence de faire des caprices. cinq minutes on s’est demandé si on était pas en train de s’assagir, c’est dire à quel point c’est surprenant,
Felix satisfait de ce qu’il trouve à son nom.

et il n’existe sûrement qu’une seule personne avec qui on a envie de partager. pas seulement la bonne nouvelle pour narguer comme on aime si bien le faire l’air de dire « holà losers regardez ce que j’ai et pas vous » - non aujourd’hui c’est plutôt pour lancer
« regarde comme c’est chouette
et c’est à nous »
le solstice d’hiver au tournant les jours sont courts on se dépêche, climat polaire aura d’arctique
le froid pique encore plus au fur et à mesure que les pas s’accélèrent
finalement comme courir à moitié c’est pas encore assez Felix pose le gadget à terre - ça aurait été tout aussi sécure de rouler sur la banquise mais on veut vraiment
vraiment se la raconter en arrivant.

chancelant les premiers temps, les premiers mètres titubant au bout de quelques déséquilibres on réajuste
le centre de gravité on le situe plus où moins
et on a bien fait de pas prendre d’écharpe parce que ça aurait fait que gêner.
surtout
ça aurait été beaucoup moins stylé quand on arrive finalement au skatepark les mains dans les poches de la parka, sourire mesquin

Felix dans la place surfe sur des vagues imaginaires
se donne même plus la peine de marcher, pas besoin
la flemme de faire des efforts on s’en fout - Victoire mate ça
on a reçu un overboard.

allez circulez les sales piétons, même pas je touche le même sol que vous !

la fausse tolérance façon va, je ne vous hais point
et heureusement qu’on s’est exercé un peu en chemin, on peut rouler aisément et passer devant toi en levant le menton, Victoire
Felix se marre une fois qu’il a joué les diva, sort les mains des poches à quelques mètres pour enclencher les demi-tour, pas évident encore, on fait un arc de cercle avant de revenir vers toi et ta planche qui attendent dans le frimas,
ça fait des petits nuages de vapeur d’eau quand on rigole trop et
Felix pose enfin un pied sur terre.

alors, pas trop jalouse ? t’inquiète j’ai racketté personne - j’crois que j’suis dans les petits papiers de Tabasco cette année.

sourire espiègle,
mais on est pas venu pour se la raconter uniquement Victoire, évidemment
pas besoin d’attendre qu’on décore les sapins
avec toi c’est toujours la saison pour être généreux.

tu veux essayer ??

fait écho
au temps où tu clamais avec des intonations similaires en parlant des rollers tout juste offerts
allez mets-les !!.

tu le connais bien, Victoire
pro des croche-pattes, expert en balayette
bac +9 pirouettes malhonnêtes
Felix qui ricane quand les copains mangent le bitume, c'est une habitude. mais toi tu le crois capable de rattraper également, saisir les gens au vol plutôt que regarder tomber seulement,
et on a du mal à y croire mais sous tes yeux à toi c'est un réflexe d'acquiescer d'un hochement de tête, les instincts farouches de petite peste enterrés dans les sols tendres de la forêt
où on s'est fait la promesse
de veiller l'un sur l'autre.

attend Victoire ça fait huit ans qu'tu fais du roller et là tu t'es mis au skate - les yeux fermés t'es sensée rouler sur ça.

et sinon ça ne fait rien, il tiendra les mains
au début et même après - on a toute la vie pour apprendre.
alors même si c'est espiègle de te voir chanceler les mains sortent aussitôt des poches - et lorsque tu demandes de les donner
Felix tend aussitôt pour s'emparer des tiennes.

c'est bien parce que t'as dis s'te plaît.

"maman a dit qu'il fallait être poli."
le regard se perd une seconde.
oh il y en a des vides, Victoire
de gouffre immense où ça souffle, glacial le vent qui balaie c'est étendues là. en hiver c'est des rafales
particulières.
des manques qu'on comprend moins, réveillés par la période de l'année. c'est les flammes du foyer qui peinent à lutter contre le froid qui s'installe,
on a beau être à la maison
lorsqu'il n'y a qu'entre nous qu'on peut s'enthousiasmer des cadeaux reçus
ça se sent qu'ils manquent à l'appel.
secoue la tête une fois comme pour zapper ces pensées-là, c'est trop abstrait. et Felix baisse les yeux sur là où l'on met les pieds.

vas-y monte dessus, et quand tu seras stable on tentera d’avancer.

comme les premières fois à vélo
des petites roulettes pour s'aider
à défaut d'avoir des adultes pour nous tenir.

superposition d'univers (parallèles)
les tiens sur les siens
les vôtres sur les vôtres
avant en surimpression sur maintenant ils sont éternels
vos pas malhabiles.

et en sentant la pression des doigts plus forte aujourd'hui, Felix tique et lève les yeux vers toi Victoire, les airs mal assurés comme si c'était plus loin que jamais d'être gagné - rappelle-toi
comment tu t'appelles !
sourire conciliant que tu connais trop bien, la facétie attendrie
qui gagne Felix ces rares moments où c'est amusant de ne pas provoquer des tremblements
chez l'autre (chez toi jamais de la vie).

t'as peur Victoire ? faut pas, j'te tiens encore. t'auras tout l'temps de flipper quand j'te lâcherai sans prévenir !

ponctué de rire pour montrer qu'on dit des mensonges - tu le connais, Felix, on est friand des menaces en l'air.
et tes mains lui aussi il les serre, des lignes droites pour commencer il observe comme tu tiens debout sur les deux pieds - debout c'est pour les courageux Victoire, pour ça qu'on se relève toujours.
il ne te lâche pas, Felix,
mais après quelques pas tu t'assures qu'il est bien là
et les interrogations que tu as réveillent des inconnues sœurs tout à coup,
ternissent les risettes c'est un peu amer
comme toujours lorsqu'on s'attaque à la seule maison
la seule famille qu'on n'a jamais connu.
lui qui réplique aussitôt d'habitude conserve des regards bas, comme trop occupé à faire attention où tu titubes, veille à éviter les plaques de verglas - c'est dans ses yeux que c'est un peu froid désormais.
on voudrait pas que ça se cristallise dans les tiens aussi.

... c'est d'jà arrivé ouais.

et plutôt que leur répliques moribondes on avait eu envie de leur faire cracher des dents. mais toi tu les aimes les gens
Victoire tu les aimes tellement, parler de ceux-là ce serait comme affirmer haut et fort que tu te trompes, parfois, à affectionner universellement.
sauf qu'on sent bien
que tu frissonnes plus que d'habitude
trop tard pour protéger du froid, on est si peu couverts.
alors on peut se montrer rien qu'un peu acerbe.

c'est des imbéciles ceux qui parlent mal comme ça. des gens qui comprennent rien à rien, faut pas les écouter Victoire.

mais si tu en parles
c'est que c'est trop tard, encore une fois.

tremblent les fondations on s'arrête
sent la Terre instable frémir sous les pieds de Victoire on rattrape
resserre l'étreinte des mains sur les siennes et cesse d’avancer -
arrête d'avancer Victoire, si tu sens les vertiges arriver on peut faire une pause et respirer comme il faut.
visage froissé, Felix fixe le sol, sourcils froncés
c'est pas toi Victoire c'est pas ta faute, c'est pas parce que tu fais pas bien au contraire tu tiens debout comme il faut. c'est les autres,
c'est les autres qui obligent à dire à voix hautes les certitudes qu'on porte dans le cœur tous les deux car ils s'amusent à remettre en question vos religions
renversent les idoles - les seules qu'ils nous restent.
Felix ça le met en colère tout à coup, colère folle contre eux tous qui fileraient sans scrupules des secousses à l'édifice, allument des départs de feu pour menacer,
y provoqueraient des incendie si jamais on leur en laissant l'occasion.
et il rétorque, Felix. réplique avec le venin qu'on lui connait bien qu'ils se trompent tous, qu'on a raison, nous -
oui
elle fait vraiment au mieux. pour tout le monde.
et ceux qui affirment le contraire mériteraient qu'elle tourne le dos mais vous savez lui et toi qu'elle ne le fera pas. et ça l'enrage.

bah des fois elle devrait pas. parce que ceux qui l'ouvrent ils cesseraient direct de jouer les grandes gueules si on les foutait dehors demain sans prévenir. ils s'raient dehors là tout d'suite, ils pigeraient direct qu'ils auraient mieux fait de lui dire "merci" plutôt que de cracher sur ce qu'elle a fait pour eux.

et c'est toujours le sol qu'on fixe, Victoire,
parce qu'on les déteste ces gens-là et les regards haineux
ils sont pour eux, surtout pas pour toi.

inspire de l'air glacial, Felix
pour tenter de balayer les incendies furieux qui brûlent en dedans - on se nourrit du froid hivernal. que ça reste des braises, que surtout ça commence pas à ronger ronger ronger et faire du mal, à lui comme à ceux qui entourent - gaffe au retour de flamme. jamais ça s'éteint, Victoire
et parfois Felix est désolé de n'avoir à révéler au grand jour que trop de forêts consumées, des tapis de cendre qui grisent un peu tout. l'innocence elle est terne, l'insouciance parfois cruelle, et puis les colères même justifiées sont toujours trop affamées.
mais toi tu acceptes.
toi les feux tu ne les trouves jamais méprisables - ça reste des foyers auprès desquels on peut se réfugier et toujours tu reviens, pas peur des brûlures. c'est pas seulement destructeur au contraire - le sentiment que c'est utile quand c'est pour repousser les attaques des autres, toujours de quoi s'éclairer dans le noir avec des flambeaux de ce genre.
et c'est sincère les lueurs dans les yeux lorsqu'il se risque à les lever vers toi, Victoire, on respire mieux
c'est pas paisible mais presque, les pieds sur Terre
on est en état de dire ce qu'on pense
sincèrement.

on a jamais été aussi bien qu'ici Victoire.

et quand tu parles des dessins offerts accrochés potentiellement quelque part, Felix ne veut pas croire que les esquisses puissent terminer dans le vide. au bord des ravins toute la vie - les gens dont tu parles, c'était les premiers à offrir une prise
à tendre la main. alors les dessins c'est certain
ils les garderont précieusement Victoire.

c'est sûr. tout à fait l'genre de ton père de les exposer fièrement sur le frigo avec des magnets où y a ta photo.

souris Victoire, ces gens qui dénigrent ils n'auront jamais accès à ces expositions, ils n'atteindront jamais ces trésors là pour décrocher et remettre en question. et les cils papillonnent de questions parasites, tandis que Felix reporte des regards pensifs sur vos mains qui se tiennent encore
toujours.

... j'sais pas dessiner mais je trouverai bien quelque chose. et on tentera de leur faire passer ensemble. quitte à déroger au règlement un peu débile parfois
autant l'faire à deux.

même les soupçons d’Enfer dans votre Paradis
on vit avec, Victoire,
on ne peut que les aimer

c'est qu'elle nous l'a si bien appris.

comme des reflets
je brille que si tu brilles et jusqu'aux sourires c'est des échos - ah il leur en a fallu du temps ! pour résonner aussi forts. étouffés sous des tapis de feuilles morts les premiers moments, enterré six pieds sous terre il a fallu creuser, planter les doigts dans les sols meubles de la forêt pour inhumer ces cotés-là de Felix et
heureusement que tu étais là Victoire.
qui considère que c'est jamais perdu qui a jamais perdu espoir, alors qu'on aurait pu
on aurait pu tourner le dos comme on fait souvent devant les enfants trop brisés. et Felix n'aurait souri que pour les grandes occasions - les pires, dont on est trop facilement capable.

mais là c'est réveillé pour de bon, capables de générosité
on a déjà fait tellement de cadeaux à Noël et aux anniversaires
et toi Victoire tu aimes, tu aimes toujours
même si c'est fait main et maladroit des fois.

nan mais j'étais trop con aussi, j'étais sûr que ça s'tiendrait j'sais pas j'me disais des fois les pommes de terre ça se conserve plusieurs mois.

et quand on parle d'espièglerie au soupçon d'insolence Felix retrouve des risettes plus enthousiastes encore, regard illuminé par les milles idées qui bombardent l'esprit on est doué lorsqu'il est question de désobéir
aujourd'hui c'est gentiment, ça ira.

oh mais clair ! tu sais c'qu'on devrait faire ? ta mère, on lui fait une blouse personnalisée, où on aura dessiné et tout. bon du coup ce s'ra à moitié trop beau à moitié trop laid mais écoute normal -
ce s'ra fait ensemble.

sûr qu'elle osera pas la porter aux consultations
mais à la maison peut-être.

et puis on leur enverra des photos, à rajouter sur le frigo.

pour qu'ils voient tous les deux
comme on grandit bien tous les deux.

Victoire même aux derniers paliers des Enfers
déterre des inspirations aux lueurs d'Eden
auréolée de cheveux blonds des airs angéliques lorsque tu proposes innocemment d'abandonner le recto pour le verso
à l'abri des regards et plus près du cœur
on dessinera sous les étoffes pour éviter toutes les représailles.
et Felix illuminés des mêmes éclats - de rire - la trouvaille géniale emballe aussitôt
le palpitant, des cavalcades sous les mailles des vêtements, réchauffe pour de bon le cœur.

mais naaan trop bonne idée Victoire ! vas-y demain j'fais en sorte d'avoir un œil au beurre noir pour faire un détour à la clinique et lui chourer la blouse, ni vu ni connu on la remettra le jour de Noël.

ça veut dire qu'il faudra trébucher au Réveillon mais ça ne fait rien - on a l'habitude des subterfuges pour improviser des visites jamais condamnées. et tout à coup tu enclenches à nouveau les dynamiques, électrique, injecte tes énergies infinies dans tout l'air qu'on respire
saisit Felix, passe un bras autour de ses épaules
Victoire entoure, toujours,
pour immortaliser les virées - toutes les virées, même celles qui titubent.
à développer en double - un exemplaire pour votre boîte au trésor
un pour la leur.
mais attend Victoire - attend rien qu'un peu encore
si jamais ça leur parvient et ça leur parviendra forcément
comme ça, ça ne va pas.

holà Victoire, tu veux t'faire taper sur les doigts ou quoi ?

et Felix défait vos équilibres, s'écarte un instant pour défaire les fermetures de la parka, s'en défaire même s'il fait froid il vient la poser sur tes épaules, ajuste les pans du manteau histoire que t'aies l'air plus couverte - il a un sweat et encore un t-shirt dessous ça ira.

si ils captent que tu sors sans blouson quitte à risquer la crève ils vont s'faire des nœuds tu les connais.

on reprend là où on en était, un peu amusé,
et c'est Felix qui passe un bras autour de tes épaules cette fois
faut changer un peu Victoire, de toute manière
depuis toujours c'est chacun son tour
tu sais bien.

que ce soit lui ou toi dans la parka c'est à l'identique Victoire,
les manteaux comme les coups d'cœur comme les mots doux
c'est échangeable, ça ne le dérange pas, lui va toujours
et plus grand que toi au moins les vêtements t'iront toujours.

j'ai toujours raison. une fois j'ai cru que j'avais tord, j'ai vérifié - j'avais raison.

joue au malin pour accentuer les fossettes, graver et faire qu'elles restent
peut-être pas pour de bon Victoire - ça ne fait rien si elles s'éclipsent de temps à autre - mais au moins un moment. tant qu'on avance en parallèle
qu'on regarde dans la même direction - et Felix étreint un peu mieux les épaules, vient poser la joue contre la tienne comme tu l'as fait l'instant d'avant, appuie pour qu'on est l'air un peu idiot, dans tous les cas tous les deux on est jolis
à viser droit dans les objectifs - on sourit.

flash
capture l'instant présent.


on vérifie
on sait qu'on aura tout le temps d'admirer les instantanés mais on vérifie
car une fois développés on ira enfouir les clichés dans la boîte au trésor au cœur de la forêt - imprime d'ors et déjà les images dans la rétine,
Felix s'empare du téléphone pour tourner vers vous
sans te lâcher, contemple le résultat

et il sourit
sourit, souris Victoire

ils trouvent que vos risettes se ressemblent
tellement.

celle-là si ils l'accrochent pas direct au frigo,
je sais pas ce qu'il leur faut.

quand c'est vous deux on veut toujours
avoir raison.