ce n’est pas vrai qu’on pleure. ni le jour même ni le soir et ni les heures à venir. ce n’est pas vrai que le cœur déborde comme dans les films, comme dans les putains d’étapes conseillées par google. ce n’est pas vrai.

ou peut-être c’est sa faute. anaël, petit con d’anaël, ne sait peut-être pas pleurer. ça aussi, ça l’a sans doute abandonné à sa naissance.

aujourd’hui est passé. les cours les repas. sa façon de vivre. et avant quand j’bouffais ma shit ici, toi tu mangeais les fish n’ ship d’mommy. j’sais pas, vous bouffez quoi dans l’vide maintenant ? anaël en retenue au dîner, parce qu’il écoutait l’algèbre pieds sur le bureau, à filmer les bégaiements du prof. rien contre les bègues, ce sont les potes qui voulaient faire un montage rap pour leur révision, question que ça rentre mieux dans la tête. à la demande polie de remettre ses pieds au sol, rendre le cellphone à son ami – parce qu’anaël n’a pas touché au sien depuis quatre jours – l’impertinence dans la réplique. irrespect que même lui, d’habitude, ne supporte pas. anaël, sans réfléchir,

imite les d-d-descend-d-dez vos p-p-pieds monsieur q-quinn. méchanceté dans le ton, violence gratuite. anaël jamais n’attaque l’intégrité, seulement les contours les limites – question de les ouvrir.

en retenue pour le dîner. il s’en fout. prend ses ciseaux et grave fuck you sur le bureau. ce n’est pas vrai qu’on pleure. parce que ses yeux n’ont aucune raison de verser des larmes. c’est le cœur qui ploie sous la colère. rester ici, coincé barricadé

depuis dix ans,
dans trois jours.

trois jours
et t’aurais dit, et j’t’aurais entendu,
t’aurais dit : « bon anniversaire fils, maint’nant que j’t’ai m’né jusqu’ici, vas-y éclate-toi, c’maintenant qu’ça d’vient amusant »
mais t’vois, t’dis rien. t’peux rien dire now anyway.
et j’suis stucked here, même pas pu t’entendre rire
juste one last time.

dans la gorge en retenue, le cri. la rage. sait pas si c’est parce qu’il est tombé sur un grand romantique optimiste, mais anaël s’est fait dire que c’était bien ; la première étape vers la réhabilitation. se frustrer parce que la vie est injuste et puis après, tenter de faire son meilleur pour survivre au calvaire. et donc, se taire.

anaël yeux noirs. attendre le dernier cours de la journée. ça va, c’est avec les potes encore et toujours – y a-t-il au moins une personne de chaque classe qu’il ne connaît pas ? – alors on arrive à rire. comme depuis la première seconde, ce matin. on s’échange insultes à la pause. se passe des croquis salaces, échange des eye contact parce qu’on ne comprend rien.

et enfin, on se lève, range son matos. ça crie FRIDAY NIGHT PARTY TIGHT, anaël rit. ça traite le bro de défoncé annuel. on lui demande s’il fait quelque chose ; de la neige au grenier qu’anaël répond. mais seul parce que la dernière fois les autres savaient pas se tenir. dernière insulte. et tout le monde parti.

aujourd’hui est passé. le prof aussi ; dans son dos, un majeur tendu. anaël seul dans la classe, s’apprête à prendre la porte en dernier. puis

lâche son sac dézippé contre le mur. explosion.

FUCK OFF. FUCK OFF. FUCK. OFF.

les cahiers, l’étui, les manuels. au sol. et les chaises prennent les murs et les tables se renversent s’entrechoquent le grincement des pattes en métal – crissement sur le plancher – chaises balayées une nouvelle fois ; l’une lancée avec violence contre le tableau. le vert érayé. les bureaux repoussés à coup de pied. le corps en rage noire

profonde noirceur
douleur

les mains qui empoignent une table, veulent la soulever comme les autres
et puis son nom.

parce que c’est bien lui, qui a dit à mommy, le jour de sa naissance qu’au final, fille ou pas, c’était beau comme prénom,

anaël.

figé. ne la regarde pas.
attente.
avant d’enfin lever les yeux vers laëstiel. et ça ne sait plus quoi faire. ce n’est pas vrai qu’on pleure. ce n’est pas vrai. elle replace la pagaille, il n’a pas le cœur de lui arracher des mains ce qu’elle répare.

détachement, anaël se redresse. ne la regarde plus parce qu’il ne sait pas si ses yeux savent encore fixer quelque chose. c’est bloqué ailleurs, dans les souvenirs.

anaël se retourne vers les fenêtres, corps ployé par la solitude soudaine. tête penchée et la voix enrouée quand elle tranche l’air – tousse un coup.

vas-y, blâme-moi j’m’en fous. (faut prendre le temps de respirer, mains sur les hanches, planté dans le vide) j’m’en fous.

et il tousse.
cœur à vif, mais redevenu familier. un peu. parce que ce n'est pas un surveillant ou un prof qui s'est pointé. parce que c'est elle, laëstiel.

ça voudrait hurler de se la fermer. hurler de décamper finalement. parce qu’on en revient
encore
et toujours
encore
et FUCKING toujours
aux conséquences de l’académie. ça serre les lèvres, les dents

tu n’es pas rangée dans les amis, les ennemis, les connaissances les frères et sœurs tu n’es pas rangée dans une famille tu es quelque part qu’anaël n’arrive pas à définir

alors comment veux-tu qu’il te crie de déguerpir sans craquer lui-même. alors ça ferme les yeux et ça tente d’oublier le son de ta voix. laëstiel. alors ça respire, rouvrir le regard et tenter de l’ancrer dans un coin du présent secouer la tête se dire non, non pas envie d’accepter. ça avale comme un noyé.

aujourd’hui
pop t’es toujours plus là.
et il se souvient très bien. oui.
de la douleur de porter un masque. de la douleur imposée sous prétexte d’exemple. mais il en a oublié la honte, anaël en a oublié la peur. du moins, avant que la menace ne sorte de sa bouche, alors qu’elle a juré devant une chaise brisée. faudra trouver une excuse.

mais pas maintenant. anaël ne veut pas y réfléchir, lui répond alors qu’elle parle toujours.

so tell me, tell me qu’est-ce ça change que j’accepte the hell those bastards nous chie dessus. si ça peut l’ramener, ok. OK. J’VAIS ACCEPTER JESUS CHRIST. OK. o…

k.
anaël qui s’étouffe. le cœur se blesse de monter le ton devant elle. laëstiel n’a rien fait. voilà. il ne comprend pas ce qu’elle fait là – mais ça cache un sourire dans l’esprit parce qu’il n’aurait voulu personne d’autre – n’arrive pas à saisir ses gestes, en quoi ça l’affecte qu’au lendemain on retrouve la classe démontée, qu’on vienne le chercher au grenier, qu’on le plante dans un masque et

anaël flanche sur ses genoux. s’accroupit, le front contre ses poings. faire le vide. le vide. vide.

.

elle casse un peu, la voix. elle tousse encore. bataille de neige matinale qui reste au fond de la gorge. elle casse un peu quand il faut parler de toi.

non, laë. non. non. (le dernier tombé fatigué tellement fatigué) j’me foutrai jamais d’toi.

combien de jours depuis la nouvelle ?
on dirait une éternité à avoir tout enliser.
combien de jours, depuis que son pilier s’est érodé, anaël qui vivait à sa manière parce qu’il savait que ça rendrait fier son père. et on fait quoi maintenant. on crève, putain.

pourquoi t’es là ? qu’est-ce que ça peut t’faire qu’on me massacre once again ? on crève tous anyway.

pardon, qu’il ajouterait. mais parler lui fait davantage mal que d’agir. parler, retrouver les mots dans l’esprit, tu sais, les mots qu’on nous donne à la naissance. paraît les plus rapides à apprendre sont papa et maman. sa communauté, anaël, ne comporte pas autant de membres que la tienne.

on en décime un, c’est le tier de l'univers qu’on éventre.
le soupir qui sort – détresse.
finalement on parvient à l'ajouter, le

pardon.

ceux qui t'aiment. rire. nerveux. puis hausser les épaules. à défaut de sentir ses pieds au sol, sentir les yeux vouloir s’incruster plus profond que la terre. c’est toujours de sa faute laëstiel, ce sera toujours de sa faute. on ne change pas les vieilles habitudes. ici, on renaît ; entrer dans le dôme comme envelopper une nouvelle identité. ici, non, on ne change pas ses vieilles habitudes. sinon anaël aurait sans doute une étoile. et avec beaucoup de travail, peut-être même deux.

ça aimait compter, ça aimait comprendre pourquoi ulysse de joyce était dicté classique et pas le premier tome de l’apprenti épouvanteur. ça voulait régler cette injustice. ça voulait spéculer plus loin que l’expansion du big bang.

maintenant on hausse les épaules et on tousse.

il faudra lui donner tes trucs, laëstiel. comment tu fais pour tenir, comment on t’a montré la vie pour que la communauté ne te donne pas envie de crier, quand elle est si loin de toi. c’est vrai, il y a sullivan ici – et sûrement d’autres qu’anaël ne connaît pas, ne s’en souvient pas.

il faudra lui donner tes trucs. il voudrait bien faire comme toi, juste renifler puis passer à autre chose. c’est que des parents après tout, c’est fait pour casser avant les enfants. paraît-il.

alors anaël sous le coup des questions, anaël reçoit la vie de plein fouet. ah, savoir être fort. se relève, brusque, éclate encore.

voix lourde.

yeah right. my life, choices, etc. mes fucking croyances, mais d’jà faudrait qu’j’aie un truc de tout ça, you know. mais plot twist c’là qu’ça s’complique. (tousse) j’pourrais tout éviter, right, j’pourrais faire like a grown ass man et tout irait bien.

n'a pas regardé laëstiel une fois, s’écarte en marchant dans le vague. les bras qui s’écartent qui fatiguent et puis retombent.

mais ici j’suis pas un grown ass man, ici j’suis con. même pas capable de pleurer quand son père crève parce que j’suis trop débile (mot acerbe dans la bouche) pour vivre d’façon civilisée. par contre ça veut pas m’lâcher into the wild life non. ça préfère garder les ratés alors qu’ils pourraient être tranquilles, oubliés.

les mains dans les cheveux, secouer sa tête. secouer l’esprit. puis les mains contre la nuque, être son propre piquet. mais ça voudrait prendre laëstiel dans ses bras. renverser sa couronne qu’anaël ne remarque toujours pas. les petites attentions, en ce moment, en filigranes sur la pellicule de l’absence.

j’bloque pas des gens sous la piscine, on me r’garde pas comme on look asmo, j’ai pas b’soin d’faire attention aux contacts. j’ai un alice de débile qui sert à fuck all, useless shit ever, mais j’suis stucked here parce que c’tait pas assez que pop et mommy se soient chier toute leur vie pour avoir un kid, non. fallait qu’on le drag out there, comme s’il fallait m’protéger d’quoi. qui s’rait plus con qu’moi pour ausculter un alice qui garde ton fucking smartphone allumé ?!! SUCKERS

empoigne une table fraîchement relevée. renverse en criant. replace tout de suite. parce que laëstiel s’est tout de même fendu le cul pour effacer le bordel. et parce qu’anaël ne se fout pas d’elle.

si ça pouvait ramener son père, laëstiel. si seulement ça le pouvait.

quand elle engloutit la distance, anaël ne fait rien. se laisse enlacer, veut hausser les épaules dire je m’en fous, limite rire parce qu’après tout, on est jeune on a toujours la vie devant soi et puis tout le monde en perd des personnes chères et puis

le corps tendu, tendu, qui se relâche. les bras autour d’elle et la serrer si fort, anaël ne veut plus la lâcher. combien de jours depuis leur premier échange sans s’insulter. si peu, davantage d’heures absentes entre les deux. ce n’est pas aglaé, il ne se trouve pas une connerie à balancer, il ne se tient pas droit à juste encaisser. et les souvenirs de famille improvisée ne servent à rien.

il faudra comprendre un jour, pourquoi avec laëstiel les choses ont un goût différent, pourquoi sa présence actuelle soudain  le libère davantage que la colère. et dans la gorge peut-être ce qu’on croyait disparu – ou inexistant. dans la gorge, anaël perdu et ses bras serrent plus fort laëstiel.

la voix tristesse, défaite.

j’ai rien à foutre ici, j’devrais pas être ici.

mais il n’aurait jamais connu asmo, aglaé, félix, leo, cosmos
il n’aurait jamais connu laëstiel et parce qu’iels sont logé⸱e⸱s quelque part dans l’esprit, ça ne peut plus faire comme si

imaginer une vie avant eux. avant elle.

laë. laë. j’sais plus quoi faire. s’il avait eu que quarante maybe ça s’rait pas arrivé. laë pourquoi j’suis con même à ma naissance, pas foutu d’arriver à temps. laë, j’en ai marre je sais pas pourquoi je sais rien, laë. j’t’en supplie, pars pas aussi.

je t'en supplie.

oui, la vie si différente. et elle se casse encore quand il apparaît. quand il parle à la porte. anaël, yeux noirs, a relevé la tête, cœur insulté

mais ça reste figé dans les bras de laëstiel
parce qu’à voir le robot,
putain, laëstiel. ça va se pendre s’il faut qu’elle reçoive des coups. mais non. distance à l’arrachée. séparation mécanique. et anaël, les yeux meurtriers, anaël corps solitaire planté dans l’espace. écoute le robot – veut lui démonter la tête.

s’avance nez à nez avec rex. c’est conscient que ça va payer, et pourtant ça menace encore de sa présence, ça menace de saccager.

k. ouvre la voie canne d’anchois. j’te suis.

et anaël en oublie son sac ; de toute façon, il n’aura pas besoin de son matos de cours là où il va. seulement de sa résilience. comme toujours. perd le regard sur le visage de laëstiel, sourire bref. mais les yeux dans le mal-être. laëstiel épargnée,

pardon.

à cinquante-quatre ans, qu’il veut dire.

un jour, laë, ça te parlera des souvenirs. ça les animera. et peut-être qu’avec une enfant du peuple de cesair, ça saura rencontrer la croisée. au lieu de prendre la route solitaire, ça te suivra parce qu’on se retrouve tous un peu dans la mémoire d’autrui. ce quelque chose de quasi universel qu’est la rage de vivre. merci qu’il t’aurait dit. anaël sans violence étouffée, sans dôme sans règlements sans grenier. celui qui aurait su apprécier les études si elles n’étaient pas ainsi placer sur l’échafaud. il t’aurait dit merci et sans doute plus

mais rex le robot, ça comprend encore moins les sentiments humains que son cerveau, insulté, démembré, de gamin de dix-huit ans.

et tout ce qu’anaël saisit dans ta subite intervention, c’est l’instinct de protection. tendu, les poings crispés, promis juré sale bécane recyclée si tu touches à laë t’es compressé comme dans le film wall-e.

alors ça gronde

they don’t need proofs for that. ça va dire que j’t’ai agressée dans l’pire, they don’t care. c’est façon lucky luke versus daltons : j’dois être fiché d’puis un bail.

ça prend sa place entre la bécane recyclée et laëstiel, s’insinue entre la chair et le métal, parce qu’avec la force de rex, et sa rigueur, on ne sait pas ce qu’il peut arriver. le sang aux tempes si ça dégénère ; anaël comme un prédateur, attend la réaction du robot. promis juré, il l’aura cherché.

ça entend du bruit et ça voit la honte des tech. of course t’penses que c’est moi. always my fault. bouse de fer. t’vas faire quoi ? m’refoutre ton masque ?

écarquille les yeux, exagère, moue mi-effrayée mi-méprisante ; quelle comédie. des étoiles et des punitions. anaël jusqu'à aujourd'hui tranche à travers les titres. il a construit ses codes, sa ligne de conduite. provocation.

et quand on sera trop docile on sera mort. vraiment, anaël et l’instinct de préservation ne s’entendent pas. faut pas croire qu’il ne t’a pas vu réagir, quand le canasson de ferraille a prononcé ton nom. et faut pas croire qu’il n’a pas davantage serré les poings. mais quand laëstiel parle, anaël écoute. ne pas se fermer à son existence par un coup de poing, par une chaise fracassée contre robot-staline. le respire lourd, lent.

ça reste bien droit, même si on a fort envie de se dégager en arrachant le bras de rex avec soi. crier de ne pas le défendre, crier qu’elle fait déjà assez, que vraiment, elle devra lui expliquer ses paroles ses actes un jour. crier en silence. anaël, les conséquences lui sont toujours venues dans la solitude. personne pour le représenter. que des camarades, des étoiles trop lointaines pour être vues d’un ciel aussi bas que celui du dôme. personne de l’intérieur.

qu’est-ce qui t’a fait changer, laë ?

non. (tranché) nothing happened. see, robocop ? clean shit.

ne peut s’empêcher d’être cinglant. de son bras libre, l’écarter, englober la classe. et anaël hoche la tête quand elle s’écarte. t’as fait ton possible. dans les limites de ton statut. et anaël précède le canasson de ferraille. anaël, la tête haute, regard franc, regard au-devant. le masque ou pas, ou n’importe quoi, qu’est-ce que ça change maintenant ?

au moins si ça fait mal, ça f’ra oublier le vide.

alors embarque-moi, t'es v'nu pour ça, asimo raté. mais tu la laisses tranquille, elle a rien fait.