Un fin d’après-midi glaciale, Bernice s’ennuie. Le menton bien appuyé dans sa main, elle s’est postée devant une fenêtre embuée. À travers le cercle qu’elle a essuyé du revers de sa manche, elle regarde sans les voir les gros flocons recouvrir d’un manteau blanc les grands sapins. Les lumières décoratives parviennent à peine à contrer la grisaille du jour qui tombe de plus en plus tôt.

Alors que les préparations des festivités battent leur plein entre les murs de l’Académie, elle est prise d’un rare cas d’immobilité. Elle n’a pas envie de sucre-d ’orge ou de pain d’épices, ni même enfiler la tuque de lutin qu’elle a achetée au marché de Centra Town l’année dernière – alors que ça fait un mois solide qu’elle n’arrête pas d’en parler, ne pouvant attendre enfin de la porter parce que ça contribue à la magie de la fête, ça amuse bien les enfants et elle la première.

C’est qu’elle parmi tant d’autres ne pourront revoir leurs parents en ces temps de réunion. Et encore, avec le courrier filtré, ils n’entendront peut-être même pas parler d’eux. N’est-ce pas une célébration des liens qui les unissent tous ? Ne les prive-t-on pas de l’essentiel ?

L’Académie, par ses instances régulatrices, empêche la fortification de liens nécessaires au développement humain… Elle devrait ajouter ça à son manifeste, ça sonne bien. Mais alors qu’elle y pense, une nouvelle idée surgit.

Si les liens sont coupés par l’Académie, il suffirait d’en créer de nouveaux pour contrer le système. De l’activisme de première instance. Bunny se sent interpelée, retrouve toute son énergie. Elle vient d’avoir la meilleure idée au monde.

Elle enfile ses chaussures ainsi que sa fameuse tuque et court aux locaux du club de dessin. Elle emprunte des papiers de couleurs, des rouges et des verts principalement et des crayons. Elle le jure elle trouvera les moyens de retourner ça au comité d’une manière ou d’une autre – mais c’est une question de bien commun, la collectivité est en jeu ! Sûrement, on reconnaîtra la nécessité de la contribution une fois le projet accompli.

Ses bras tenant à peine tout le matériel récupéré, elle retourne en vitesse au dortoir. Mais c’est alors qu’elle réalise l’ampleur de la tâche : seule, elle n’y arrivera jamais. À deux, ce sera déjà mieux. Et elle n’a qu’un seul nom en tête.

« Merlin, Merlin mon lutin ! » crie-t-elle derrière sa porte (à défaut de pouvoir cogner, parce que ses mains sont pleines) « J’ai besoin de tes pouvoirs magiques, on a des centaines de cartes à faire ! »

La porte s’ouvre sur son miroir. Sans surprise. Bernice habituée avec le temps à l’apparence plagiée ne s’offense pas. Elle est prête à tout partager, même son visage – tant que ce n’est pas pour commettre un crime, y’a bien des limites, mais elle fait confiance à Merlin, son cher Merlin, toujours prêt à lui porter un coup de main (de force ou de gré elle ignore la différence dans son innocent enthousiasme débordant). Le sourire qui dévoile ses dents, elle accepte l’aide qui lui est proposée et lui tend la boite.

« Prêt, pas prêt, le monde va devoir nous accueillir à bras ouverts, parce que nous voilà et on va pas reculer ! »

Belles paroles d’encouragement alors qu’il n’y a encore rien, aucune raison de se battre. Mais voilà Bernice à l’œuvre, toujours prête à se lever pour sa légitimité. L’Académie n’a qu’à bien se tenir, car elle compte bien la bouleverser dans sa bonté.

Elle avance dans la chambre de Merlin, l’oubliant plus ou moins avec la lourde boite dans ses bras. Les mains croisées dans le dos, elle adopte l’attitude solennelle d’une commandante qui s’apprête à partir en guerre.

« Merlin, mon ami, le plan est simple, mais il demande notre sueur nos larmes et notre sang… Oh rien de grave j’crois pas qu’on puisse se blesser, mais les coupures de papier sont toujours envisageables, je tenais juste à prévenir. »

Parce que c’est très sérieux tout ça, qu’elle oserait jamais embarquer son camarade dans une entreprise dont il ne connaitrait pas les risques. Elle prend une pause, racle sa gorge avec sérieux, comme si elle s’apprêtait à dévoiler les plus lourds secrets de l’Académie. And yet. Elle établit un contact visuel avec son doublon, et lâche :

« On va faire des cartes de Noël pour t o u s les étudiants et étudiantes de l’Académie. Dessin, petit message perso, et on va les glisser sous la porte de chaque chambre. Alors ? Tu crois que deux Bernices sont suffisantes pour ça ? »

La question devrait être réelle, mais elle est rhétorique chez Bernice qui cherche déjà un espace de travail dans la chambre exigüe.

Bernice, toujours prête à tout, mais pas toujours préparée, a bien prévu son coup cette fois. Enfin, partiellement. Mais c'est assez pour qu'un sourire fier se joigne à ses yeux déterminés. C'est avec toute la confiance du monde qu'elle réplique :

« J'ai déjà une liste, sortie tout droit de ma petite tête ! »

Et c'est là où réside le problème : aucune chance qu'elle connaisse t o u s les étudiants de l'Académie. Elle a réussi à plancher les noms des étudiants dans sa classe et ses collègues de clubs, et quelques voisins d'étage. Les autres ? Et bien Merlin, tu vas bien pouvoir aider là-dessus. Non ? Bernice est sage, elle sait quand demander un coup de main : le rôle de son cher assistant est double : ouvrier et mémoire bienveillante.

« Mais c'est pas une mauvaise idée de croiser avec les membres de chaque étage. Comme ça, on va être sûrs de n'avoir oublié per-son-ne. »

Et voilà, le plan est parfait, plus aucune faille à l'horizon. Merci Merlin, encore une fois tu te prouves utile ! Bernice, satisfaite, reprend la boîte dans les bras de son double pour la poser à même le sol.

« Restons ici, on ne se fera pas surprendre. » Elle commence à sortir les papiers de couleur et les crayons, recouvrant aussitôt le sol dans un chaos festif. « Ça restera dans le secret, et ça créera une plus grande surprise ! »

(Et cela fera un beau coup de pub pour ses idéaux croit-elle, mais ça c'est une autre histoire)