Caprice.

Étrange étoile que celle-là. Au début, Asmo l'avait peut être détesté de lui avoir dérobé son petit ami. Pryam le volage. Mais finalement, il avait réalisé qu'il n'en était rien. Alors, sa curiosité l'avait poussé vers cet être si doux, si calme.

Il s'était liés, aussi étrange que cela puisse paraitre, aussi incongru. La belle et la bête. Asmo se sait monstrueux, il s'en fout. Pour Cap, il serait mille fois pire si la situation l'y poussait. Il montrerait ses crocs empoisonnés et déchirerait tout sur son passage.

Un message sur l'écran fissuré de la brique qui lui sert de téléphone. Ses yeux glissent dessus, reviennent. Quand on pense à la lune, les nuages la laissent entrevoir. Et le loup-garou s'agite. Caprice l'attend au niveau de l'étage des triples. Pas qu'il ne les aime pas, mais Asmo n'a aucune confiance en eux. Il fronce les sourcils, lace rapidement ses chaussures défoncées et s'engage dans le couloir en courant. Ses grolles frappent les marches de bois avec force, on l'entend passer.

Déjà, les doubles lui lancent des regards mauvais qu'il laisse glisser avec un sourire. Ils se croient grands avec les privilèges, si seulement ils connaissaient la saveur du ciel. Il arrive près de son objectif, ralentit ... s'arrête.

Il entend des voix. Inconnues. Agressives. Le loup-garou se hérisse. Asmo ferme les yeux. Les rouvre, armes prêtes à être dégainées, démon aux aguets, la rage au corps. Il parait au bout du couloir, les chainettes de son futal sonnent, ses chaussures lancent des échos de mauvaise augure. Les deux gars l'aperçoivent, se marrent.

Erreur.

- Et il attend un rat du grenier, triste vie pour le prince des salopes.

Et le voilà qui rit à nouveau. Insupportable son de crécelle qui meurt dans sa gorge, rapidement remplacé par un cri de douleur. Le regard démoniaque d'Asmodée fait son effet. Les moqueurs crient alors que les iris maudits passent de l'un à l'autre.

- Partez. Partez où j'vous fous à terre sans vous toucher. Et ne vous avisez plus jamais de recommencer ce genre de truc. Que ça soit envers Cap ou envers qui que ce soit d'autre. Vous ne méritez pas de lui parler. Cassez vous.

Il aimerait leur faire pire mais il est bridé par tous ses bijoux. Il a rarement été aussi en colère. Son ombre protectrice plane sur Caprice alors que les deux abrutis s'éloignent portant avec eux la peur. Encore une fois, encore une attaque qui va aller grandir la réputation du démon. Il soupire et referme les yeux. Son corps se relâche alors que sa main cherche l'épaule de Caprice. Il n'ose pas le regarder, de peur de le faire souffrir et ça, il ne se le pardonnerait jamais.

- Ça va ? Désolé, je me suis énervé ... j'ai pas supporté, pardon ...

Au fond de lui, il craint lui avoir fait peur. Il s'en voudrait mais, il préfère ça que laisser qui que ce soit faire du mal à Caprice. Sa voix est basse, tendue, ses yeux toujours clos, il ne voit pas le visage de son ami et ça l'inquiète, il aimerait savoir, voir s'il va bien, que ses iris le lui disent.

Pardon.

Mais la légende du loup du Gévaudan ne s'est pas construite sur des cadavres imaginaires.

Asmo est de ceux qui observent. Il note et connait le caractère de ses amis. Il sait que Caprice ne se formalisera pas de cette agression, il haussera les épaules, habitué.

Et c'est ça qui te tue Asmo. Savoir qu'un être aussi doux que Caprice soit habitué aux insultes et autres mots durs, ça le fout dans une rage monstre, ça bout à l'intérieur. La bête, le justicier, l'ami, le protecteur, se sent coupable de ne pas être assez là pour toi.

Il sourit doucement alors qu'il sent sous ses doigts aveugles le roulement de tes épaules. Évidemment.

- Ils ont raison mais juste à moitié, t'es le prince des étoiles Caprice. Et moi, le rat du grenier ça me va, il rit doucement, les yeux toujours clos, j'aime bien les rats, c'est des animaux trop mal aimés.

Asmo au fond, est rassuré de t'entendre valider cette souffrance infligée de tes iris vengeurs, ça le rassure de savoir que tu n'as pas peur. C'est sa hantise, depuis cette fois, là ... Son pouvoir lui échappe peu, mais quand ça arrive et que ceux qu'il aime en sont victimes, il s'en veut à mort.

Les doigts de Caprice se pose sur les siens et il lui abandonne sa main. Il la serre doucement, tendrement. Je suis là, il ne t'arrivera rien. Il balaye ses excuses d'un geste de main. Tu pourrai ne jamais l'appeler qu'il viendrait quand même à ta rescousse. Qu'il serait là quoiqu'il arrive. Il le sent qui se relève et se met à sa hauteur.

Asmo ouvre les yeux et laisses ses iris maudits effleurer le visage doux de Caprice, il s'en détourne rapidement, soulagé de voir qu'il va bien. Il sourit doucement.

- J'ai reçu un message d'un prince stellaire perdu qui parlait d'un pull à me rendre.

Il pouic son nez avec amusement.

- Je t'en ai amené un autre en échange si tu veux.

C'est si facile avec toi, si doux. Si on est tous des oiseaux en cage, toi t'es un ange coincé sur terre.

Maintenant que les yeux d'Asmo flottent au dessus de son épaule, le voyant sans jamais le regarder, il s'autorise à relâcher la tension dans ses épaules. Il est soulagé d'être là, auprès de Caprice. Lui, le prince des étoiles, il l'apaise. les planètes tournent dans le bon sens et on oublie presque la rage d'être enfermés, seule subsiste la tristesse de te savoir en cage.

Il caresse doucement ses cheveux laissant échapper un soupir.

- J'm'en fous moi, j'suis dispo tu sais, y'a pas de souci mais le grenier t'accueille quand tu veux. D'ailleurs j'ai fait un nouveau dessin du ciel, il te plairait.

C'est facile avec Cap, des étoiles et des pulls. Une tendresse infinie qui remplit l'univers. Il comprend maintenant, ce qui a poussé Pryam a le quitter. Comment résister ? Asmo rit intérieurement. Lui, résiste-t-il ?

Laissant la question sans réponse, il hausse les épaules.

- Ça me fera une excuse pour venir squatter ta chambre et ton super matelas et toi, t'en auras une pour venir admirer les étoiles.

Et Asmo sait bien que ça te fait plaisir d'avoir ces pulls, de te cacher dedans. Et lui aussi, il aime voir Caprice, de loin, noyé dans ses sweats noirs. C'est un peu comme s'il était avec lui pour veiller sur lui.

Il se laisse emporter, sa main chaude dans la sienne. C'est toujours étrange de se balader tranquillement aux étages si étoilés. D'habitude, il y va plutôt pour voler, enfoncer des portes et nourrir le grenier. Il sent qu'il fait tâche et ça l'amuse doucement. Il porte son étoile brisée comme un trophée, sa rébellion, son doigt d'honneur à l'académie.

Ils entrent dans la chambre et déjà, Asmo s'y sent bien. Il va récupérer le pull fraichement retiré et l'enfile par dessus son tee-shirt. L'odeur l'enveloppe et lui arrache un nouveau sourire. Il tend le pull qu'il a sous le bras à Cap.

- C'est un vieux, je l'ai custom. J'espère qu'il est pas trop niqué.

Sourire de connivence, le nombre de sweats troués aux coudes et aux manches qu'il avait refilé à Caprice à défaut d'avoir autre chose sous la main. Sur le pull, il y a un chat avec des yeux immenses, des yeux universels, des yeux qui contiennent tout un monde. Il le met entre les mains de Cap et va s'asseoir sur le lit, appréciant malgré tout sa douceur. Dommage que voler un matelas soit si peu discret, sinon, il aurait rempli les lits de tout le grenier.

- Dis, maintenant que j'suis là, t'as pas un truc à boire ? À grignoter ?

Il sourit, se trouve des excuses pour rester et profiter de ce temps avec toi.

Asmo ne se sent que moyennement à l'aise dans les chambre des trois étoiles, elles sont trop grandes, trop silencieuses. Vide d'une vie qui anime chacune des planches du grenier.

Pourtant, ici, il se sentirait presque chez lui. Parce qu'en face de lui, il y a Caprice et sa douceur. Caprice qui disparait dans son pull. Son nez ressort du tissu noir avec une moue adorable et le sourire d'Asmo fait trois fois le tour de son visage. Le bout des doigts qui dépassent des manches interminables lui donne des élans de tendresses alors qu'il l'attrape entre ses mains, l'effleure doucement.

Asmo sourit, c'est amusant comme la chambre de Caprice semble être une version autre du grenier, chacun y passe et s'y sent chez lui, il y laisse des bouts de vie et y revient souvent. Asmo sait, il sait, il voit qui tourne autour du prince des étoiles mais il ne dit rien. Il en a souffert autrefois avec le départ de Pryam mais les plaies sont refermées et la flamme qui brûle dans son torse aux souvenirs de Caprice l'empêche de toute pensée négative.

Asmo récupère le paquet de madeleines et l'ouvre d'un geste. Il en coince une dans sa bouche et en tend une autre au prince qui vient de s'asseoir à côté de lui. Il le remercie d'un hochement de tête.

- Trop bien, les p'tits d'en haut seront contents.

Il ne se cache pas de donner, face à Cap, ça serait idiot, il sait très bien qu'Asmo mange peu, donne tout parce qu'il n'a que ça à faire dans ce monde clos.

Il avale la madeleine de travers quand la voix de Cap résonne à nouveau tant la question le désarçonne. Il tousse, s'étouffe, les larmes qui montent aux yeux. Il reprend peu à peu sa respiration, frappe son torse pour aspirer l'air qui revient tant bien que mal jusqu'à ses poumons. Il se redresse, repousse le paquet de gâteau et se place face à Caprice. Ses mains entourent les siennes alors qu'il fixe son regard au dessus de son épaule - ô comme ça le ronge de ne pas pouvoir regarder vraiment dans ces moments-là.

- Mais Cap ? Pourquoi je m'énerverai contre toi ? J'ai aucune raison de le faire ... Et je sais à quoi tu penses et non, je ne t'en veux pas, je ne t'en voudrai jamais pour ça.

Il sourit doucement, hausse les épaules. Ses doigts peints tracent des formes abstraites sur la paume pâle de l'autre, tendresse, confession.

- Tu sais, c'est grâce à tout ça je pense, que j'ai compris ... enfin, tu sais, j'aime pas être enfermé. Et je crois que c'est le cas aussi dans les relations tu vois. J'ai aimé Pryam mais il me demandait une exclusivité que j'étais pas prêt à lui donner et qu'il me donnait pas non plus d'ailleurs. Léger rire, comme une plume. Moi je voulais pouvoir continuer à câliner les gens, lui à vous aimer et on a fini par se séparer. Mais ce n'est en aucun cas de ta faute et quoique tu fasses, Caprice, vraiment, je doute être capable d'un jour t'en vouloir.

Même ce couteau que tu planteras dans mon dos, je te le pardonnerai, parce qu'au fond, il y a un feu au fond de moi, rien que pour toi et chacun de tes sourires ne cesse de le faire grandir.

- Pourquoi cette question ? T'as peur que je te regarde ?

Voix un peu tendue, pressante et si, finalement, en le défendant, il lui avait fait peur.

Il y a le coeur qui bat sourdement dans sa poitrine, il y a le souvenir d'Alexis qui pulse dans ses souvenirs, comme un rappel de ce dont il est capable. Ses yeux sont des armes et une arme doit être soumise à son possesseur, c'est comme ça. Alors il les soumet comme il peu, elles s'échappent parfois. Parfois, ses iris se dressent, brûlent, carbonisent ce qu'il y a devant elles, mais uniquement parce qu'il le veut, uniquement parce que cette cible le mérite.

Asmo a sa justice qu'il fait régner et jamais, jamais il se le promet tu n'auras à la subir.

Alors il a peur au fond de lui que tu lui dises tout ça, cette peur. Parce qu'Asmo est un démon, les couloirs de l'école le disent, les professeurs le soufflent, ce garçon est une bête en cage. Alors ... alors Caprice, si tu disais que tu avais peur de lui, toi qui est si doux, alors il comprendrait.

Mais il secoue la tête, nie ce qu'on pensait être une évidence et l'étau au creux du ventre se desserre. Les mains s'entremêlent et Asmo serre ses doigts tendrement, se raccroche à eux comme à une bouée.

Et le prince continue de parler, ses mots sont doux et ... aussi étrange que cela puisse paraitre, Asmo rougit, ses joues chauffent et un sourire sincère, presque enfantin étire son visage. Un sourire détaché de cette amertume qui les teinte habituellement, un sourire trop spontané pour être retenu.

- Merci Caprice, qu'il souffle la voix nouée par l'émotion. Toi, tu me manques chaque fois que je ne te vois pas.

Mais la joie s'effiloche et l'étau revient, chargé de tristesse. Comment c'est possible de ne plus t'aimer ? Pourquoi se séparer d'un ange quand on sait la chance qu'on a de le côtoyer ?

- Caprice, Caprice, Caprice, Caprice ...

Comme une litanie chuchotée qui interrompt les paroles, s'acharne à chasser les doutes. Comme il aimerait là, le soutenir d'un regard, charger ses iris de toutes ces émotions que ses yeux si puissants lisent en lui comme dans un livre ouvert.

- Plus j'apprends à te connaitre, plus j'en sais sur toi, sur ce que tu aimes, sur qui tu aimes ... plus j'ai envie de te revoir pour en savoir plus. Je veux pas que tu doutes de moi comme ça Caprice vraiment ... et si je parais froid ou distant, dis le moi, parle moi, je t'écouterai.

Instant suspendu et son prénom, complet, le prénom du démon. Mais ici, entre ces lèvres, il y a de la douceur, de la dévotion et de l'amour. Alors Asmodée accepte avec douceur d'être Asmodée.

- Je t'aime Caprice, peu importe la façon, je sais pas dire les choses clairement quand c'est comme ça, mais je le sais au dedans de moi que c'est ça que je ressens. Et plus je passe de temps avec toi, plus ça me rend heureux ...

Il parle tout bas, cherche ses mots, hésitant quand on aime alors que le feu brûle dans la poitrine.

La question qui résonne dans la chambre est si pure. Une incertitude sur le bout de la langue, une incertitude trop profondément ancrée. On ne peut pas ne pas t'aimer Caprice. Tes joues en feu arrachent des sourires touchants parce que l'émotion qui nous enlace est douce. Que c'est beau de te voir troublé, joyeux, aimé.

Et il se recroqueville pour capturer les papillons de ses émotions et serre dans les siennes les grandes mains d'Asmo qui tendrement, pose son dos sur la chrysalide des sentiments capturés. On ne souffle mot, dépose un baiser sur le nez, léger comme un aile de libellule. T'excuse pas. On ne s'excuse pas d'être heureux.

Et ça se tord au fond d'Asmo, parce qu'il y a toujours quelque chose qui se tord, éternel insatisfait dans sa prison de cristal. Il aimerait voir le visage rayonnant de Caprice, pour de vrai, pour de bon. Mais on a que faire de nos exigences et de nos insatisfactions, là maintenant, parce qu'on est heureux de t'avoir au creux de nos bras. Ses petites mains se glissent sur les flancs d'Asmo qui frissonne et sourit.

Les mots qui coulent comme une cascade d'eau ive et pure. Asmo comprend et accepte, parce qu'en lui bat la même certitude. Ses bras se referment sur toi alors que ton nez contre son cou envoient mille et un frissons dans son corps. Ses mains se glissent sous le pull pour se poser sur le tee-shirt, pour se réchauffer bien entendu, parce que ta chaleur vaut celle de mille soleils.

- C'est pas malsain, et la normalité on s'en fout. Tu fais ce que tu veux de ton corps, de ton cœur, de tes sentiments. Et quiconque osera dire le contraire aura affaire à moi. Et puis, je suis sûr que je ne suis pas le seul à adorer te voir dans mes pulls.

Il sourit, les mains caressant le dos tendrement.

- On nous a dit qu'il n'y avait qu'une seule manière de tomber amoureux, mais c'est faux, c'est entièrement faux ... il y a autant d'amours que de gens, autant de façon de tomber amoureux que de gens, autant de manière d'aimer que de gens. Et même que des fois, dans une seule relation, tout ça, ça change et ça évolue ! Ceux qui parlent de normalité sont des idiots. Si ça leur convient de tout donner à une seule personne, grand bien leur fasse. Mais personne n'est en droit de critiquer la manière dont tu aimes ... personne.

Voix basse, douce et grave, immensément sérieuse, parce qu'on ne rigole pas avec les sentiments. On ne veut pas te voir vaciller alors que ton cœur est si pur.