c'est juste un dessin

Une fin des cours tumultueuse, des cours fraîchement dans la tête mais dont les détails peu à peu s’amenuisent jusqu’à laisser une sensation de panique. Que fera-t-il aux examens si déjà, il a tout oublié de ce que disait le professeur ?

Cela dit, il est un peu tard pour se retourner et chercher des explications auprès de l’enseignant. Aurait-il osé, s’il avait eu le temps, déranger ainsi la personne lui ayant donné cours ? N’aurait-il pas passé pour un ignare inattentif et indigne de recevoir des informations supplémentaires ? Avelino pense toujours à mal. Il est quasi convaincu que sa place n’est pas ici, sur cette planète. Qu’il n’a droit à rien.

Il faut vraiment qu’il aille voir un psychologue. Ça devient urgent, mais il n’en a pourtant pas le courage. Pour dire quoi ? Se plaindre, à nouveau, de sa solitude, de son isolement ? Mais le thérapeute ne pourra rien pour lui. Il n’ira pas voir les personnes à sa place, leur demandant s’ils acceptent d’être son ami. Il n’a plus six ans.

Il soupire et trace sa route à l’extérieur du lycée. Un beau soleil brille encore dans le ciel, mais plus pour longtemps. Les jours raccourcissent terriblement en cette saison froide. Mais il a également très envie de dessiner un peu de nature, des gens qui marchent. Capter l’instant présent, le crayonner pour toujours sur une feuille blanche.

C’est une habitude chez lui.

Il y a ce petit banc qu’il affectionne tout particulièrement. Toujours vide, ça n’est pas la première fois qu’il s’y installe pour s’adonner à une agréable activité artistique. La dernière fois, il sculptait un petit personnage. Cette fois, il dessinera.

Et espère ne pas être importuné, ne pas avoir à dégager le passage car il gêne. Ça aussi c’est une habitude.

Il s’installe avec son matériel, écharpe autour du cou et du bas du visage, bonnet sur la tête. Il ressemble sûrement à un énorme bonhomme de neige avant l’heure, mais qu’importe ? Personne ne viendra l’ennuyer avec ça. Et ses écouteurs dans les oreilles, il n’entendra pas les éventuelles critiques qui pourraient fuser, cruelles et assassines dans son cœur.

Il souffle, ça le réchauffe. Son crayon glisse déjà sur le papier vierge, ses yeux captent les plus petits détails qui pourraient rendre son dessin unique. Un assemblage de ce qui l’entoure mais qui n’y ressemble pas. Il se surprend à sourire bêtement derrière le masque et le tissu tiède.

c'est juste un dessin

Son imagination est galopante. Elle fuit et se transmet au papier, y créant de jolies arabesques gris souris. Peu à peu, ses idées se mettent en place dans sa tête, le monde qu’il a décidé de concevoir prend forme. Avelino a toujours été rapide dans la réalisation des premiers traits. C’est après que ça se complexifie. Il faut ajouter les détails, toujours plus de détails. Et de la couleur, c’est bien aussi. Ça rend mieux, c’est plus joli. Jour après jour, dans son art, il tente de frôler la perfection. Malheureusement, s’il pense s’en approcher, ça n’est pas toujours le cas. Ses professeurs le lui font bien savoir en lui faisant part de ses notes. Douce déception.

Et cette personne qui vient s’asseoir à ses côtés, il ne la remarque pas tout de suite. La concentration lui met des œillères, le monde qui l’entoure devient inconnu et inintéressant. Les autres ne sont que des fantômes dont il a à peine conscience.

Son univers l’aide à s’échapper de la réalité pas toujours rose.

Mais au bout de plusieurs minutes passées à s’éprendre du papier qui court sous ses doigts, une pause s’impose. Et il reprend pied avec tout ce qui l’entoure, peu à peu. Mais la présence installée tout près de lui, elle le percute de plein fouet. Presque, il sursaute, surpris. Et ressent l’épouvante d’être – encore – auprès de cette jeune fille. Celle qui semble le poursuivre partout où il va et provoque en lui un profond malaise. Que lui veut-elle à la fin ?

Et il perd tous ses moyens. À nouveau.

Et son cerveau s’embrouille terriblement. Tout est noir dans sa tête, il se sent acculé et agressé, ignorant ses desseins et ce qu’on désire obtenir de lui.

Encore, il a envie de partir. Toutefois, son dessin n’est pas terminé, et il a encore quelques éléments à ajouter avant que la nuit ne tombe pour de bon. Reprendre son occupation comme si de rien n’était n’est pas envisageable ; son trouble se lit déjà sur son visage et sa gestuelle parle pour lui. Cette fois, il doit se confronter à elle. Il en a marre d’être celui qui fuit.

– Pourquoi me détestes-tu ?

Simple question, mais la réponse peut être tellement plus complexe que cela. Il est déjà arrivé qu’on le méprise pour son masque, pour son attitude timide et distante pris pour les preuves d’une arrogance crasse. Il n’a même pas pu s’expliquer et démontrer le contraire.

– Je ne t’ai rien fait. Laisse-moi tranquille, s’il-te-plaît.