Qu'importe qui a eu cette idée de génie, Klaus salue l'ingéniosité. Alors bien sûr qu'il a répondu présent, bien sûr qu'il s'est rendu au labyrinthe sans rechigner. Cette soirée, elle signe la longue liste des dernières soirées qu'il passera ici au sein de l'Académie. A la fin de l'année, plus de clandestinité, plus de cachotteries, il ira simplement se la coller au premier bar venu. Mais peut-être que ça lui manquera. Peut-être que l'excitation de se faire surprendre lui manquera... Cette petite adrénaline qui accompagne chacune des fêtes organisées ici a quelque chose d'unique.

Ce qui lui manquera pas toutefois, c'est l'interminable galère pour se procurer de l'alcool. Se mettre la tête à l'envers ici relève parfois du parcours du combattant. Alors lui proposer de pouvoir le faire sans qu'il n'ait à lever le petit doigt... mon dieu ce qu'il aime ça.

Et dans ses mains se tient une nouvelle bière. Il ne sait plus combien il en a déjà bu. A vrai dire, il s'en fiche. Car il ne comptera pas non plus les suivantes. Et ensuite, il ira se perdre comme un abruti dans les méandres de cette végétation tortueuse. Peut-être même qu'il sera obligé d'y finir sa nuit, incapable de trouver la sortie. Et ça le fait déjà marrer. Faudrait juste qu'il trouve un autre crétin pour l'accompagner, histoire de pas trop s'emmerder.

Mais son sourire se fane quand il le voit, là, juste un peu plus loin. La chevelure brune, la peau mate et la démarche altière de Kasey ne passent jamais inaperçues. Et ça réveille des sentiments contradictoires chez Klaus. De la rancœur, un brin de haine, et peut-être un peu de mélancolie. Beaucoup même. Mais ça, il préfère l'étouffer.

Et il lui en veut instantanément. Il lui en veut d'être ici alors qu'il n'en a aucun droit. Oui, Klaus décrète à l'instant que cet imbécile n'a rien à foutre ici. Jusqu'ici, ça l'avait jamais intéressé, alors pourquoi maintenant ? Et plus il l'observe du coin de l'oeil, plus ça le fout en rage. Sans qu'il comprenne pourquoi. Ou peut-être que si, il comprend, mais ce serait admettre qu'il se sent victime d'une injustice en le voyant ici. Victime des préjugées et de la bien-pensance de Kasey à son égard, lui l'élève parfait qui ne daignait pas s'amuser.

« Mais qui voilà ! Qu'est-ce que tu fous là ? T'es au courant que la bibliothèque c'est de l'aaaautre côté ?! »

C'est à peine s'il s'est rendu compte s'être rapproché de lui. De toute façon, ses sens sont déjà imbibés d'alcool, c'est même pas la peine d'essayer de reprendre le contrôle alors autant la jouer à l'instinct. Et venir l'emmerder comme une fleur, sourire aux lèvres et regard de défi.

Halloween

L’ironie grinçante de Kasey fait oublier pendant un instant la surprise qui s’est peinte sur son visage en le voyant débarquer à l’improviste. Un véritable jeu de dupes. Qui craquera le premier ? Qui s’estimera vainqueur ? Qui s’avouera vaincu ?

Klaus a quelques atouts dans sa manche. Il est en terrain conquis. C’est son univers, pas celui de Kasey. Mais face à l’intelligence de son congénère, il n’est pas sûr de faire le poids. Encore plus quand l’alcool et la nostalgie des souvenirs pèsent sur les épaules et coulent dans ses veines.

Alors pour le moment, il se contente de sourire et de lui taper vulgairement sur l’épaule.

« Pour une fois que j’t’apprends quelque chose. »

1er degré. C’est plus simple de jouer comme ça, qu’il se cantonne à son rôle d’abruti. C’est bien comme ça qu’il le voit nan ? Un crétin qui n’a pas appris à grandir, resté ancré dans ses convictions immatures.

D’un point de vue inverse, Kasey semble toujours être l’imbécile coincé. Avec ses bras croisés et son regard fermé. Il ferait presque tâche dans cette soirée. Enfin, simplement aux yeux de Klaus. Aux yeux des autres, certainement ne voient-ils qu’un jeune homme fier et au physique agréable.

« Tu sais bien que j’ai pas d’amis, qui aurait envie d’être vu avec moi hein ?! »

Pas lui en tout cas. La réciproque est d’autant plus vraie. Mais pourtant, Klaus reste planté là. Sûrement parce qu’il a pas mieux à faire. Et qu’il y a ce ressentiment qui le pique, la rancœur de le voir ici, lui qui jugeait si facilement ses habitudes de vie.

« Oh et ma nouvelle coupe te plaît ?! J’avais peur que tu me reconnaisses pas ! »

Il passe distraitement sa main dans ses mèches rebelles en ricanant. Ses cheveux si longs ont fini par laisser place à une coupe des plus destructurées, il ne sait même plus comment s’en démerder. Mais les longues mèches brunes ne sont plus, celles que Kasey avait fini par trouver injustifiées tellement la raison de leur longueur était puérile.

« Par contre toi, c’est toujours aussi ennuyeux à mourir ! »

Et il s’octroie l’honneur de faire de même, de passer une main impolie dans les cheveux sombres de Kasey, comme s’il était toujours le gosse de 6 ans tout juste débarqué à l’Académie. Juste histoire de le provoquer. Juste histoire de jouer avec ses nerfs.

Halloween

Que c’est plaisant. Que c’est bon. Que c’est jouissif. De le voir ainsi reculer et trébucher, renverser son verre et jurer. Faire vaciller Kasey dans ses limites, jouer de sa patience, Klaus en sourit de toutes ses dents. Il se sent bien là, fier d’avoir fait craquer celui avec qui il a tant partagé. Et il ne sait pas trop pourquoi il ressent tout ça. Juste ce besoin viscéral d’exister.

Mais il retient de justesse un vieux réflexe. Le vieux réflexe de lui venir en aide, de l’épauler, de trouver un moyen pour essuyer cette pauvre chemise. A la place, seuls ses doigts se serrent autour de sa bière. Et il en boit avec délectation une gorgée, se pince les lèvres pour ne pas rire. Mais il suffit de croiser son regard pour voir à quel point tout cela l’amuse.

« Oups. »

Il a rien d’autre à dire en voyant l’état pitoyable des vêtements de Kasey. Et parce que c’est plus fort que lui, il a besoin d’aller plus loin dans la provocation. La machine est lancée, plus possible de l’arrêter.

Et ses sourcils s’écarquillent. Qu’est-ce qu’il en est train de raconter là ? Il peut à peine savourer de voir se fissurer le masque si parfait de Kasey, parce qu’il reste bloquer sur ses paroles. On n’est plus des gamins. Elle est bien là la triste réalité. Ils n’en sont plus. Et ils ne sont plus rien d’autre.

« Putain t’as toujours pas appris à te détendre. »

Dans un autre temps, il aurait probablement mis son poing dans la figure à l’imbécile qui aurait provoqué ça. Dans un autre temps, il aurait forcé ce même imbécile à changer sa chemise avec celle de Kasey. Dans un autre temps… Klaus n’arrive même plus à se souvenir. Ou peut-être est-ce trop douloureux.

« C’est qu’une putain de chemise alors fais pas chier ! »

Mais c’est le genre de détail futile sur lequel s’arrêtent les personnalités si renfermées que la sienne. De l’alcool renversé, Klaus ne compte même plus le nombre de fois où ça lui est arrivé. Alors que Kasey, est-ce qu’il sait seulement ce que c’est que d’avoir des fringues qui puent la clope et la bière au petit matin ?

« Sérieux casses-toi la princesse, t’as rien à foutre ici. »

Retourne dans ton monde et qu’il reste dans le sien. Avec un fossé bien profond entre les deux. Un mur bien étanche.

Halloween

Pourquoi diable est-il venu lui parler déjà ? Il regrette amèrement d'avoir cédé à l'impulsion du moment, il aurait dû savoir que la langue acérée de Kasey ferait quelques dégâts au passage. Et pas des moindres. Ses mots sont comme des lames brulantes qui lacèrent son pauvre ego. Sa fierté en prend un coup et il sent qu'il vacille. A quel moment les choses ont-elles si dérapé entre eux pour qu'ils n'aient absolument plus rien en commun ? C'est comme un voile opaque sur des souvenirs d'une autre vie.

« Ouai ça me dérange de devoir supporter ta seule gueule alors que j'suis censé passer une bonne soirée. Ca me donnerait presque la gerbe et ce serait dommage que ça finisse sur tes beaux petits souliers bien vernis tu crois pas ?! »

S'il pouvait vomir sur commande, il se demande sincèrement s'il ne l'aurait pas fait à l'instant t.

Mais cette pensée idiote s'évapore aussitôt qu'elle est venue...

La voilà.

La voilà la provocation de trop.

Kasey qui s'avance, Kasey qui le prend de haut, Kasey qui le rabaisse par sa simple existence. Et son sang ne fait qu'un tour. Ses poings se serrent, sa mâchoire se crispe. Klaus ne comprend pas pourquoi il n'arrive pas à encaisser, il a jamais compris à vrai dire comment refouler toute cette colère sourde qui gronde toujours en lui. Et quand l'alcool s'en mêle, il n'y a qu'un seul et unique exutoire : la violence. Et Kasey ne le sait que trop bien. Combien de fois Klaus n'a pas hésité à en venir aux poings pour défendre son cadet ? On s'en prenait pas impunément à son protégé. Même s'il devait finir avec un coquard au passage et prendre le risque de finir au grenier. Il s'en foutait royalement. On touchait pas à Kasey, tout simplement.

Mais lui aussi a dû oublier tous ces souvenirs, les enfermer à double tour et jeter la clef d'une mémoire devenue sélective. Dommage, il aurait peut-être pu s'en servir et éviter d'outre-passer les faibles limites de Klaus...

Et son pied glisse élégamment. Rapidement. Presque de manière féline. Entre toutes ses pratiques physiques, son corps est devenu cette entité qui glisse et se faufile. Et brusquement, ce pied gracieux tacle la jambe ennemie.

Une putain de balayette. Une putain de balayette royalement réussie qui fait s'écraser Kasey au sol. C'est brutal. Imprévisible. Totalement à son image. Mais n'a-t-il pas eu ce qu'il demandait ? « Then make me »... A vos ordres votre altesse.

« Avec plaisir Kasey Laing. »

Pas de sourire. Pas de ton jubilatoire. Juste un regard froid et hautain. Et il se fiche de l'attention qu'il vient d'attirer, des yeux qui se sont tournés vers lui, des murmures qui s'échappent. Moment de flottement où chacun demande s'il faut intervenir. Mais Klaus anticipe finalement et tourne les talons. Il est grand temps qu'il aille se chercher une nouvelle bière. Et peut-être qu'il s'enfonce un peu plus dans le labyrinthe, avant que ça ne dégénère vraiment trop.

Halloween

Les ténèbres se sont abattues sur ses épaules. L’obscurité de la soirée, l’immensité du labyrinthe et… l’amer goût de culpabilité au fond de la gorge. Et il se dit qu’il doit se perdre un peu plus. Dans les effluves d’alcool et les chemins tortueux de ce dédale végétal.

Comment en est-il arrivé là ? Comment en sont-ils arrivés là ? Ils sont deux. Ils ont toujours été deux. D’une paire indissociable, ils sont devenus des adversaires impitoyables. Ca n’a pas de sens. Et il en veut encore plus à Kasey, à sa façon de le prendre de haut, de se croire supérieur. A choisir, Klaus aurait préféré qu’il reste ce petit garçon effrayé, ce garçon qu’il pouvait protéger. Et le problème se trouve certainement là, dans cette fierté qu’il a perdu, la fierté d’être celui sur qui on comptait.

Et il attrape une bière à la volée, insulte le type qu’il a bousculé au passage. Il emmerde le monde et le monde le lui rend bien. Des bribes de conversation lui viennent. Des étudiants qui se sont perdus. Certaines craintes. Beaucoup de fous-rire. Et il se dit… pourquoi pas ?

Il sait pourtant qu’il a aucune chance de trouver la sortie seul dans cette nuit noire. Mais il a peut-être besoin de ça, de se perdre pour mieux se retrouver. Et tout simplement oublier.

Et il a perdu le compte de ses pas, le compte de ses gorgés. Et bordel de merde, sa bière est vide. Alors il s’arrête et réalise véritablement sa connerie. Y a plus personne autour de lui. Et il n’entend que vaguement une musique de fond, là où les autres ont eu l’intelligence de rester pour picoler. Tandis que lui a l’air franchement d’un abruti paumé au milieu de nulle part.

Alors il jure et balance sa bouteille de verre. Il emmerde mère nature et l’écologie. Là, il a juste envie de se défouler, sur tout et n’importe quoi. Ou n’importe qui. Mais il a plus la force d’avancer. Il laisse simplement tomber son cul par terre. Tiens, il pioncerait bien là finalement. Et peut-être, qu'à la lumière du jour, il y verra plus clair.

Putain de soirée de merde.

Halloween

Petites étoiles qui brillent. Si seules dans le ciel. Perdues dans l’immensité de la galaxie. Si vives à regarder. Et pourtant sans vie. C’était quand la dernière fois qu’il a regardé ainsi le ciel ? Qu’il s’est perdu dans des pensées troubles ? Et qu’il a perdu le fil de ce qui l’a amené ici ?

Il en rirait presque. Mais il sent comme cette fatigue qui le pèse trop et qui l’empêche de faire quoique ce soit. La faute à l’alcool sûrement. Ca lui apprendra. (ou pas)

Et finalement ses yeux le piquent. Ses paupières se font lourdes. Il ramène ses genoux vers lui. Pose l’un de ses coudes. Son visage s’enfouit maladroitement. Tant pis s’il est tout tordu. Y a personne pour le voir. Et il commence vraiment à avoir envie de dormir.

Pathétique, se murmure à ses oreilles. Mais il écoute pas. Il a l’impression d’entendre des pas. Ou peut-être qu’il rêve déjà. Alors il relève même pas le visage, laisse ses songes lui jouer des tours.

Mais il est bien obligé de se tirer des bras de Morphée. Car une présence s’est approchée. Et une voix a même brisé le silence. Une sirène qui vient le sortir du cocon dans lequel il s’était plongé. Il se redresse et son regard tombe sur un visage bien trop familier. Et il sait pas quoi en penser, il a l’impression que son cerveau est déjà givré justement. Ou il l’a toujours été.

Pourquoi il se donne la peine de s’arrêter ? Et de lui parler ? Qu’est-ce qu’il veut ? Hein ? Qu’est-ce que tu veux Kasey ? Vas-y, crache tout ce que tu as sur le cœur. Il est à terre après tout, il ne te reste plus qu’à l’achever.

« … hein ? »

Pas de réplique cinglante. Sa confusion embrume trop son esprit pour qu’il parvienne à mettre les choses bout à bout. Il faut qu’il se lève c’est ça ? Mais il a pas envie de se lever en fait… Il est bien là. Oui il fait un peu froid mais, et alors ?

Et il tend la main vers Kasey. Oui, viens lui en aide. Alors qu’il ne le mérite même pas.

Mais quand ses doigts froids atteignent la paume encore tiède. Il tire dessus brusquement. Puisqu’il a pas envie de se lever, autant que l’autre vienne s’asseoir. Et c’est une invitation délicate dont il a le secret.

« T’aurais dû continuer ton chemin… »

Il grommelle. Il soupire. Il sourit. Oui Kasey, si t’avais pas fait demi tour, tu te serais pas encore retrouvé au sol…

Halloween

Oh il s’énerve. C’est presque mignon de le voir ainsi sortir de ses gonds. En tout cas, ça ravit Klaus. Et il ricane. Sans trop savoir pourquoi d’ailleurs. Ca tourne au dessus de sa tête. Et ça tourne sous sa poitrine. Il arrive juste pas à faire le tri dans tout ça. L’alcool n’aide certainement pas. Mais rester dehors cette nuit pourrait peut-être contribuer à remettre tout cela en ordre. Kasey aurait vraiment dû continuer son chemin sans s’arrêter, sans se retourner. Qu’est-ce que cela lui a apporté hein ? De tenter de l’aider ? Rien. Absolument rien. Le vide intersidéral.

Et il se relève aussi vite qu’il est tombé. Peut-être un peu trop vite. Peut-être que ça aurait été agréable de profiter encore un peu de sa compagnie, de ne pas être totalement seul dans cette nuit noire.

Mais il ne part pas. En tout cas, pas encore. Et Klaus ne sait pas comment interprété ces derniers mots, ceux qui ont ce goût si amer. Et peut-être aussi celui du regret. Mais que doit-il y voir dans ces paroles ? Ne voit-il pas plus qu’il ne devrait ? Ne voit-il pas le miroir de ce qu’il ressent ? Alors qu’il n’en est peut-être rien pour Kasey…

Soupir. Et ses yeux se fixent sur l’homme qu’il est devenu alors qu’il aurait préféré qu’il reste éternellement ce petit garçon qu’il devait protéger. A cette époque, c’était plus simple.

« Tu trouves pas ça drôle hein ?! Que t’essaies de m’aider ? Que ce soit toi qui le fasse alors que t’étais même pas capable de te défendre tout seul ? » Un rire sans joie souffle entre ses lèvres « J’ai pas besoin que tu m’aides. J’ai jamais eu besoin que quelqu’un le fasse. »

Se débrouiller seul. Ne compter que sur soi-même. Peut-être que ça ne lui a pas réussi, peut-être qu’il aurait été promis à un avenir plus brillant s’il avait fait différemment, doté d’une meilleure réputation et d’une maturité plus affinée. Qui sait… Peut-être qu’il aurait été un peu plus comme Kasey, étudiant modèle et apprécié. Mais sans esprit rebelle. Et ça, ça n’aurait jamais été lui.

« T’as grandi trop vite et c’est toi qui avais plus besoin qu’on t’aide. Voilà comment on en est arrivé là. »

Il se fiche de savoir si Kasey attendait une réponse. Et tant pis si il parlait du labyrinthe car ça lui importe peu d’être perdu et de devoir attendre le lendemain pour pouvoir s’en sortir. Klaus n’a pas besoin du confort de son lit, ni de la préservation de son image.

« Allez tu peux te casser maintenant, va trouver la sortie et laisse moi pioncer. »

Halloween

Qu’il se taise. Voilà ce qu’il veut. Il veut plus rien entendre. Plus entendre ces mots tranchants. Ces lames aiguisées qui viennent se planter un peu plus dans son égo abîmé et sa peine trop enfouie. Parce que c’est toujours plus dur de gérer une vérité brûlante lorsqu’elle est prononcée si froidement par quelqu’un de précieux. Ou qu’il l’était. Klaus ne sait plus. Est-ce que Kasey compte toujours pour lui ? Est-ce que lui compte toujours pour Kasey ? Et ça le rend dingue d’avoir ces questions qui tambourinent dans son esprit.

Alors il voudrait juste le silence.

Mais Klaus est bien plus doué à invoquer le chaos plutôt que l’apaisement. Et il ne sait pas comment, sûrement par instinct, et parce que c’est ce qui coule dans ses veines, le voilà qui s’est relevé brusquement. Qui lui fait face à nouveau alors que ses yeux le regardent furieusement. Des étincelles prêtes à jaillir au moindre craquement.

« Ferme la Kasey, putain ferme la ! »

Ou la prochaine fois, j’te pète les dents. Et au fond, il veut pas. Ne pas atteindre ce point de non retour. Même si celui-ci est peut-être déjà atteint depuis longtemps. Mais s’il reste un fil, juste un dernier, il ne veut pas être celui qui le coupera.

« J’suis peut être qu’un sale con mais crois moi, t’es bien loin d’être parfait. Alors arrête de te donner des grands airs, tu vaux pas mieux que moi ! »

Peut-être que si un peu. Peut-être que Kasey vaut plus que lui. Peut-être qu’il a toujours été meilleur que lui. Et que depuis le début, ils n’avaient rien à faire ensemble. Juste un coup foiré du destin. Des origines communes qui ont brouillé les pistes.

Mais il est temps de remettre les choses à leur place. Qu’il regarde de loin s’envoler le garçon promis à un avenir plus brillant que le sien. La seule chose qu’il demande Klaus, c’est simplement de ne pas le voir briller de trop près. De ne pas être ébloui à en devenir aveugle. Plutôt se crever les yeux que ça.

Halloween

La voix s'élève. Et se perd pourtant dans le silence. Dans une phrase qui n'a pas de fin. Et donc aucun sens pour Klaus. Il ne comprend que les choses simples. Il ne comprend que ce qu'il veut comprendre. Surtout quand l'alcool s'y mêle.

C'était plus facile quand ils étaient gosses. Bien plus faciles. Des sourires insouciants, des promesses innocentes. Un futur qui ne paraissait pas si effrayant. Et une amitié solide capable de tout affronter. Pour quoi au final ? Qu'en reste-t-il ?

Mais le voir désœuvré, ça réveille quelque chose en lui. Ca lui tord l'estomac. Encore plus de savoir qu'il est celui qui a provoqué ça. Et dire qu'avant il fonçait tête baissée pour s'en prendre à ceux qui osait être à l'origine de tous ses maux... il fait parti désormais de ces bourreaux qu'il haïssait tant. Il y aurait presque des excuses qui flotterait sur ses lèvres. Mais il n'a pas le courage pour ça, ça fait des années qu'il préfère la lâcheté. Finalement, normal que Kasey ait fini par se détourner de lui...

« Oublier quoi ? »

Il est certain d'une chose : il ne veut pas oublier. Pas tous ces précieux souvenirs. Pas tous ces moments ancrés encore trop vivement dans sa mémoire.

Mais ce n'est probablement pas là qu'il veut en venir. De toute façon, Klaus ne cherche même plus à le suivre. Avec lui, il est encore plus perdu que dans ce labyrinthe. Est-ce que trouver le chemin de l'un permettrait aussi de trouver l'autre ? Ca n'a pas vraiment de sens mais il a comme l'impression que s'il reste ici, ils finiront par s’asphyxier et il ne restera plus rien d'eux.

Non, il ne veut vraiment pas oublier.

« On s'casse d'ici... »

Revenir sur ses paroles. Ne pas véritablement accepter l'invitation première de Kasey. Essayer de l'embrouiller.

Alors qu'il sait pertinemment que ça ne marchera pas. C'est Kasey le plus intelligent des deux, ça l'a toujours été. Lui, il avait juste le bénéfice de l'âge, quelques précieuses années en plus qui ont créé l'illusion.

« J'suis fatigué aussi. »

Seul terrain d'entente. Et la stricte vérité pour une fois. Est-ce qu'une nuit de sommeil pourrait tout effacer de cette soirée désastreuse ? Bien sûr que non. Mais pourquoi pas faire semblant que si. Blâmer l'alcool. Blâmer la soirée. Blâmer le labyrinthe. Et fuir, encore.

Il n'ose même plus le regarder. Parce qu'il ne veut plus rien lire dans son regard. Mais il n'arrive même pas à bouger non plus. S'il avance ne serait-ce que d'un pas, il a peur de vaciller. D'être encore plus ridicule que jamais.

Halloween

Ce rire. Ce foutu rire. Il vient le chercher jusque dans ses tripes, il comprime sa poitrine. Au point de le haïr et de ne plus avoir envie de l'entendre. Plus jamais. Alors que Klaus l'adorait tant avant, qu'il se sentait gonflé de fierté lorsqu'il arrivait à tirer plus qu'un sourire chez Kasey. Et d'ailleurs... à quand remonte leur dernier fou-rire ? Une éternité. Il ne s'en souvient pas même. Mais il sait pourtant qu'ils en ont eu tellement. Est-ce qu'il est voué à oublier le reste aussi ? Qu'il en revienne même à douter de l'existence de ce passé ? Et même le visage de Kasey finira-t-il par s'effacer de sa mémoire pour ne laisser qu'une vision floue d'une enfance oubliée ? Il ne le veut pas. Ca non, Klaus ne le veut pas. Car il ne veut pas disparaître non plus.

Ou alors simplement disparaître dans ce labyrinthe pour parvenir à en trouver la sortie.

« Ouai... »

Il aura plus de chance, lui, Kasey. Alors que Klaus, il errera probablement pendant des heures. Mais comment lui en vouloir de vouloir se libérer de ce poids mort... Loin l'un de l'autre, ils auront surtout plus de chance de ne pas continuer à se détruire encore un peu plus.

Alors il recule d'un pas. Ne plus se laisser le choix. S'avouer vaincu et acquiescer. Regard fuyant. Parce que c'est trop dur que de croiser une dernière fois son regard avant de s'enfoncer dans l'obscurité du labyrinthe. Il ne veut pas avoir à supporter cette image tandis qu'il se perdra dans le dédale qui s'ouvre à lui.

« Salut. »

Rien de plus. Alors que maintes et maintes choses lui brûlent les lèvres. Mais il n'a pas le courage. C'est plus simple ainsi.

Et il s'avance dans la direction opposée. Mains dans les poches, l'esprit embrumé. Au fond, il espère sincèrement que Kasey trouvera la sortie le plus rapidement possible. Au fond, c'est même certain qu'il y parviendra, son intelligence et son ingéniosité ne lui feront pas défaut ce soir. Contrairement à Klaus qui ne peut guère compter que sur une potentielle chance. Alors non, il ne lui écrira probablement pas pour lui annoncer qu'après des heures d'errance il s'en est enfin sorti, ce serait lui prouver une fois de plus à quel point il est bien trop lamentable. Mais Kasey s'en inquiétera-t-il ? Encore une question sans réponse. Encore la tentation de laisser sa parole prendre le dessus pour essayer de savoir.

Mais non. Continuer. Et ne pas se retourner. Surtout pas. Qu'ils rejoignent désormais leurs mondes. Qu'ils enterrent définitivement leurs souvenirs. Peut-être que finalement, oublier ne serait pas une si mauvaise idée...

Halloween