L'élégance de tes doigts traversant la mer de tes cheveux accompagne la main jumelle qui vint à refermer le casier contenant tes affaires - tu vins à déposer ton sac vide juste au dessus pour éviter qu'on ne marche dessus.

L'envie pressait chacun de tes pas, comme s'il y avait à l'intérieur, quelque chose en toi, qui n'attendait que ça - courir, courir si fort, si dur et si loin qu'on pourrait en perdre pied, en avoir mal au souffle, avec cette impression paradoxale d'avoir la possibilité de respirer. Quand on court, on ne pense pas, on ne réfléchis pas, devant soi il n'y a que nos limites et un objectif à atteindre, comme si personne ne pourrait jamais nous rattraper si on avait la capacité de courir plus vite, toujours plus vite, toujours plus loin, jusqu'à s'y perdre en chemin.

Une œillade au ciel du crépuscule et fleurit ce sourire satisfait sous l'apparence d'une risette à peine esquissée. Tu ne penses à rien ce soir, Elior, rien ne semble ombrager ton corps alors que tu t'échauffes dans l'intention de battre tout les records. La poigne qui se resserre sur ta bouteille d'eau - c'est un mensonge - tu déplores l'absence du garçon et tes pensées perverses font éclore l’inquiétude dans le palpitant - une gorgée comme pour se noyer.

Il faut s'oublier.

– Elior.

Un sursaut et le corps qui s'engraine, tu pivotes la tête avant d'accompagner tes pieds et les tonalités de sa voix empêche à ton air de se faire habituellement narquois. Le silence d'une seconde et tu sais que tu es dans un de ces moments-là ; alors, tu l'observes, le contemple reprendre la parole et tu lui accordes d'un hochement de tête aussi léger que cette soirée.

Et puis, puis comme s'il ne pouvait s'en défaire, l'amusement revint ; chassez le naturel et il revient au galop - pas vrai ? Ah, Elyas - tu ne trompes personne ou tout du moins, tu ne peux le tromper lui.

Ah ! Un rire de dédain qui n'en est pas vraiment un - croisement des bras et l'amusement par toute petite particule dans les cordes de la voix.

– Comme si je me laissais aller... Le soir, c'est mieux que le matin et ta proposition de faire les deux, c'est sans moi, tu sais bien. fis-tu sans le lâcher des yeux - tu as des dizaines de questions, Elior, des dizaines de centaines, mais tu ne les lui poses jamais ; par respect et aussi par fraternité.

Comment tu vas ? mais tu n'oses pas lui demander maintenant.

– Tu cours avec moi ?

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et c'est un peu ce que tu sous-entends.

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Réponse à demi-soufflée et tu ne fais que le regarder ; les mots parfois sont inutiles et tu sais qu'il sait que tu es présent pour l'écouter si l'envie lui prenait. Tu sens l'atmosphère fragile à l'instant même où vous alignez vos pieds pour commencer cette course tranquille.

Le silence te paraît pourtant assourdissant et tu abaisses le rideau de tes paupières pour prendre une longue inspiration - la nuit avait quelque chose d'angoissant et paradoxalement de réconfortant - et pendant ce laps de temps, tourne toute les questions que tu aimerais lui demander ; pourtant, tu es principalement inquiet.

Je vais bien. et tu n'y crois pas un mot.

Qu'a-t-il bien pu lui arriver ?

Au moment même où ton bleu du ciel se déploie à nouveau au monde, tu le vois accélérer et ce comportement soudainement singulier ne fait que renforcer l'émotion qui te prend - que fait-on de lui ? qui a-t-il de si terrible ? pourquoi a-t-il des empreintes de douleur sur le corps et sur le cœur ? pourquoi lui plus que toi, elior ? ils n'avaient pas le droit de le faire souffrir comme ça.

Alors, alors, tu essaies de maintenir sa cadence et tu le suis dans cette course qui n'en est plus vraiment une, si ce n'est l'expression d'une rage refoulée contre cette chose qui te semble si abstraite. Très vite, plus vite, vous arrivez enfin à votre point de départ et tu rattrapes la bouteille d'eau avant qu'il n'explose sous tes yeux. Un coup accompagné d'un juron et tu te figes, les pieds bien ancré au sol alors qu'il se dévoile sous tes yeux, buvant jusqu'à plus soif avec le feu dans les prunelles - une pensée inutile se manifeste sur le fait que tu le trouves soudainement impressionnant.

– Ça ne s'est pas très bien passé ce soir.

Ça semble être un euphémisme.

Tu laisses quelques secondes de silence, alors que tu joues maladroitement avec ta bouteille d'eau, reprenant bien vite un souffle que tu avais acquis - tu ne le lâches pas des yeux, même s'il ne te regarde pas.

– Je vois ça, oui... avoues-tu à ton tour d'un ton calme que tu voulais conciliant et loin de ton sarcasme habituel.

Un pas.
Un pas et puis deux et puis trois - tu te postes à peine derrière-lui, à sa gauche alors que tu te permets de mieux discerner son visage.

– Tu sais, je peux écouter.

Tu peux écouter si l'envie lui prend de te dire, de te dire ce qui ne va pas, de te dire que rien ne va, de te dire qu'il n'a rien à dire, qu'il n'a pas besoin de toi, de te dire sans tout te dire, mais te dire ce qu'il avait envie de te dire - ah.

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et il ne peut pas s'empêcher de s'inquiéter.

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– Certains ordres semblent inaccessibles.

Les lèvres qui s’entrouvrent comme pour chercher de l'air alors que tu contemples son désarroi avec le tambourinement lancinant qui obstrue tes tympans - les regrets te semblent presque palpables tant ils te font mal ; tu l'as rarement vu ainsi, peut-être même, est-ce la première fois qu'il semble si indécis.

Et quand les mots s'alignent, tu reconnais le tiraillement des cordes de la voix - oh, toi plus que quiconque Elior, tu sais ce que c'est, d'être déchiré de cette façon là, sur ce sujet là - et peut-être que tes épaules en tombent, comme si tout cela était assez prévisible au final. Vous deux, cette académie, elle vous a forgé la vie, vous avez tout les deux assez d'étoiles pour bien y vivre, pour bien survivre, pour même vous y plaire - mais il faut croire que le temps des illusions est surfait. Vous grandissez. Et Elyas, bien plus que toi, porte un fardeau plus lourd encore qui se manifeste par quelque chose qu'il n'a pas demandé, qu'il n'a pas voulu, mais qu'il a peut-être recherché sans y comprendre la finalité.

– Je suis quoi, pour toi, Elior ?

Les yeux dans les yeux, semble s'y dérouler un combat dont vous n'avez ni l'un ni l'autre conscience - et tu avales ta salive sans pour autant lui répondre ; ce questionnement, presque philosophique, te fait frémir. Qui est-il, pour toi, Elior ? Un ami, une compagnie, une confidence, des secrets - évidemment qu'il est un peu de tout ça à la fois ; et pourtant, elle ne répond pas à la question, tu le sais. Comment le vois-tu, Elior ? Semble être une formulation bien plus juste à ton esprit. Tu ne sais pas grand chose sur ce qu'il vit, mais à ça, tu sais comment y répondre.

Il mentionne le fait qu'il abandonne ceux qui comptent réellement pour lui - sous-entendrait-il qu'il t’abandonnerai ? Pour toi, c'est le cas - mais tu ne préfères pas y penser. Elyas, pourrait-il réellement t'abandonner ? Dans d'autre circonstance, ça te ferait rire, doucement sourire - jamais ! que tu t'exclamerais. Or, à cet instant, tu as l'impression qu'il a peur d'en être bien capable - mais ce n'est pas ça qui t'inquiètes ; si cela devait arriver, il aurait une bonne raison, pas vrai ? Tu as confiance en lui, Elior. Ta confiance en lui est quasiment inébranlable et ta loyauté en est presque passionnée - tu veux lui faire confiance malgré la raison qui te souffle de faire attention.

La colère encore et toujours, tu ne lui réponds pas immédiatement et tu t'élances avec lui après l'échange de regard - le silence n'est pas oppressant, mais il est important - et après quelques foulées, tu finis par te calmer jusqu'à marcher, cassant brusquement son rythme pour le faire s'arrêter ; tu regardes le sol, avec cet air concerné et réfléchis comme si tu cherchais les bons mots pour formuler tes idées.

– Ils t'utilisent, comme ils utilisent chacun des enfants placés ici.

Relevé du menton et tu l'observes, vacille d'une de ses orbes à une autre - ton calme olympien semble être un oxymore à sa colère brûlante et enflammée.

– Si tu remues la queue et obéis quand ils haussent la voix, on t'attribues une étoile comme une image qu'on donnerai aux enfants sages. Ils ont tout pensés, tu sais. La carotte et le bâton, les étoiles et l'humiliation. Alors, tu trimes - comme on le fait tout les deux - à faire mieux, parce que tu veux prouver qu'on mérite mieux. Puis arrivé au sommet, quand ils t'ont bien lavés le cerveau, ils peuvent faire de toi ce qui leur plaît.

Tu humidifies tes lèvres.

– Alors tu peux te perdre toi-même.

Tu t'approches.

– Ce que tu es pour moi, Elyas ? T'es un chieur qui me casse les couilles à un nombre incalculable par jour. T'es mon pote, t'es même mon meilleur pote et à chaque fois que je fais ce constat, je pense sérieusement avoir des tendances masochistes pour arriver à te supporter et à t'apprécier. T'es quelqu'un de bien, avec des valeurs, inspirant et que j'admire en tant que capitaine mais aussi en tant qu'ami. Ce que tu fais pour eux, quoi que tu fasses, ce n'est pas toi, Elyas.

Yeux dans les yeux.

– Alors si tu te perds toi-même, je te jure que j'abats le mauvais œil sur toute cette académie de merde et je te fous mon coup de pied au cul.

Et si tu m'abandonnes, Elyas. Je te jure, que je les tues.

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ne t'en va pas, s'il-te-plaît.

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Les notes de sa voix font l'effet d'un soulagement qui aurait pu te couper le souffle - évidemment qu'il te dit comme une assurance d'une promesse muette que vous vous êtes faites. Craint de te battre derrière une muraille savamment érigée pour se protéger, tu te complais à pouvoir te satisfaire de cette place privilégié que tu as pour lui, comme il l'a pour toi.

Oh, Elior, ta loyauté te semble à présent indéfectible. À cette réponse tu ne peux que renforcer ta confiance et ton corps tout entier se laisse aller au plaisir de ce sentiment grisant qui te prend - et l'engrenage de ton coeur se précipite pour tout pleins d'émotions à la fois, auxquelles tu ne préfères pas réellement y penser.


Son aplomb naturel semble revenu comme si tes mots avaient eu l'effet escomptés et quand il te glisse cette tirade narquoise, tu ne peux que lui léguer un sourire tordu et un air désabusé - amusé. La vérité est, qu'il n'a pas tort, Elior - tu serais perdu sans lui ; mais tu préfères encore mourir que de lui dire.

Il avait assez de toi comme ça.

Au rapprochement soudain, tu désespères d'entendre ton palpitant rater un battement, comme un aveu des sentiments enfouis et cachés. Ceux pour lesquels, Elior, tu te pares de mensonges déguisés et de placidité blasé ; que dirait ton ami, à la connaissance du fait, que sa beauté t'ébranles chaque nuit - l'idée même t'effraie.

L'angoisse d'être qui on est.

Ton trouble se lit une seconde trop longue sur ton fascié, papillonnant des paupières comme pour s'en débarrasser, avant que la force et l'envie de répliquer se fassent plus fortes encore. Tu as envie de lui faire avaler sa fierté et ses mots railleurs jusqu'à ce qu'il en étouffe, jusqu'à ce qu'il en souffre.

— Si je pouvais te couper la langue, je le ferais. craches-tu en assénant la paume de ta main sur son front avant de le pousser, pour te dégager de son emprise hypnotisante.

— T'es un gros con, Elyas. T'es même le roi des cons dans un royaume de gros cons et si j'voyais un psy, il me dirait juste que t'es un gros con. Moi j'te dit des belles choses et toi tu niques tout ! fais-tu semblant de dramatiser et de bouder, pour finalement lui faire ton plus beau doigt d'honneur pour t'élancer sur la piste, sans plus tarder, sur une nouvelle foulée.

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Tiraillements gratifiants qui emplissent ton esprit d'une sensation libératrice - tu as cette envie de ne jamais t'arrêter, jusqu'à t'épuiser, jusqu'à te fatiguer ; et tu sais que ce n'est jamais bon pour les entraînements, mais t'es un peu comme ça, Elior, tu recherches le supplice comme pour faire justice.

Le coeur qui tambourine et le souffle qui se meurt, alors que tes poumons te font grâce d'une respiration qui monte et qui descend - tu bois jusqu'à plus soif, jusqu'à ce que la bouteille s'écrase et se renferme sur elle-même dans des craquellements grotesques. Il t'interpelle et tu lui jettes un coup d'oeil en biais, avant d'échapper tes lèvres du goulot pour laisser chanter un rire ; un vrai.

— Même pas en rêve.

Tu sais que cette victoire n'est pas mérité et de ce fait, tu décides de ne pas le taquiner - tu t'étais réellement inquiété face à son état - et tu te retrouves plus admiratif qu'autre chose finalement ; il devrait avant tout se reposer.

Pourtant quand tu plonges dans ses prunelles et qu'il te regarde de cette façon-là, tu sembles soudainement t'y perdre, Elior, dans ce regard - il ne devrait pas regarder les gens comme ça.

Il t'interpelle et tu sursautes presque imperceptiblement, alors que tu refocalises ton attention sur ses prochains mots qui pourtant ne viennent pas. Il n'y a que son sourire à la place, qui enflamme tes sens et échauffe ton sang, au point de ne pas le comprendre vraiment.

Merci.

Ah.

et peut-être que c'est trop
trop pour toi
trop lourd à entendre
à comprendre.

tu ne penses pas les mériter
(ses remerciements)
pourtant
p o u r t a n t
tu en mémorises la sonorité
c'est agréable
de lui être
spécial.

Le souffle toujours un peu court par l'exercice du corps, tu sens sensiblement tes joues se parer de plaisir et ta peau chauffer comme si tu étais réglé à mille degrés - priant tout les dieux du monde pour que le crépuscule englobe ton visage, alors que, de nouveau troublé, ton regard s'envole avant de le retrouver.

— T'es con.

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