ici on enseigne. comme partout dans le monde. comme nulle part dans le monde. ici on enseigne ; des paroles d’évangile, de foi performative. les mots du futur, des sociétés nouvelles.

pourtant, aujourd’hui rien ne change. ni la matière ni les élèves. la mathématique reste la même que celle des écoles extérieures : des équations pragmatiques. le présent comme l’avenir se traduit en algèbre.

mais anaël ne comprend rien à l’algèbre.
ça se calcule au-devant de la scène,
sur le tableau propre
d’un cours trop lisse.

alors, assis derrière un flot de têtes – classe sage, classe pieuse – anaël entretient sa conversation avec le mur, entamée quelques minutes plus tôt. il discute à coup de feutre noir. sur la façade fade, il esquisse un argument. ça se présente comme suit :

une directrice windsor, toute petite, les yeux pétillants, sur les énormes genoux d’un vieux directeur winchester, yeux exorbités, sourire gourmand.

les traits sont généreux. gras. anaël ajoute tu vx goûté mes bonbons près de la bouche du vieux directeur. c’est un très bon argument, qu’il trouve. mais il rencontre de la résistance dans la voix autoritaire qui s’élève. elle appelle son nom. anaël a l’habitude. poli, évidemment il répond.

wait a sec teacher, j’mets mon ? à la fin d’ma phrase.

une. deux. au-devant de la scène, on l’appelle toujours. plus fort. plus agressivement. alors anaël, piqué, répond. encore, parce qu’il est poli.

déridez vot' face de thon moisi, for fuck sake! j'tue personne là.

il reste vingt minutes au cours. vingt minutes de trop pour l’enseignant. son ombre vient assombrir le bureau d’anaël. l’Alice referme son feutre noir, il le range, tranquille, dans son étui. on lui demande où se trouve le devoir d’aujourd’hui. l’a-t-il fait ? anaël lève un doigt ; exige une petite minute d’attente. à cette classe sage, pieuse.

anaël se penche vers son sac, extirpe son cahier de math. arrache une page. range son cahier. met la page sur son pupitre. sort son feutre noir. ouvre son feutre noir. puis anaël écrit.

devoir du mercredi 16 octobre
g fé mn devoir :)



vingt minutes plus tard, il est toujours dans la classe. on lui a assigné un pupitre de la première rangée ; le pupitre du milieu. tout le monde est parti. anaël doit attendre que la justice lui apporte sa sentence.

il a une petite idée de celle qui viendra s’emmerder avec lui.
franchement, il ne veut pas effacer son dessin : la caricature est plutôt réussie, qu’il trouve.

ils se propulsent dans l’air comme des obus. des mots mitraillés, à peine est-elle entrée. il n’aime pas qu’on l’appelle quinn. c'est le nom de son père. il a rien fait mon père, qu’anaël pense. et l’agacement pointe dans un pfff, suce mes couilles qui s’enterre sous la pluie d’obus. daisy, daisy.

c’est toujours daisy. depuis l’année passée, c’est elle et personne d’autre. anaël abandonne son menton au creux de sa paume. le regard ailleurs. à attendre qu’au rythme de ses gestes, la daisy disparaisse. mais non. évidemment.

trois coups à s’ennuyer parce qu’elle résiste. la foi, ça ne veut jamais vraiment partir. il coule son regard, aux pétards allumés, vers la sculpture qui se dresse devant lui.

et soudain anaël la déteste.
une seconde.
le temps qu’elle s’incruste dans sa chair, cette aura maudite. c’est d’la triche, bitch, mais il se retient. anaël dit rien. il sourit quand daisy le pique. sourire de compassion, sourire de provocation. ce ne sera pas sa faute, tu l’as cherché, daisy.

nan mais faut starter en douceur justement. face de thon moisi, c’est mieux que fat ass de pédago avorté. bah ouais quoi, z’avez d’jà vu comment il nous teach sa came de vache ?? c’pas parce qu’on est nul qui faut nous montrer l’algèbre comme à des kids de 3 ans. sucker.

il y a cette aura autour d’eux. et en souriant toujours, anaël ajoute, comme une excuse.  

et jvais pas le traiter de fdp, j’ai du respect.

pas comme c’te fdp. mais anaël se tait. lâche un soupir, étire les jambes. fait craquer son cou. si vous êtes fatiguée dormez m’dame. c’pas bien être sourd à son corps. en plus, être ici ça vous fend l’cul et ça fend le mien aussi, comme vous dites. et pis c’est juste un dessin sur le mur. il est quand même stylé non ? j’vois pas pourquoi j’me retrouve en rattrapage c’te fois. anaël attrape la fermeture éclair de son sac. ses yeux fixés sur la prof. il parle trop. d’habitude, ses mots envoient paître et anaël quitte la classe ; il a autre chose à faire de ses soirées. mais avec daisy, on dirait qu’il doit toujours s’excuser.

partir le plus vite possible. avant que ça n’empire. alors sans rancune. y’a le joker au ciné ce soir. et les sièges sont plus confo que dans c’te trou d’bite.

dans sa tête, il roule son dé 20 : faut vraiment faire une réussite critique. sinon, adieu les heures de liberté.

plus propice à leur apprentissage. il a soupiré anaël, comme un comédien de rue. elle l’a bien vu daisy. elle a vu aussi qu’il écoutait à demi. anaël a ignoré la sagesse d’adulte comme on balaie une mouche dans son sommeil. peu réveillé. peu secoué. qu’est-ce qu’ils en savent, de ce qui est bon pour l’apprentissage ? avec leurs diplômes et leurs théories de pédago. taper sur la tête avec des mots en ciment, ça débilise autant, qu’anaël a songé.

la porte s’est refermée à un millimètre de son nez. il a lâché un « wtf » comme un cri de détresse. en reculant d’un pas, il s’est retourné vers la prof, insulté.

holy trash, mais vous êtes cin…

anaël la ferme. dévisage daisy en silence. sa main tient la sangle de son sac, paisible contre son épaule. l’autre main dans la poche de son pantalon, planté devant la porte, les yeux d’anaël perdent quelques étincelles. mais les yeux d’anaël ne quittent pas l’incendie dans ceux de daisy. les balles tirées à coup de colère. il écoute. il entend la menace à l’horizon. il retient la particulière attention de sa prof. pourquoi tu fais pas comme les autres et tu m’laisses pas tranquille ? qu’est-ce que j’t’ai fait ? les questions qui pointent dans son esprit. et puis

pfff !

encore.
anaël s’appuie, coule son dos, contre la porte. regarde ailleurs, la jambe qui bouge. regarde daisy, la jambe immobile.

j’pourrais dire same que vous : c’tout c’que vous trouvez comme insulte, p’tit con ? rohlala z’avez d’jà fait mieux, j’suis sad sad. et pis non j’ai absolutely no fucking clue why you’re here, ok ?

et anaël cesse de rire. la bouche tirée. les yeux serrés. marre marre marre enough shit enough.

c’quoi c’te punition d’cinglé ? masque, malédictions… this place’s already a fat ass curse. y’a quoi d’pire qu’être stucked dans un shitty coin comme ici hein ? et pis… et pis… merde là votre débilité d’alice… ! et pis suck it ! pourquoi là vous vous en faites autant ? y’a tous les profs ils m’emmerdent ils m’insultent mais au moins they don’t give a shit. j’veux dire, donnez-moi un chiffon j’vais nettoyer l’mur et c’correct, c’fini on en parle plus c'te fois. et pourquoi là c’est « Anaël » et plus « Quinn », qu’est-ce que vous avez avec moi bordel de cul ???

il se tait. hors de ses gonds. c’est une première.
il devait voir joker. l'anticipation de la folie l'a peut-être influencé. 

elle est partie comme elle est venue. avec toutes ces plumes d’oiseaux au poing, toutes ces plumes qu’on laisse s’envoler parce que la voix l’ordonne. du reste, en cage les oiseaux charognards. parce que c’est connu que les gueulards,

ça se fatigue pour r i e n. en cage les oiseaux parasites.

anaël, un temps, reste dos à la porte. parce qu’il y a des fois, elles restent ouvertes sur du vide. anaël reste dos au vide. elle n’entendra rien puisque daisy maintenant choisit un autre camp. elle n’entendra rien parce qu’elle a décidé de se battre pour toi, puis de partir. une rumeur dans la fureur.

elle n’entendra rien du bruit qui court-circuite les idées d’anaël et le tumulte dans sa tête s’amplifie, au passage des ondes graves – réalistes, et le tumulte grandit

brouhaha brouhaha brouhaha
le silence bruyant des yeux d’anaël
la cacophonie entre ses deux oreilles
gronde


j’ai pas d’mandé au christ rédempteur de sauver mon cul !

comme ça, dans le silence de la classe, il a crié. le fin d’une fureur que les pétards mouillés dans ses yeux ne contiennent plus. mais comme ça, dans le silence de la classe, il faut avouer anaël que ça n’a pas grand impact.

alors il laisse tomber un sucker fatigué. il prend son sac – il soupire beaucoup. on l’a laissé sans punition assignée, il ira voir le joker. c’est toujours le temps. il ira voir la solitude folle à l’écran.

il aurait pu courir après daisy.
être véridique pour une fois. du moins, du plus proche de sa vérité qu'il puisse être. il aurait pu courir après daisy,
mais aujourd'hui, pourquoi ?
demain peut-être.
un jour.

anaël,
c’pas toujours clair, c’que tu manigances.
mais ce soir, ça semble moins flou.