s’il était tombé sur jésus à la fin de la file, ça aurait eu le même effet. wtf. puis anaël, sans mot dire, lui rend son sourire. un croissant de lune fendant la bienveillance étoilée. le prends pas pour un con. avec tes mains honorifiques, qui portent à ta bouche la preuve de tes titres. le prends pas pour un con, orion. tu choisis bien tes interlocuteurs, anaël n’est pas dupe. il a entendu la rumeur sur toi courir puis partir. il a vu ta légende rester. il ne pensait pas être si prioritaire dans ta liste de rescapés.

comme c’est flatteur.

bah vas-y, pas d’souci, ramène ton cul avec moi. j’croyais bouffer avec daph mais c’est du lourd là. c’pas tous les jours que mr. le président nous choisi.

et anaël prend l’initiative. il se fout bien de la place et des élèves qui y seront déjà. il décide également qu’il se fout d’avance des paroles d’orion. ou peut-être pas. il peut bien écouter ce qu’il va lui déclamer, ça fera une musique de fond. ça le distraira de sa quasi carence alimentaire. c’est bon le riz, mais à la longue, ça crée des trous dans le mental. des petits. ça aère son esprit, qu’anaël pense.

il s’assit dans une des rangées centrales. y’a des collégiens à l’autre bout. ils commencent à réfléchir ceux-là.

so now, si c’est pas grave c’que t’as à m’dire, c’est quoi ? tu t’es découvert un goût pour le post-apo ? ah non je sais ! t’as une passion secrète pour les porte-clefs, what a coincidence! y s’trouve que j’en ai plein. y’a un joli p’tit bulldog dans ma collection, il te ressemble un peu. you can take it if you want.

anaël pique sa fourchette à travers son riz. sourire en coin. sourcil haussé. peut-être qu'ils ont davantage en commun qu'il ne le croyait. le repas, c’est une bonne occasion de se divertir après la lourdeur des cours.

dans sa bouche, le riz prend un autre goût. tout d’un coup. orion est lisse, poli ; un miroir entretient mieux la conversation. un miroir sait mieux rire que lui. anaël s’apprête à répliquer. son sourire amorcé en rire, les épaules décontractées. il s’apprête à dire que,

que les bulldogs en porte-clefs savent être utile. à défaut d’un animal de compagnie, il saurait meubler un peu l’univers strict d’orion. un bulldog en porte-clé saurait tenir son rythme sans pleurer. sans désespérer. c’est important pour orion, un bulldog en porte-clé.

anaël a voulu lui répondre sa connerie, mais
soudain, dans sa bouche,
le riz a pris un goût différent.

ses mâchoires se sont arrêtées, figées dans une action quotidienne. vitale. ses yeux – soudain, les pétards s’allument davantage, comme quelques étincelles qui dévient dans la nuit, ignorantes du trajet éclatant des feux d’artifices vers le ciel, des étincelles qui s’écrasent sur l’herbe – ses yeux se rivent sur les traits d’orion. son visage plat, formel.

orion est une forme. un langage mis en forme. des gestes mis en forme. des pensées mises en forme. une vie

les yeux d’anaël s’illuminent. la fourchette, entre ses doigts, suspendue dans le vide. il y a la couleur des passions. et la couleur du froid. des teintes de jeu et des nuances sourdes à travers ses iris.

autour d’eux, les luttes fusionnent dans des paroles anodines. autour d’eux, ça vit son quotidien.

dang man, tu peux vraiment faire ça ? like (claquement de doigts) rendre des p’tites étoiles aux clebs ? shit, t’es magicien ? et c’est quoi ton aide, just sayin ? une potion d’excellence ?

potion d’excellence. il y a un flash dans son regard. une comète lointaine qui traverse le noir des yeux. un trait lucide qui ne s’exprime qu’au détour des conversations sérieuses. anaël déteste les fausses évidences.

tu as raison orion ; rien n’est difficile.
il faut seulement y mettre du sien.
tu as raison orion ; rien n’est plus simple
que de revenir dans la track.

c'est fou hein,
comme c'est trop simple
même pour les cons comme anaël.
c'est fou hein.

il mastique avec insolence anaël, agite la tête comme s’il comprenait, des hmm, hmm tellement sincères. c’est évident. il mastique avec insolence anaël, il agite la tête anaël, ça fait danser un peu ses mèches brunes. ses yeux qui s’écarquillent, surpris, aux mots rigueur et discipline. vraiment, il aurait pu se proposer comme comédien à la commedia dell’arte. puis il s’indigne anaël, lâche sa fourchette dans l’assiette, écarte les bras et recule le cou.

woh woh man. first, (place une main devant lui, fronce les sourcils) faut apprendre à faire la différence entre « dégradation du matériel » et l’art. come on (écarte à nouveau les bras), faut voir la chose avant d’parler : j’fais des p’tits doodles ici et là, mais y sont inoffensifs dude. you’re hurting me saying what you say.

ok parfois mes p'tits dessins traversent le mur sous le coup de l'émotion, excuse-me pardon.
anaël pose une main sur son cœur. fait une moue. et puis

le flash dans son regard revient. la moue disparaît. anaël reprend une bouchée de riz, un doigt levé. attends j’ai pas fini, boy. avale sa bouchée, zieute un peu la cafétéria, reprend.

second, darlin’, (un temps, puis pose les coudes autour de son plateau, yeux plantés dans ceux d’orion) c’pas parce qu’vous dites pas une chose qu’elle est pas sous-entendue somewhere else quand vous parlez. show don’t tell, tu connais i guess ? c’pour le théâtre, y paraît. j’pense ça s’applique partout. vas pas croire que c’que tu penses pas c’pas là. le grenier, la bouffe, les motherfuckin’ étoiles, les mains tendues en mode i could do it so you can, les p’tites sentences comme c’est qu’des casseurs, quand ça r’dressera ça comprendra… every goddamn thing dans c’te genre, faut pas croire que ça inspire à être « meilleur ». not all the time. orion. ça show aussi parfois qu’on est pas pris au même pied d’égalité et, j’sais pas, qu’ça semble arranger some people. sinon tu servirais à quoi, dude ?

regard fixe. tellement fixe que les yeux d’anaël semblent collés à ceux d’orion. ça le fait chier, un peu, parce qu’il aurait pu discuter de voltron avec daphne en ce moment. parce que l’heure du repas, c’est fait pour se détendre, normalement.  

j’peux les faire tes efforts, right. faut savoir si c’que tu m’demandes, tu l’demandes pas plus pour toi qu’pour moi. des efforts pour qu’les adultes t’aiment bien, m’sieur l’président.

plus que marginal, si on le lui demandait, pourquoi anaël tu ne te disciplines pas un peu (tu aimais ça les maths avant, non ?), il répondrait

ça s’rait trop bizarre d’être aimé tout à coup.
parce qu’y m’semble que j’aurais toujours la même face,
celle qui vous fait chier. parce qu'y m'semble
que j'aurais toujours le même cœur,
celui qui vous fait chier, ça s’rait trop bizarre,
qu’on change d’idée pour une bonne étoile.

il en est rendu à empiler sa nourriture.
faire des montagnes de riz, faire s’écrouler les montagnes
toujours penché vers la table, des grains de riz comme chaque éclat
des éclats qui peignent le ciel et ça, tu ne le comprends pas orion.

au grenier, des étoiles aux quasars – des magnitudes aux jeunes galaxies – au grenier, ça se forge au creux de leurs mains. ça n’a pas besoin d’étoiles terrestres, fichées au collet.

moi aussi, j’entends c’que tu dis.

il dépose enfin sa fourchette. pour de bon cette fois. il n’y touchera plus. orion mange et ça coupe l’appétit d’anaël. pas parce qu’orion est dégoûtant, les images formelles sont toutes les mêmes ni laides ni belles seulement formelles, mais parce que son jeu n’est pas amusant du tout. c’est un peu leur manège la fourchette, tu trouves pas orion ? prendre déposer prendre déposer prendre dé

poser.

entendre répondre entendre répondre en

tendre.

seulement entre eux, il n’y a pas encore de base solide, posée. il n’y a pas encore de main tendue. vraiment tendue.

dis-moi, jésus-le-sauveur, what’s your reason pour vouloir m’aider ? as you said. et qui t’dis qu’j’ai besoin d’être aidé ? t’vois c’là qu’c’est un peu compliqué. t’as tout à perdre, j’ai rien à perdre… ni à gagner. j’ai d’jà tout, man. what’s more ? vas-y, raconte.

il est sérieux anaël.
le croit-on.

pour un no star like me, c’est que j’suis un peu débile you know, faut préciser.

avec ton intelligence orion, tu dois certainement voir plus loin qu'une amélioration de notes et le matériel scolaire intact. tu dois voir mieux qu'une étoile comme gage. non ?

oopsie pardon monsieur le président, que les yeux disent. moquerie. mais pas pour longtemps, car orion commence à être fatiguant. la forme qui s’acharne, s’acharne s’acharne. un peu comme elle, les soirs de retenues. et anaël se demande où se trouve l’épine pour qu’ils s’articulent en paroles si bien rodées, en valeurs calculées.

et parce que c’est fatiguant, anaël en a marre ; parler pour rien dire. il faut toujours parler pour rien dire, ne pas comprendre ne pas saisir que

c’est bien mieux de s’articuler sans épine, sans justification, arrêter de se trouver le sens approuvé par le tribunal. tu représentes un tribunal orion. le tribunal des comédiens, tu devrais faire du théâtre, tu te débrouilles bien.

ok,
anaël va t’aider à pratiquer. les didascalies : il empile ses couverts à présent. le riz s’écrase sous le verre vide, couché dans l’assiette. grossier.

les paroles.

c’est ta vision des choses. elle est majoritaire. c’est bien, ça lui donne son caractère officielle. tu voudrais qu’il n’y ait plus de grenier, parce que ce serait mieux, ce serait clair, la direction où l'on s’en va. l’académie aussi, c’est éphémère. vingt ans, c’est éphémère. (hausse les épaules d'évidence) toi tu dis c’est pour le plaisir d’être dissipé, moi je dis c’est pour le plaisir de faire ce qu’il me plaît parce que j’ai pas d’autres codes à suivre que les miens. (sourire en coin)

ok,
ça suffit la pratique.

so, now que j’t’ai parlé comme un élève civilisé, enough. vrai lit vraie chambre à croire y’a du faux dans la vie. clean shit. m'plier aux règles, ça m'coûterait d'être comme toi, aussi tranché sur tout. at least now, c’est moi qu’on r’garde quand on m’met en punition ; c'que j’suis, sans arguments sans dissertation. j’ai pas envie de show off, faire semblant que c’est ok si j’peux pas m’retrouver dans l’jeu.

anaël en a trop dit. une fois, orion, seulement une fois, anaël aura pensé au fonctionnement des choses. parce qu'il faut tenter de te montrer un nouvel angle. inventer, peut-être, un nouveau dialogue.