Dans la chambre d'Elliot, il y a cette chanson qui tourne en boucle, encore, toujours, la seule qu'il connaisse par cœur.


Si on lui demandait qui était sa maman ou son papa, Elliot répondrait qu’il ne sait pas. Et il ne sait pas, c’est vrai. Admis à trois ans entre les murs de l’académie, le monde extérieur est un univers parallèle auquel il ne se sent pas d’appartenir un jour. Il ne garde aucun souvenir de sa vie d’avant. Les visages de ses parents sont inconnus, flous, oubliés depuis longtemps. Mais ce n’est pas grave, ça n’a jamais été grave. Parce qu’Elliot n’a jamais vu en ses géniteurs une famille à laquelle il était nécessaire d’avoir une attache. Sa famille a toujours été là. Il n’a pas qu’une seule maman ou qu’un seul papa. Il a des dizaines des frères, une vingtaine des sœurs, des centaines de cousins et cousines. Sa famille elle est grande, anormale pour le reste du monde, tout à fait logique pour lui. De sa vie d’avant il ne se souvient de rien et tant mieux. Ses premiers souvenirs remontent aux murs de l’académie, à l’uniforme bien propre et au carnet de dessin qu’il serrait contre lui tout petit déjà.  


Elliot n’a jamais su parler correctement. Elliot n’a jamais su bouger correctement. Les mots se bousculent, se bloquent, se saccadent et Elliot a beaucoup de mal à se faire comprendre. On lui explique que ce n’est pas grave, on lui explique que ça arrive des fois, mais que ça ne le rend pas moins intelligent et attachant pour autant. Pourtant, Elliot se sent seul, il se frustre de ne pouvoir dire à Audrey qu’il la trouve jolie, il s’en veut de ne pas pouvoir demander à Justin d’arrêter de le pousser. Alors Elliot se ferme, jusqu’à ce qu’on lui apprenne qu’on pouvait communiquer autrement. C’est un professeur qui lui apprend, qui lui montre qu’en écrivant, on pouvait parler aux gens. Mais ce n’est pas pratique d’écrire, et il y a des choses qu’Elliot n’arrive pas à expliquer. Alors Elliot il dessine, et c’est comme ça qu’il commence à se faire entendre, sans parler, juste à coups de crayons. Elliot il dessine alors Audrey en princesse pour lui dire qu’il la trouve parfaite, il se dessine blessé pour faire comprendre à Justin qu’il doit arrêter. C’est perturbant, ça dérange au début. Mais c’est une grande famille, alors on finit par s’habituer.

Elliot, il ne peut pas non plus courir. Elliot il est souvent malade et là aussi on lui explique que ce n'est pas grave, que ce n'est pas de sa faute. Alors pour compenser, Elliot il dessine la balle au prisonnier plutôt que d'y participer. Il immortalise sur son carnet chaque moment important de leur vie. C'est devenu une habitude, chaque jour il distribue ses dessins, Elliot. Il en garde certain pour lui, les dessins secrets, spéciaux, mais il partage, parce qu'il se rend compte qu'on attend après ses créations et qu'on l'aime pour ça. Elliot est heureux. Même s'il ne peut pas parler comme tout le monde, bouger comme tout le monde, il n'est pas seul, il a toute une famille autour de lui. Elliot vit son enfance comme un rêve dont il ne veut pas voir la fin. Seulement il y a une fin à tout.


Elliot, il entre dans l’adolescence et il n’aime pas ça. Tout devient plus compliqué, plus nuancé, et Elliot ne sait pas maîtriser et voir les nuances. On lui explique qu’il ne pourra pas devenir un explorateur du ciel parce qu’il est trop malade pour, alors Elliot décide d’explorer le ciel autrement, l’amertume de l’enfant frustré dans le creux du ventre, parce que ça a toujours été son grand rêve d’aller voir les étoiles de près. C’est aussi l’époque des grands changements, corporels, comportementaux. Audrey elle lui demande d’arrêter les dessins parce que « ça craint », Justin il envoie avec ses copains son carnet dans l’eau, il a oublié qu’Elliot ne voulait pas qu’on lui fasse du mal. Il est perdu, Elliot, il ne comprend pas. Il veut que tout redevienne comme avant, alors que tout changes. On ne réclame plus ses dessins en fin de journée maintenant. On lui parle d’amour et il ne comprend pas. Il se sent seul, en colère Elliot. Ça le rend fou de voir que le pays imaginaire n’est plus si imaginaire maintenant. Mais Elliot comprend quelque chose. On lui a dit un jour « je t’aime » et il a écrit « moi aussi ». Ce n’était pas entièrement faux, mais ce n’était pas vraiment vrai. Pourtant, on lui a souri, on l’a pris dans ses bras et il a compris qu’il avait rendu heureux quelqu’un. Il a compris qu’on pouvait continuer de faire vivre le pays imaginaire autrement. Qu’il pouvait continuer de faire rêver les gens, en donnant précisément ce qu’on attendait de lui en silence. Alors Elliot il a pris l’habitude de dire oui, de rendre l’affection et la douceur. Foncièrement gentil. Grand manipulateur qui s’ignore. Elliot il comprend qu’il peut rendre heureux les gens. Il le fait de la mauvaise façon, maladroitement, mais qu’importe, Elliot est content, ses dessins prennent vie autrement maintenant. Pourtant, Elliot n’est pas capable d’intimité, il n’est pas capable de désirer. Ça n’arrive pas souvent, ça n’arrive qu’avec quelques personnes, des personnes étranges, où le rêve est différent. Mais ça fait tellement peur, c’est tellement violent comme rêve, qu’on préfère le passer sous silence.


Alors Elliot a continué de rêver au point de se perdre.
Elliot il dessine pour toi des rêves qui ne sont pas les siens.
Elliot il te décroche des étoiles en papier pour te voir sourire.
Elliot il préfère être le plus grand et beau des mensonges.
Plutôt que d’être la plus laide et froide des vérités.
Parce qu’Elliot, il ne sait que rêver.
Elliot, il ne sait pas s’arrêter.