Les paroles d'Elyas étaient les plus attendues par Léo. Enfin, par toute l'équipe de volley en général ; car c'était celles qui les libéreraient de l'entraînement et les autoriseraient à aller manger.
Léo adorait le sport, mais pour ça, il fallait qu'il ait assez mangé pour ne pas penser au repas en plein milieu, sinon ça devenait beaucoup moins agréable : être focalisé sur les gargouillements de son estomac n'était pas très pratique lors des exercices.

Léo se dirigea donc vers les vestiaires après avoir récupéré sa bouteille et sa serviette, et prit une douche rapide. Pour une fois qu'il ne restait pas des plombs sous l'eau chaude! C'était une exception : simplement parce qu'il ne pensait qu'au déjeuner.
En sortant des vestiaires, il se demanda aussi qu'est-ce qu'il allait prendre. En ce moment, il avait envie de curry.
C'est bon et simple, le curry. En plus, il y en a presque tout le temps.
C'était à ça que se résumait sa vie : les cours, le volley, manger, dormir.
Ce n'est pas qu'il détestait vraiment les routines. Mais une routine plus intéressante serait quand même meilleure ; passer moins de temps seul arrangerait sans doute bien les choses. Mais la seule activité qu'il réalisait en groupe, c'était lors des entraînements de volleyball. Et même si c'était déjà une bonne chose, Léo sentait qu'il lui fallait plus.

Une main posée brutalement sur son épaule brisa le fil de ses pensées. Il reconnut aussitôt la voix exaspérée d'Alec :

"Espèce d'imbécile ! Je t'ai fait signe depuis tout à l'heure, tu ne voulais pas me voir ?"

Il était essoufflé. Léo en déduit qu'il lui avait couru après et il se sentit coupable de ne pas l'avoir remarqué. Déjà qu'à la base, Léo avait du mal avec les signes de loin... Il se demande toujours si c'est à lui que les personnes s'adressent : soit il devait saluer la personne au risque de passer pour un imbécile, soit il ne répondait pas et mettait un vent à l'autre.
Sérieusement, comment est-ce qu'il était censé deviner si on lui faisait bien signe à lui?

Mais, cette fois, il n'avait pas du tout vu Alec. Il espérait que ce dernier ne lui en voulait pas trop.

T'as faim ? On a qu'à passer à la cafétéria pour manger quelque chose. It's okay ?

Léo fut heureux de l'entendre prononcer le mot "cafétéria". Elle n'était pas très loin, et ne pensait qu'à manger quelque chose. Après, il ferait une sieste. Et ensuite... Il verrait bien.
Son coéquipier mit son sac sur son épaule, et lorsque tous les deux furent sortis du gymnase, Léo lui répondit en regardant au loin :

"Je veux manger du curry."

Il connaissait assez bien Alec pour se permettre de laisser la courtoisie de côté. Enfin, c'était "bien connaître" un coéquipier de volley ; ils savaient les points forts et faibles de l'autre grâce à ce sport qu'ils pratiquaient régulièrement. Ils ne passaient cependant pas énormément de temps ensemble à l'extérieur du gymnase malgré leur bonne entente, et Léo était content que ce dernier lui propose de manger avec lui.

"Et toi? De quoi tu as envie?"

Sa question semble déclencher en Alec une forte hésitation. Quand on n'a pas forcément envie de quelque chose en particulier, c'est dur de choisir. Il se passe la main dans les cheveux, l'air de réfléchir.

"Je vais voir, ça dépend de ce qu'ils proposent."

Ils finissent par arriver au réfectoire, déjà rempli de monde à cette heure-ci. Léo ne peut s'empêcher de froncer les sourcils, contrarié. D'habitude, il essaye de venir plus tôt ou plus tard que les vagues de personnes affamées, mais malheureusement, après l'entraînement, c'est toujours à l'heure de pointe qu'il rapplique. Bon, au moins il restait quelques tables vides, et il y avait moins de gens en train de débarquer que ceux qui partaient.

Une fois aux comptoirs, il jeta un coup d'oeil en direction d'Alec. Il a encore l'air d'hésiter. Léo, lui, choisit le curry comme il l'avait promis. La délicieuse odeur d'épices le faisait saliver ; il n'attendait plus qu'une chose : s'asseoir et dévorer son repas.
Le curry avait été servi avec une généreuse portion de riz, et la viande recouverte de sauce semblait vraiment bonne. S'il y avait bien une chose que Léon appréciait à l'académie, c'était les plats de la cafétéria. Cependant, leur qualité dépendait du nombre d'étoiles que possédaient chaque élève ; une règle que Léo tenait en horreur.

Il se rendit compte que son coéquipier s'était enfin décidé : le collégien le suivit, plateau en main.
Alec se tourna légèrement pour vérifier s'il le suivait bien, et lui lâcha un sourire.

"Alors le volley tu t'en sors?"

Léo ne savait pas trop quoi répondre. Bien sûr. Il adorait le sport, et le volley encore plus que tous les autres. C'était bien pour ça qu'il avait rejoint le club. Même si il ne connaissait pas encore bien tout le monde dans l'équipe, il avait déjà mémorisé les noms et les capacités de chacun.

"Ça va." Répondit-il simplement.

Il n'était pas très bavard. Mais ça, tout le monde le savait. La seule manière de le faire parler avec enthousiasme, c'est de lui ramener un animal. Malheureusement, presque personne ne connaissait cet aspect-là de sa personnalité.

Une fois assis à table, les deux garçons se mirent à manger avec appétit. C'est sûr que l'entraînement creusait bien les estomacs.

"Aujourd'hui je suis crevé, je ne pensais pas qu'Elyas allait être aussi dur avec nous."

Léo remarqua le petit regard envieux qu'avait lâché son ami en lorgnant son plat, et ne put s'empêcher de réprimer un petit sourire amusé en coin. Il lui arrivait souvent de regretter aussi son choix de repas en regardant ceux des autres, en particulier ceux des trois étoiles. Mais il se disait que c'était mieux que les repas de sans-étoile, peu copieux et de faible qualité.

"Je ne l'ai pas trouvé plus sévère que d'habitude."

Il était très endurant, et appréciait même le fait qu'Elyas pousse tout le monde à s'endurcir. Du coup, il avait pris l'habitude de la dureté des entraînements. Bien sûr, certains étaient plus fatigants certains jours que d'autres.

La délicieuse odeur d'épices qui émanait du plat de Léo ne lui faisait en rien regretter son choix : quand il voulait manger quelque chose, il arrivait toujours à ses fins. Dans le cas contraire, il y pensait toute la journée, tout en ruminant le fait qu'il n'avait pas réussi à avoir ce qu'il voulait. Oui, il lui arrivait bien de bouder comment un enfant de 7 ans pour ça.
Et encore, certains étaient plus matures.
Enfin, ce n'est pas comme s'il était immature ; il avait parfois des comportements enfantins, parfois un raisonnement d'adulte. Ça dépendait de la situation.

"T'es sûr que ça va?"

La voix douce d'Alec le fit subitement sortir de ses pensées, ou plutôt de sa focalisation sur son plat.
Cette question le laissa perplexe. Actuellement, il n'avait absolument aucun problème : il mangeait un bon curry en compagnie d'un camarade sympa de son club de volley. Où était le mal?
Est-ce que je tire la gueule? Lorsqu'il était contrarié, il ne pouvait pas s'empêcher de froncer les sourcils, mais rien ne le dérangeait dans le cas présent. Il repensa à cette fille qui lui avait dit qu'on ne pouvait jamais savoir ce qu'il pensait. C'était peut-être pour ça qu'Alec pensait que ça n'allait pas?

"Oui, ça va."

Il aurait aimé le rassurer sur un ton plus chaleureux, mais il avait du mal à se "débarrasser" de son air neutre, voire inexpressif. Au moins, sur le terrain de volley, il avait un air concentré, et pas boudeur.
Léo plongea sa fourchette une nouvelle fois dans l'assiette, occupé à bien répartir la sauce, la viande et le riz sans que le contenu ne tombe de son couvert.

"Il y aurait une fille qui t'attire? Comment tu ferais toi si une fille que t'as aimée dans le passé te zappe?"

Là, il fut étonné. Il avait bien dégluti, mais s'il avait été en train de boire un verre d'eau, il aurait manqué de s'étouffer par surprise.
En général, personne ne lui posait jamais de questions de ce genre. Le fait qu'il n'y connaissait absolument rien devait sans doute se voir...
Léo avait bien remarqué que son camarade semblait préoccupé et avait besoin de son avis, mais il avait beau imaginer la situation, il ne pouvait pas se mettre à sa place. Il ne comprenait tout simplement pas ce qu'était, être amoureux. L'idée même lui échappait.

"Je... Je ne sais pas."

Le collégien avait répondu le regard fuyant, car il avait toujours du mal avec ce sujet de conversation. Comme il ne pouvait partager aucune anecdote ou certains problèmes avec les autres, on le trouvait ennuyant, ou coincé. Il craignait qu'Alec ne pense la même chose de lui.

"Et je ne suis attiré par personne."

Pour la première fois depuis le début du déjeuner, il avait dit cela en regardant Alec droit dans les yeux. Inquiet, il savait que ce dernier serait déçu de sa réponse, comme tous les autres qui lui avaient déjà posé cette question précédemment.
Mais ce n'était pas vraiment sa faute, non? Il ne comprenait pas les gens qui sortaient avec des personnes alors qu'ils ne ressentaient rien pour l'autre ; juste pour se faire bien voir. Ce genre de comportement le dépassait. Oui, Léo n'était jamais tombé amoureux ; mais jamais il ne ferait semblant d'aimer quelqu'un seulement pour "rentrer dans la norme".

Sa réponse, heureusement, ne vexe pas Alec. Au contraire, rigole.

"Excuse, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter pour les autres."

Léo adore le côté très compréhensif de son aîné. On a beau penser que cette qualité est possédée par beaucoup de gens, au final, on finit toujours déçu une fois que ces personnes révèlent leur vraie nature. Les fermés d'esprit sont partout.
De ce fait, il appréciait grandement son coéquipier, même s'il ne savait pas très bien comment le lui montrer, à part en acceptant de traîner avec lui après les entraînements et pendant les repas. Ces petits moments entre eux deux lui faisait vraiment plaisir, même si ça ne se voyait pas forcément. Pendant quelques heures, il oubliait tous ses soucis et pouvait parler de tout et de rien.
Enfin, la vérité était que Léo écoutait beaucoup plus qu'il ne parlait. C'était Alec qui alimentait la conversation à chaque fois, et jamais Léo n'avait eu une impression de déjà-vu, c'est-à-dire quand certains sujets revenaient trop souvent. Il ne s'était pas ennuyé encore une seule fois avec lui, et c'était tant mieux.

Alec, sûrement ennuyé par son plat à l'air peu appétissant aux yeux du collégien, se lève et va chercher un curry. L'air heureux qu'il affiche en retournant à leur table fait sourire le plus jeune. Il avait bien remarqué que ce dernier n'avait pas été emballé par son repas et avait plusieurs fois lorgné sur le sien. Il lui en aurait bien proposé si ce dernier n'avait pas eu les moyens de s'en chercher, mais même avec une étoile, on pouvait se procurer ce plat.
Il était simple, bon, pas cher. Léo pourrait presque en manger tous les jours.

"T'es jeune, t'as encore le temps."

Léo avait déjà entendu des personnes de son âge se plaindre de cette phrase ; apparemment, les adultes étaient des pros pour la lancer. Mais si c'était Alec qui le disait... C'est que ça devait être vrai. Ou du moins, pas aussi faux que la plupart des gens l'assuraient.

"J'imagine, oui."

Il ne savait même pas ce que c'était, l'amour dans ce sens-là du terme. Et il préférait ne pas trop y réfléchir ; rien que le fait d'entendre les histoires compliquées qu'il y avait entre les élèves de l'académie lui donnait mal à la tête.

"Les histoires de coeur me paraissent uniquement compliquées et blessantes."

C'était tout ce qu'il pouvait lui dire. Il ne lui était jamais arrivé d'envier les relations où, apparemment, tout se passait bien. Mais cela ne voulait pas non plus dire qu'il voulait rejeter ces choses ; c'était pour le moment un territoire inconnu pour Léo, sur lequel il n'avait pas envie de s'aventurer.