Accroupie, le dos collé au mur sale de l’entrée du cinéma, les mains plongées jusqu’aux coudes dans un sachet de popcorn triple XL qu’elle n’a pas pu se retenir d’acheter et de commencer à dévorer. Comme si elle avait encore de l’argent à dépenser. Elle se remercie néanmoins d’avoir attaché ses cheveux à la façon d’une adulte propre sur elle, lui procurant au mieux la sensation de ne pas être totalement souillée avant dix-huit heures. Soupir collant et sucré ; ses iris se promènent d’un bout à l’autre de la liste des sorties. Elle ne connaît même pas le nom des films, elle ne fait pas de différence, elle regarde tout, s’inspire de n’importe quoi. Elle ne veut pas laisser son imagination dans un carcan académique, de ce qui est jugé utile, artistique, à aller voir ou non. Elle ne veut pas se laisser préconcevoir mais se laisser surprendre encore et encore. Et encore. Nouvelle expédition dans le sachet craquelant comme des billes de polystyrène. Santi ne sait pas quoi penser, et lorsqu’elle ne sait pas quoi penser ; Santi ne fait que manger. Le caramel lui colle aux doigts, lui colle aux dents, ce qui lui demande toute son attention et toute sa bonne volonté, ce qui est parfait. Santi ne veut pas penser, parce qu’elle sait qu’aujourd’hui, plus qu’un autre jour, elle pourrait si facilement se laisser submerger.

Les centaines de pas circulant devant elle la distraient aussi, parce qu’ils lui permettent de se demander à qui ils appartiennent. Ses baskets noires tâchées de traces d’herbe humide lui paraissent de bien moindre intérêt que les sneakers hypées de la population académicienne. Elles ont le mérite de se distinguer. Et elle, voudrait arrêter de distinguer le nœud au creux de son estomac. Elle n’arrive jamais en avance, elle se demande pourquoi elle est arrivée en avance, comment elle en est même arrivée à ressembler à cet étrange troll guettant le bout de la rue, guettant l’entrée, engloutissant chaque popcorn avant qu’il puisse l’engloutir. La vérité, c’est qu’elle pense, Maria, elle pense à cent à l’heure, elle a pensé toute la journée même, sans jamais totalement saisir ce qu’elle pensait du bout des doigts. Elle ne sait pas si la nourriture craque ou éclate sous ses prémolaires surexploitées. Du réveil au déjeuner, il n’y avait que ce nom sous ses idées. Peut-être qu’elle est simplement écrabouillée. Assez de popcorn, assez de pas, concentre-toi.

Maria avait demandé à Pia si elle voulait aller au cinéma un mercredi matin, au détour d’un couloir, comme si elle n’avait pas médité son geste tout le début de semaine. Elle l’avait arrêtée en souriant largement, un peu trop s’était-elle dit rétrospectivement, lui affirmant qu’après s’être tant croisées il était temps qu’elles se mettent réellement à discuter. Un cinéma, pour discuter. Quelle brillante idée. Enfin ; elle avait accepté. Maintenant, ce que Maria ne comprenait pas, c’était ce qui la rendait à la fois si mal à l’aise et si enthousiaste à l’idée de passer deux heures dans l’obscurité avec Pia Sorrentini. Ce qu’elle ne saisissait pas, c’était pourquoi elle désirait tant en savoir davantage, apprendre en profondeur, mais aussi s’enfuir à toutes jambes. Et ce qu’elle ne comprenait pas, Maria le mangeait, à ne plus savoir comment ruminer. L’apparition de deux chaussures connues sous ses yeux embués par le glucose stoppa enfin ses introspections inopinées. Elle déglutit avant de dresser le menton en direction de Pia, toujours élégante, toujours verte à en faire faner les peupliers.

« Hey salut ! Tu as passé une bonne journée ? Je t’ai pas tellement attendue pour le popcorn mais le choix du film est pour toi ! »

Santi est toujours bien plus prête que Maria.