Elle fredonne, assise à son bureau, penchée sur l'étude d'un quelconque texte qu'elle n'a de cesse de surligner et d'annoter – consciencieuse et méthodique. Son téléphone laisse filer, à volume bas, une quelconque musique qu'elle murmure en écho – des airs familiers, un rien mélancoliques et qui ont tôt fait arracher la moitié de sa concentration. Elle soupire et se redresse en abandonnant là le feutre et son stylo, entre les pages du livret qu'elle referme soigneusement. Elle termine de deux gorgées le fond de thé qu'elle a laissé refroidir sans y prendre garde, détache ses cheveux noués en queue de cheval.

Dans la salle de bains, elle retire et plie soigneusement son uniforme, qu'elle troque pour l'ensemble fétiche des soirées qu'elle espère noyer dans une quelconque lecture suffisamment entraînante pour qu'elle en oublie les heures. Leggings fin, pull long qui glisse sous ses cuisses et socquettes fines, elle se démaquille, démêle ses cheveux, tire un chignon à la va-vite puis abandonne l'idée pour laisser ses boucles blondes retomber sur ses épaules. Elle éteint la lumière, laisse la porte entrouverte, récupère le livre abandonné sur sa table de nuit et se glisse dans l'un de ses fauteuils en velours après avoir allumé la télévision – volume à peine audible.
Lumières éteintes – il ne reste plus que la lueur bleue de l'écran, et la lampe à pied braquée sur les pages de son livre par dessus son épaule –, pelotonnée sur le siège, elle savoure les premières pages d'une énième romance historique qui sait si bien la faire trembler.

Et puis,
et puis,
trois coups discrets contre la porte
la font sursauter.

Elle fronce les sourcils, glisse son marque-page et pose l'ouvrage sur l'assise du fauteuil qu'elle quitte, marque un arrêt pour regarder l'heure sur son téléphone – le couvre-feu est encore loin mais, quand même, on n'a pas idée de venir la déranger passée l'heure du dîner.

Alors, doucement, elle se faufile jusqu'à la porte – ajuste son pull sur ses cuisses, balaie ses cheveux sur son épaule, redessine un peu son image avant d'ouvrir et
le souffle
coupé.

Rien qu'une seconde – un tremblement au dessus du vide.

William.

Le trouble s'immisce instantanément – ce goût désagréable sur son palais qui la force à détourner le regard alors qu'elle ne ploie jamais, ce malaise qu'ils appellent culpabilité et William en est la silhouette personnifiée.
Qu'est-ce que tu fais là? et elle relève les yeux dans sa direction – tergiverse entre ses inquiétudes et son impolitesse.

Tu aurais pu prévenir que tu passais, je me serais apprêtée.

Le rire est ténu, un peu faux – elle réalise, une seconde trop tard, le sens que pourraient prendre ses mots, en pensées rectifie.
Présentable comme devant n'importe qui.
Elle jette un coup d’œil par dessus son épaule et son cœur se serre. Elle réalise comme elle était heureuse, peut-être, qu'il n'y ait rien de William dans cette nouvelle chambre, que tous leurs souvenirs soient restés bouclés dans l'ancienne à l'étage d'en dessous.
Elle réalise aussi, peut-être, comme cette même présence lui manquait ; comme si, sans William pour laisser son empreinte dans la pièce, elle serait à tout jamais sans vie.

Entre... elle souffle en s'écartant pour ouvrir la porte.

Entre, peu importe, et balaie tout, ravage tout, comme d'habitude ; rappelle-moi comme elle était douce ta présence et comme quand t'étais là tout était mieux,
rappelle-moi,
comme tu me manques un jour sur deux.