sous ses longs cils noirs brillaient les feux du premier jour, ceux qui avaient brûlé son corps entier à la vue de son aimé, celui qui ne l'aimait pas encore mais qu'elle avait promis de faire succomber - ses lèvres dessinaient des tendresses silencieuses destinées à lui seul, scellées par son orgueil un temps et maintenant la voilà délivrée toute entière
prête à l'aimer à nouveau
comme au premier jour

elle avait dénoué ses cheveux entièrement, glissé des effluves de son parfum floral et sucré, ajusté son uniforme impeccable en réponse à tous ces jours de désordre général
quand elle ne faisait plus attention à rien
si ce n'est elle
et ses angoisses pour seule compagnie

avant de quitter la salle de classe à la fin des cours, elle s'était assurée que le paquet orné d'un ruban bleu ciel - la couleur du givre dans son imaginaire - était resté en place sans s'abîmer dans son sac, et se précipita vers la salle du conseil des élèves
là où elle serait sûre de le trouver
après des semaines à s'éviter, il était temps de capituler et l'accepter tout entier, cet amour débordant dont elle s'était vantée, même auprès de lui
il ne l'étouffait plus, il était absolu

bien plus encore depuis l'horreur des mots prononcés par ceux qui portaient le même patronyme, il y a trois jours complets
là où elle n'avait pas vu flancher Ace Ackerley, alors qu'elle s'était effondrée sans même être concernée - pour quoi elle l'avait sans doute aimé un peu plus, sans rien dire, sa main dans la sienne

Gabrielle toqua deux fois rapidement sur la porte, et n'attendit aucun aval pour ouvrir et pénétrer dans la salle.
Il était là.
Ace était là et elle sentit son coeur battre à tout rompre, cette émotion qui lui avait manqué malgré tout et qu'elle avait cherché chez un autre - elle pinça les lèvres un instant.

— bonjour Ace.

dans sa voix ne transpirait aucune amertume, contrairement à avant, ces putains de fois d'avant où elle l'avait maudit de la faire l'aimer tant
cet amour absolu et sans surprises
celui des âmes soeurs

— j'espère que je ne te dérange pas, je voulais te remercier pour la dernière fois, pendant la course de relais.

y avait plus d'hésitation, plus de points de suspension
elle savait ce qu'il fallait dire et ne pas dire
elle avait grandi et sans doute que c'était un peu grâce à lui

alors elle lui tendit le sac contenant la boîte de chocolats, qu'elle était partie acheter dès l'occasion possible, avec l'argent des deux étoiles retrouvées - il n'y était peut-être pas pour rien, mais elle avait cessé de l'accabler du moindre évènement qui survenait dans sa vie d'adolescente follement amoureuse.

— c'est pas moi qui les ai fait, je suis pas très bonne cuisinière. En tout cas j'espère qu'ils te plairont.

Et voilà qu'elle rougit sans détourner les yeux
un peu d'amour sur ses joues
comme avant.

Merci de m'avoir rejoint, lorsque je te l'ai demandé. Elle n'eut que pour seule réponse une esquisse de rire, puisqu'elle n'avait pas considéré d'autre alternative que de saisir la main qu'il lui avait tendue sur l'instant - alors il n'avait pas à la remercier, puisqu'il lui avait donné ce qu'elle rêvait de réclamer.

Gabrielle savait son coeur battre quand Ace la regardait, il pouvait bien se projeter comme un être insensible inaccessible du haut de sa majesté, elle le considérait bien plus encore : et derrière ses yeux clairs elle se demandait ce à quoi il pouvait bien penser, du rejet de ses parents à la réaction de Queen sur qui il avait un contrôle dévorant, mais elle s'était fait la promesse avant d'arriver de n'entrer qu'en terre où elle était autorisée.

Elle déposa doucement son sac de cours et sa veste sur le dossier face à lui, ancrée là où elle était sans la moindre volonté de partir
fuir encore
Elle avait considéré pendant ses trois nuits de réflexion pleines d'insomnie
peut-être était-ce l'inverse
qu'Ace Ackerley n'était pas le monstre cruel et sans coeur qu'il voulait bien aspirer à paraître - elle lui avait promis, au festival d'automne, qu'elle essaierait de se faire une place à ses côtés, et ce serment avait volé en éclats à la première incartade ; elle s'était peut-être excusée, mais plutôt que parler encore du passé, elle avait décidé de ramasser les fragments sacrés de ses voeux pour les reconstituer en belle caution d'éternité.

— Non, tu as fait plus que ton devoir, tu n'étais pas forcé de faire ce que tu as fait.

rester droit, solide sur tes appuis
alors que tout partait en éclats
même moi

— Je suis très admirative, peu importe ce que ça vaut.

Au fond elle aimerait bien que ça ait un sens encore, qu'il soit fier d'elle à nouveau d'avoir été grande, adulte, quand bien même ça n'avait pas été pour lui mais pour elle-même, puisqu'elle avait décidée de ne plus vivre pour qui que ce soit en dehors d'elle.

— On n'est pas obligés d'en reparler mais je voulais te prévenir qu'un deuxième alice s'est réveillé, et qu'en quelque sorte... carrément même j'entends les pensées des autres.

Il n'y avait rien de plus à devenir qu'une voix sereine et tendre, aucune distance dans ses paroles ni ses gestes, et au creux de son palpitant battait des saveurs d'antan qu'elle n'osait ni prendre d'elle-même ni lui réclamer
peut-être que c'est encore trop tôt

— bref, tout ça pour dire que même si je ne le maîtrise pas complètement, je ferai mon possible pour ne pas... que ça ait d'effet sur toi.

elle avait songé à fouiller dans son esprit pour y découvrir les réponses à des tas de questions qu'elle s'était posé plusieurs fois à son sujet, et parce qu'elle trouvait parfois une satisfaction détraquée à vivre la vie des autres
mais puisqu'elle l'aimait, elle s'était résignée à lui laisser toute la liberté à laquelle il avait droit de fait

— comment va Queen ? Je ne savais pas que tu avais une petite soeur, je l'ai appris juste avant le festival.

Et ça ne l'étonnait même pas
Qu'elle porte un prénom royal
Ça ne lui seyait que trop bien.

Mais assez parler de ma famille. Je n'ai pas envie d'y penser, là tout de suite..

Gabrielle étouffa un rire doucement, cloisonnant les nombreuses questions qui la taraudaient bien plus depuis la rencontre qui n’en portait que le nom de Malicia Ackerley - ça semblait une évidence mais Gabrielle déniait systématiquement les réalités impropres à exister dans son monde.

Son cœur se serrait au souvenir du regard glacial dénué d’émotion qui avait croisé le sien sous des traits frappants de ressemblance, laissant germer une réponse à la question qui l’avait hantée pendant des semaines : comment devient-on Ace Ackerley ?

— Dis donc, deux raisons de me remercier en deux minutes, je crois bien que c’est la première fois que je t’entends dire merci.

Ses lèvres ourlées devinaient mille et une malices, elle prit l’air mutin pour seoir davantage à l’ambiance qu’il avait instauré en collant son corps contre le sien - elle frémit, avide de cette sensation qui l’avait tant de fois étouffée dans ses fantasmes - et passa ses bras autour de son cou sur un rythme patient d’une lenteur suave et rieuse. Elle frotta deux de ses doigts contre sa nuque, se délectait de la chaleur ironique de leurs souffles entremêlés, et laissait ses pensées fiévreuses divaguer le long de son esprit, en prenant le soin de les rendre sourdes sur son corps.

— Je te l’ai dit, c’est simplement pour te rendre la pareille pour samedi, quand tu m’es venu en aide.

quand bien même
si tu vois là à quel point je t’aime
je te laisse cette vérité entre les mains
courir sur nos lèvres
vivre au creux des reins

— Je veux dire... les fois d’avant, c’était tellement compliqué, que je voulais faire un pas vers toi, tu vois ?

Voilà qu’elle s’embrouille, à inventer des justifications ni vraies ni fausses sur la raison de sa venue du jour - elle avait simplement l’envie de vivre dans ses yeux, ne serait que le temps d’un bonjour, ouvrir ses lèvres et se perdre en balbutiements hasardeux plutôt que laisser son corps parler, son corps l’aimer un peu plus et appeler le sien ;
Et quand bien même, son regard ne flanchait pas, elle se perdait dans le sien et y contemplait le passé qui les hantait encore, y discernait le futur merveilleux qu’elle voulait bien s’imaginer.

Elle s’échappa quelques instants d’entre ses mains, prit appui pour s’asseoir sur le bureau et laissa quelques secondes de flottements, à le taquiner de ses grands yeux bleus et laisser la suite en suspens - avant de saisir elle-même les mains du jeune homme et les ramener des deux côtés de sa taille, lui donnant une autorisation tacite qu’elle mettait un point d’honneur à accorder elle-même.

— J’ai l’impression que c’était hier, la première fois que je suis venue dans ce bureau.

le temps du premier baiser
sans l’amour d’aujourd’hui

— Tu as changé, depuis cette fois-là.

Il n’y avait plus la voix paumée d’une gamine perdue à ne plus savoir le fond de ses désirs, le vrai dans ses pensées, prête à se laisser malmener par le premier beau brun aux yeux bleus venu chavirer ses principes et équilibres.

Elle glissa sa main de sa nuque à sa joue, y chercha quelques traits moins crispés qu’à l’époque, et il lui semblait qu’elle en avait trouvé, alors elle sourit, et reprit l’accolade de leurs fronts qui offrait la plénitude inconnue d’antan.

— C’est cet Ace Ackerley là, qui m’a manqué.

Celui qui est capable de dire merci
Et de demander sans ordonner.

Je te promets que j'ai changé.

Un bonheur doux-amer fit battre le coeur sous sa poitrine, et elle étira son sourire pour la victoire qu'elle croyait avoir remportée. Elle savait qu'un arrière-goût de danger frôlait ses lèvres chaque fois qu'elle les posait sur celles d'Ace, mais elle avait décidé de le maîtriser de tout son possible, se casser la gueule s'il le fallait, mais se relever toujours - et puis il l'aimera à jamais, on le lui a promis le jour où on l'a officiellement déclaré comme son âme soeur.

Alors elle souffla des rires enchantés de leur idylle renaissante, frôlait leurs peaux sans mesure et serrait doucement le visage d'Ace entre ses mains - ça pouvait être un mirage, toutes ces belles paroles, qu'elle craignait parfois de voir s'effriter entre ses mains pour laisser place à sa solitude.

Et chaque fois qu'elle fermait les yeux pour les rouvrir sur ses traits parfaits, elle souriait encore un peu plus.

—Oh mais bien sûr que tu vas faire des efforts, ne crois pas t'en tirer si facilement, Ackerley.

Son rire ne fanait plus et sa moue enfantine envahissait l'espace et taisait les doutes qui auraient pu les envahir; à quelques mois près encore.

— Premièrement, je te laisserai prendre soin de moi, mais mets-toi bien dans la tête que je suis suffisamment grande pour le faire toute seule. Je suis pas dépendante de ton bon-vouloir.

Elle avait saisi ses doigts gelés pour les mettre à l'arrêt devant elle, l'air très solennel mais juvénile, le rire en arrière-cour et dessiné subtilement sur le coin de ses lèvres.
Je ne suis plus dépendante aurait été plus juste, elle pinça le nez un instant.

— Ensuite, oublie jamais que si t'es un roi je suis une reine.

Elle marqua une pause pour capter son regard sans le détourner, et une fois qu'elle s'assura de l'avoir obtenu, posa un doigt sur les lèvres de son roi.

— Une reine, Ackerley, pas une concubine, ni ta bouffonne.

Ça semblait chevalresque, romanesque, comme la dimension que Gabrielle aimait donner à ses relations avec les autres, son Histoire à elle toute entière, et elle se délectait que ça soit de notoriété publique pour donner un peu de tragique aux évènements qui la malmenaient.
Mais elle espérait aussi que l'avertissement soit pris comme tel
Pour lui aussi.

— Et pour finir...

Un geste un peu plus brusque, elle le poussa doucement pour le faire reculer, croisa ses bras contre sa poitrine, et le toisa de côté, prête à céder
À une dernière condition.

— Tu n'as pas quelque chose à me dire ?

Dis-moi que tu m'aimes
Combien tu m'aimes
À quel point tu m'aimes
Pour qu'on fasse mieux qu'avant

Avant de recommencer.

Gabrielle avait souri, soufflé les rires au contact de son souffle sur sa peau qui dévalait jusqu'à sa nuque, elle avait amoindri les rires qui naissaient sous sa poitrine et son épiderme avait frissonné à leur étreinte retrouvée.

Elle entendait les murmures de leurs coeurs, sut qu'ils étaient sincères - s'en contentait, malgré le sien à peine audible, et alors qu'il se perdait contre sa joue elle saisit son visage entre ses doigts, les laissa chatouiller les traits de sa mâchoire et avait fondue une dernière fois dans son regard envoûtant.

Mais puisqu'elle affichait sans cesse et sans pudeur, dans leur secret elle avait murmuré les mots magiques qu'elle attendait pour elle et qu'il avait, une seconde fois, bien voulu lui céder.

— Je t'aime aussi, Ace Ackerley.

C'était une bien jolie histoire - on contait pas les cadavres à leurs pieds pour se hisser sur un trône fragile, dont elle s'était emparée simplement pour être à ses côtés ; elle avait brûlé son amour sur l'autel de leur vanité et se pliait à la volonté d'un nous deux.

Et une fois son reflet retrouvé dans son regard comme elle l'avait voulu, Gabrielle scella leurs retrouvailles en posant ses lèvres contre les siennes, un baiser presque chaste d'abord, avant de s'enflammer - comme chaque fois qu'elle se gardait entre ses bras. Chaque fois qu'elle se sentait à vif - rien qu'avec lui.

Elle raccrocha ses bras autour de son cou pour le ramener davantage vers elle, le faire sien autant qu'elle se consacrait à être sienne, et ses jambes s'enroulaient autour de lui pour que tout son corps suive le même mouvement - l'emprisonner pour ne plus jamais se quitter, le garder près d'elle coûte que coûte pour grandir à ses côtés.


Elle avait le coeur qui débordait de joie, Gabrielle, quand elle échangeait de nouveau les baisers fiévreux teintés d'une sécurité nouvelle - elle ouvrait les yeux de temps à autre pour s'assurer que ça n'était plus du fantasme, mais bien une réalité.
Cette réalité moins reluisante qui la rattrapa soudainement, et qui interrompit leur échange charnel.

— T'es conscient que ça sera compliqué de s'afficher ?

Dans on regard passait un soupçon d'inquiétude.
Elle parlait plus doucement cette fois.

— On a fait souffrir beaucoup de monde.

Elle avait décidé d'être son complément, son bras armé
Des armes qu'il n'avait pas et qu'elle aurait pour lui - un peu d'humanité.

Quelque chose de romanesque, un rien de poésie venait peindre les émotions anarchiques de Gabrielle, lorsqu'il posait les yeux sur elle et elle sait alors que c'est là tout ce qu'elle avait cherché chez le reste du monde : une impression d'extraordinaire dans le reflet de ses yeux, ce semblant d'exception qu'elle avait voulu provoquer tant de fois les mois d'avant, et qui semblait si réel qu'elle n'osait plus cligner des yeux par peur de le voir disparaître - et tout son univers redevenir terne, d'un battement de cils.

Ses doigts s'accrochent dans les mains de son amant - faux, son âme soeur et elle vient s'asseoir comme il l'avait incitée - sans plus ordonner.
Un instant elle le fixe, interdite, et passe finalement ses bras autour de son cou pour lui sourire tendrement - la fin heureuse de son joli conte de fées.
Elle éclate en rire, un rire d'enfant, de gamine, d'insouciance tout juste trouvée.

— Tu as raison.

Gabrielle vient décrocher un baiser au coin de ses lèvres, avant de s'échouer contre son torse, et savourer la plénitude de leurs moments - leurs retrouvailles, si grandioses, et plus par la grandeur des mots et l'éclat des voix, simplement la simplicité, l'évidence de son amour pour lui - le sien pour elle, qu'elle sent jusqu'au creux de ses entrailles.

Elle s'y berce et s'enivre de la douceur de l'étreinte, celle qui contrebalance la violence de leurs détours pour s'aimer, là où elle s'est égarée si longtemps pour une réponse si simple, qu'elle vient alors souffler entre ses lèvres à demi-closes.

— Je t'aime.

Encore, encore - à la folie pour toujours, avec la fougue et l'inconscience de la jeunesse
C'est beau et tragique, elle a eu son opérette grandiose, sa comédie à la fin heureuse, son film hollywoodien, son film de Vadim dans sa pureté et sa torture.

Mais elle y croit Gabrielle, cette fois, à l'inverse et même au-delà des autres
Jusqu'à la fin du monde.