les quatre saisons dans le cœur de Cobalt on les traverse en moins de temps qu'il ne faut pour faire un tour de Soleil - parfois un tour de Terre suffit - et l'on avait quitté l'été aujourd'hui. été dès le lever du jour, au zénith de l'amour prêt à embrasser tous les dégradés, et puis, lumière déclinante tout au long de la matinée, fait vibrer les camaïeux à en filer la nausée. il déteste ces journées consacrées aux langues étrangères que tous se plaisent à apprendre. teintes de voix qu'on n'entend pas, de plus en plus harmonieuses, ils s'en félicitent. Cobalt avait l'impression dans ces moments là d'être un novice en Arts Plastiques, convié par politesse dans de grandioses galeries et sensé faire semblant d'y apprécier les toiles exposées. il avait envie de cracher à la figure de ces peintures, et toutes ces heures, il les avait passé à ravaler l'amertume. alors cet après-midi, ce serait sans lui - vient l'automne en avance dans son esprit, il fallait se couper du monde pour éviter de plonger dans l'hiver.

se réfugier dans le printemps - c'est au jardin botanique qu'il est flagrant. ici les couleurs sont paisibles, à peine tachées par celles des battements d'ailes de papillon et pas un brin de vent pour empêcher d'observer. à la gouache dans un grand carnet, il essaye d'en esquisser le nuancier - vert de cimes et ocre sont les pigments qui s'en approchent le plus, mais jamais tout à fait. ça ne fait rien - c'est une frustration qu'il aime bien.

trouble sur l'ondée tout à coup, comme du grain irisé sur les images - Cobalt lève le nez de ses palettes pour découvrir les tiennes - Sasha, c'est toi alors évidemment que tu peux rester là. hochement de tête et haussement d'épaules pour te répondre, car les mains de Cobalt sont prises par les pinceaux - il y retourne d'ailleurs. assis là en tailleur, à l'ombre du chèvrefeuille, on sait que les lèvres scellées ne viennent jamais à bout de ta patience Sasha - ils sont confortables, vos silences.

que tu brises mais pas vraiment - on le voit dans un coin du champs de vision et lève les yeux pour t'observer signer.  abandonne alors ce qu'il tenait pour répondre, il te désigne et puis, lève deux doigts à hauteur du regard, avant de tracer comme un cercle entourant le visage à l'expression froissée.

‹‹ t'as vu ta tronche...››

c'est ponctué d'une risette gentiment narquoise pour montrer que c'est une façon de dire tu peux parler. et ses yeux dans tes yeux, ils discernent quelques tonalités ternes. s'égarent en remarquant des pastels battants à tes tempes, sous le casque que tu portes.

c'est toujours étranges pour Cobalt de venir pincer pouce index et majeur deux fois à hauteur de son oreille.

‹‹ tu écoutes quoi ? ››

un suspens après l'interrogation, et puis, désigne le coin du front - l'esprit - avant de joindre tous les doigts des deux mains à plat pour les faire plonger, les sourcils un peu froncés.

‹‹ un truc déprimant ? ››

on se demande, Sasha, vu tes expressions.

un peu, c'est donc pour ça qu'elles sont pastel, les hues dans lesquelles le regard se perd. dégouline du casque comme une plaie qui suinte doucement, vörg c'est la couleur des  sentiments tristes, teinte chagrin, fait des vaguelettes lancinantes qui disparaissent avec le temps. Cobalt a déchiffré le nom du morceau que tu écoutes, et puis noyé les yeux dans les flaques colorées que ton casque forme au sol où tu l'as posé. les larmes ont ces nuances. tu les fais disparaître.

reviens chercher ses prunelles - elles sont en automne ? tu demandes. sans entendre il saisit les mots de tes mains vol d'oiseaux. se sent aussi mis à nu que les arbres à cette époque - à fleur de peau. Sasha, chez toi il neige, tu dis. alors on était deux à se languir du beau temps.

factice ici. ça fait l'affaire. on ne va pas t'assaillir de questions Sasha tu sais bien, tes confessions sont en lieu sûr. Cobalt muet comme une tombe, ne demandera pas pourquoi. les pourquoi ce sont les questions qui mènent aux frontières des gestes, qui font manquer d'expressions.

signe le désir, et puis, c'est comme si une main venait saisir l'esprit au centre du front, elle se referme et passe sous l'autre à plat, horizontale à hauteur des poumons. les yeux clos le temps du geste. Cobalt avait l'air de mimer l'enterrement de son âme.

‹‹ j'ai juste envie d'hiberner. ››

rouvre les œillades, elles retournent dans les parterres qui vous entourent, et l'espace d'un instant, les sols meubles semblent accueillir à bras ouverts. les idées noires sentent la terre. alors les poumons s'ouvrent une seconde pour inspirer l'air chargé de fragrances enivrantes - embrasse les fleurs.

désormais qu'on respire, l'attention ravivée Cobalt te l'offre de nouveau, te désigne encore, et le même geste que tout à l'heure à hauteur des iris - admire - la mine moqueuse en moins. après ça la main ouverte, passe devant la bouche courbée d'un sourire en agitant légèrement les doigts.

‹‹ tu veux voir tes couleurs ? ››

Sasha tu es aveugle à ce niveau-là mais Cobalt lui est capable de discerner celles que vous émettez tous sans vous en apercevoir. forme comme une aura autour de vous - la tienne, on peut essayer de te la décrire. avec des mots et des signes, ce serait compliqué, alors tends ton bras.

il s'empare précautionneux de ton poignet pour remonter ta manche et t'intime de le garder immobile posé là. ton avant-bras découvert, il récupère sa palette pour commencer à y déposer des perles irisées - presse quelques tubes de gouache - avant de prévenir, le geste que tu as fait tout à l'heure au négatif.

‹‹ c'est pas des couleurs hivernales. ››

et puis il se tait, car désormais les mains sont occupées à tenir peinture et pinceau,
pour te colorer à même la peau.

dans des arabesques folles tracées paisible, Sasha et ses fragments qui s'éparpillent à chaque instant, s'étiolent mêlé aux pigments - ils tâchent ta peau délicatement. c'est par strate dans ta tête ça s'entrelace sur ton avant-bras, tu comprends ? tu vois ? tu sens, le pinceau fin tracer des courbes abstraites, à la première Cobalt sent que tu tressailles et lève les yeux, remarque le sourire d'abord et les signes ensuite, au diapason ils disent que ça va bien.

alors ses yeux retournent à la toile et c'est sans la voix qu'il dit tout bas, car ce mot là se passait de mélodie et pouvait se prononcer rien que dans un souffle espiègle.

chochotte...

courageux à intimer poursuit quand même et c'est ce que l'on fait. les iris absorbées demi-voilées de cils blancs, comme des persiennes décolorées par le soleil, ça papillonne quand on doit quitter toi pour aller piocher dans le nuancier de la palette.

tu discernes, rose pâle affect orange incendiaire et crépuscule, vient turquoise à vif extatique. forment comme des tissages abstraits, des airs de vagues stylisées, lianes qu'on a fait sages pour l'occasion. vient le moment des mélanges - il a lâché prise un instant pour observer songeur les tubes de peinture avec de piocher dedans.
rouge crimson et bleu céruléen noyés dans du blanc, obtient du gris de lin. gris de lin - ça c'est sur ton spectre, Sasha - aux yeux de Cobalt c'est une teinte qui fuse, vive et vite, mål c'est la couleur que font les regards attentifs et bondissants. de l'attention, tu en as Sasha, simplement qu'elle s'égrène, roule partout comme des billes quitte à finir sous les meubles. pour ça qu'on appose des petits points, de ton coude à ton poignet.

une fois que c'est fait, on se redresse de nouveau pour nettoyer le pinceau, changer encore. signer au passage, pour expliquer avec les mains - au niveau du front, les doigts de chacun s'effleurent avant de s'éloigner, à hauteur du buste, elles semblent jeter des idées à droite à gauche.

‹‹ ça c'est quand c'est le bordel dans ta tête. ››

c'est souvent - soupir rieur - ça ne fait rien, c'est assorti au reste.
il observe le résultat - ton avant-bras a des allures de ciel à la frontière des heures, aube, aurore et tombée du jour à la fois, constellées de tes pensées éparses. il manque un détail.

et la dernière couleur, il n'est pas bien sûr, Sasha. pas certain qu'elle soit bien à toi. pourtant elle apparaît parfois, dans tes mouvements dissonants, tes hésitations et tes demi-tours. alors dans une case vide de la palette il avait versé de l'amarante et du noir du noir du noir. qu'on hésite à ajouter, avant de venir finalement tracer un trait sombre - il fait tout le tour de ton poignet - comme un bracelet.

après ça Cobalt se redresse et te laisse libre de tes mouvements, reste assis sage à admirer la toile bariolée à même ta peau. pensif ennuyé - ah, on n'aurait peut-être pas du ajouter la dernière nuance. pas bien plaisante - lås, c'était le coloris des entraves invisibles.