Gaspard était arrivé si retard qu’il avait dû entrer en trombe dans la salle de classe parce que son réveil n’avait pas sonné, il avait fait tomber toute sa trousse et il avait bousculé sans faire exprès deux élèves. Bien sûr, il avait à peine pu murmurer une excuse en sentant tous les regards braqués sur lui avec désapprobation et il s’était tassé sur son siège bien au fond de la salle. Ce n’était pas sa faute. Si Gaspard était naturellement distrait, il l’était encore plus que d’habitude, il était même préoccupé et Gaspard ne savait pas quoi faire. Il n’avait pas les mots, pas de jolies tournures pour dire les choses et une grosse boule dans le ventre. Et peu importe à quel point il essayait de s’en empêcher, ses yeux ne pouvaient pas s’empêcher de dévier vers Cobalt Virtanen.

Il connaissait pourtant Cobalt depuis des années, de loin, comme le garçon sourd de sa classe, le garçon aux airs paisibles et tranquilles, un peu réservé, un peu dans son coin. Il le connaissait vaguement comme une habitude sans lui avoir jamais vraiment parlé, sans avis définitif ou tranché dans une espèce d’indifférence. A présent, Gaspard se sentait coupable de savoir, beaucoup, trop, tout ce qui se tramait, s’imaginait, se tournait et se retournait sous sa caboche blonde depuis des années sans pourtant tout comprendre. Gaspard regrettait sa curiosité qui l’avait poussé à chercher qui se cachait derrière son correspondant anonyme. Il avait pourtant imaginé ce moment, longtemps, à quoi pouvait ressembler cet ami sans visage, ce bienfaiteur dans un monde qui lui semblait parfois si hostile. Il l’avait imaginé de toutes les formes et de toutes les couleurs, il avait même imaginé qu’ils auraient de grandes retrouvailles comme dans un livre. Cet ami qui l’avait accompagné dans cette académie où il ne connaissait rien, arraché à chez lui. Les années avaient passé et avec elles, sa détermination. Gaspard n’était plus certain, trop de choses s’étaient dites.

Jusqu’à récemment, où plus grand-chose ne s’était dit d’ailleurs. Les lettres s’étaient espacées. Gaspard avait voulu l’ignorer mais, il ne pouvait pas s’empêcher d’attendre la prochaine. Elle finissait toujours par arriver. Parfois, après des semaines à l’attendre nerveusement, après des heures à se demander si quelque chose était arrivé, à guetter la rubrique faits divers du club de journalisme d’un œil inquiet, à se demander si c’était lui, si son ami s’était lassé, si ses lettres étaient trop longues ou bien trop courtes, trop banales, trop extravagantes, mal écrites, peut-être trop étranges. Jusqu’à ce qu’elle tarde tellement que Gaspard ne tenait plus et qu’il avait eu besoin de vérifier par lui-même, pour savoir si tout allait bien. Maintenant, il ignorait que faire de cette information.

Après tout, Cobalt semblait aller bien et il avait reçu une lettre peu de temps après sa découverte. Pourtant, dès que la réponse trainait un peu trop, Gaspard ne pouvait pas s’empêcher de guetter le moindre signe, le moindre haussement de sourcil en se demandant si tout allait bien, sans savoir quoi dire.

Gaspard détourna le regard d’un geste brusque lorsqu’il réalisa que l’adolescent l’avait remarqué – encore une fois. Il profita de la sonnerie pour déguerpir aussi vite que possible jusqu’à son casier.