Les souvenirs s'étaient entrelacés dans un brouhaha bête à l'intérieur des pensées de Milena, qui dans les fleurs ne sentait plus que les parfums du passé. Ils avaient arpenté les chemins de lierre et de ronces en riant, la main dans celle de l'autre et les regards qui chantaient des mélodies d'amour et de tendresse. Ils avaient fait le chemin jusqu'à la stèle et des roses en promesses.

Qu'est-ce qui n'avait pas marché, dis-moi ?
Qu'est-ce qui avait tordu le cœur ? Elle ne savait plus Milena. Il était loin le bonheur.

Il n'y avait pas de regrets dans les échos de sa poitrine, il n'y avait que les pensées de quelque chose de perdu, sans espoir de le retrouver.
Alors quand en se retournant du bosquet, c'est face à lui qu'elle se retrouva, elle eu l'impression d'être encore là-bas où ils s'aimaient.

« Ariel ? Qu'est-ce que tu fais là ? »

Quoiqu'il avait le droit de se balader à sa guise, elle songea qu'en vue du ciel gris et de l'heure du repas qui approchait, elle ne s'attendait à voir personne en ces jardins.

« Je sais, tu m'espionnais ! »

Elle lui adressa un léger sourire, qui décora le coin de ses lèvres à qui voulait bien le voir.

Milena n'était pas bonne équilibriste, mais elle courait assez vite pour ne pas avoir le temps de tomber ; c'était de n'avoir jamais peur de rien qui la rendait si solide - incassable. C'était pieds nus sur le fil qui lui ouvrait la plante des pieds, sans se préoccuper des douleurs, qu'elle jouait ; un rire aux lèvres. Insouciante des dégâts qu'elle faisait autour d'elle.

Alors à Ariel, elle avait ri aussi, d'un rire léger, peut-être moqueur.

« Seul ? »

Elle n'avait entendu dans la voix d'Ariel aucune note qui lui disait qu'elle était de trop dans sa solitude recherchée, et elle pencha la tête, un peu intriguée. Les malices de ses yeux n'avaient jamais vraiment disparues.

« Ce n'est pas la solitude que tu cherches, c'est la paix, pas vrai ? »

Elle hocha la tête, satisfaite, et commença à avancer sur le chemin qu'ils avaient emprunté déjà tant de fois, à se satisfaire des sentiers de fleurs.

« Tu marches avec moi ? »

Elle avait fermé les yeux, écouté à l'intérieur tout ce qui semblait serrer sa poitrine, ralentir le souffle. C'était toutes ces émotions en pagailles à l'intérieur de Milena qui existait toujours un peu trop fort.

« Qu'est-ce qui te tourmente ? »

Fit semblant qu'elle ne savait pas, au moins un peu, ce qui les habitait tous les deux.

Elle était restée en silence pendant plusieurs secondes, durant lesquelles elle semblait écouter l'écho de sa question se répercuter encore et encore à l'intérieur d'elle ; et malgré l'appel, aucun autre mots ne vinrent à leur rencontre. Elle était restée vide de toute réponse, et ça l'avait rendue un peu nerveuse, et frustrée.

« C'est une question piège ? »

Elle fronça les sourcils, et fit la moue, visiblement insatisfaite de sa réponse. C'était elle, qui avait posé la question en première, et elle se rendit compte de quel effet elle faisait.

« Oh, j'ai compris. »

Elle hocha la tête, comme si tout à coup c'était devenu plus clair. Elle lui adressa le plus lumineux des sourires, et le pli à ses yeux lui témoignaient d'une nouvelle lumière. A la voir, on aurait dit que rien ne la tourmentait jamais. Milena était si insouciante que les plus grandes colères ne semblaient pas peser bien lourd sur les épaules.

« C'est moi, qui te tourmente ? »

Elle pencha la tête, s'arrêta de marcher entre la lavande et le lys. Elle avouait dans un silence.

« Moi aussi, je me tourmente, je te comprends. »

Elle ricana un peu.

« Et malgré tout tu es là. »

Elle songeait, Milena, qu'il n'y avait aucune tristesse si lourde qu'elle serait incapable de s'en relever - qu'il n'y avait aucun poids pour l'empêcher de errer ici et là à la recherche de son existence comme elle avait toujours fait, hystérique et dysfonctionnelle.
Pourtant quand Ariel prétendit pouvoir l'aider ça hurla à l'intérieur d'elle l'effondrement imminent, ça criait en échos dans les gouffres de son âme trouée.

« Ne sois pas idiot. »

Elle virevoltait autour de lui comme un papillon autour des fleurs. Mais Milena n'avait pas la grâce des nymphes chrysalides, elle n'était qu'un humain disgracieux et ingrat comme tous les autres humains, traversés de tords immondes de travers infects - morbides.

Elle était habitée de démons comme tout le monde.
Elle était laide et se savait laide.
Alors quand il la regardait comme ça, avec ces yeux-là, ça la mettait en colère.

« Ne sois pas l'imbécile qui accepte que je revienne comme une fleur alors que j'ai tout saccagé sans jamais prendre en compte que tu souffrirais. »

Elle s'était rapprochée de lui, son corps planté devant le sien, le menton relevé légèrement pour le regarder dans les yeux, un air mutin collé au visage.

« Je l'ai fait sans me soucier de rien parce que c'est la vérité la plus brute que je vais te délivrer : je m'en fous complètement. Tant que tes larmes ne me font pas pleurer, tant que tes plaies ne me font pas souffrir, ça m'est égal que tu ais mal. »

Sa main s'est élevée à son cou - à Ariel - pour glisser ses doigts sur son épiderme.

« C'est comme ça que je garde ceux que je veux à moi sous mon emprise. »

Elle activa son alice et tout à coup la douleur qui lui prenait la poitrine était partagée avec Ariel. Un rictus s'esquissa à ses lèvres. Elle avait découvert il y a peu que même les douleurs de l'âme pouvaient être partagées - jusque là elle se tailladait les bras désormais elle n'avait même plus besoin de ça.

« Je les oblige à ressentir ce que je ressens. Qu'ils se sentent concernés par moi. Mais l'inverse n'est pas aussi vrai. Alors pourquoi tu restes ? »

Puisque je te le dis, puisque je te l'avoue.
Que cette relation sera à jamais unilatérale.

« Avec moi tu ne gagneras que de souffrir plus. »