« Celui qui excelle à résoudre les difficultés les résout avant qu'elles ne surgissent. Celui qui excelle à vaincre ses ennemis triomphe avant que les menaces de ceux-ci ne se concrétisent. »
Sun Tzu.

Noah s'imposait par la royauté, par la grandeur qu'il laissait s'évader de chaque pores de sa peau.
Il dominait de son regard, jugeait.
Désignait ce qui était digne d'intérêt.
Digne qu'il l'écrase lui-même.
De ses adversaires existait des combattants vaillants aux personnalités disparates.
Pourtant, il y a de cela plusieurs années déjà que l'empereur avait jeté son dévolu sur le clan O'Cesair les étudiants qui composent cette communauté.
Sans s'attarder sur ce qu'il pouvait considérer comme les moutons noirs de ce clan, c'est bien sur Laëstiel, prochaine doyenne du clan, que son regard s'était déposé.
Le clan O'Cesair était une communauté connue par le branche Di Scipio de la mafia sicilienne mais étonnamment et malgré toutes les ressources à disposition, ils étaient incapable d'obtenir quelque information que ce soit.
Une communauté hermétiquement fermée à toute intrusion sauf dans le cadre d'une adoption extrêmement contrôlée.
Raison pour laquelle Noah s'était vu assigné la mission de garder un œil sur ce qu'il jugerait comme étant la représentante du clan aux yeux de l'académie.
S'il aurait pu détester l'ingratitude de cette tâche, les consignes de Don Giovanni ne laissaient malheureusement pas d'espace à la discussion.
Le monarque s'y pliait, respectait son pouvoir et son autorité.
Car il savait qu'elle serait bientôt sienne.

C'est aux abords du grand stade que l'altesse se présentait, pendant l'entraînement du club d'athlétisme.
N'ayant que peu de respect pour cette discipline qu'il jugeait abrutissante, c'est d'un regard las qu'il observait la course se dérouler.
Sa veste sur les épaules, les bras croisés, le visage dur.
Il lui était difficile de dissimuler le mépris qu'il ressentait à la vue de ce qu'il qualifiait volontiers de club de seconde zone.
Persuadé que le sport au sein de l'Académie Alice n'avait jamais été aussi splendide que lorsque le club de basket régnait, c'est avec précipitation qu'il souhaitait regagner ses lettres de noblesses afin de pouvoir se débarrasser de cette activité parasite.
Mais il se devait de faire illusion.
Claquant sa langue contre son palais pour balayer les restes de dégoût qu'il pouvait encore ressentir, le souverain s'approchait de la jeune athlète pour l'aborder.
Affublé de fausse courtoisie, c'est accompagné d'un sourire froid et les yeux à demi-clos qu'il engageait la conversation.

― Ma foi, vous ne ménagez pas vos efforts, dame O'Cesair. Serais-ce à cause du festival sportif ?

Ses yeux se rouvraient finalement, pour lui un offrir un regard tellement emplit de mépris pour sa personne qu'il ne saurait le dissimuler correctement.
Il détestait cordialement cette femme, incapable d'assumer sa position d'héritière.
La famille était une valeur qu'ils partageaient et pourtant, ils vivaient dans deux mondes séparés.
Le monarque aspirait à la grandeur lorsqu'elle n'aspirait qu'à...
Elle aspirait à quoi, d'ailleurs ?

― J'ai hâte d'assister à votre performance. Après tout, c'est votre discipline de prédilection, n'est-ce pas ?

celui qui paie les violons choisit la musique

Il observait Laëstiel avec insistance.
Le mouvement de ses lèvres, la tournure de chacune de ses phrases, son langage corporel.
Une étude plus proche de l'analyse.
Si le monarque était aussi compétent dans sa manière de livrer bataille, c'est parce qu'il ne sous-estimait aucun prétendant au titre.
Et comment qualifier Laëstiel si ce n'est comme un obstacle potentiel ?
Dans cette académie et à l'extérieur, le clan O'Cesair était un nom avec lequel il se devait de devenir familier.
S'il était destiné à diriger sa branche de la mafia sicilienne et devenir le Don de la famille Di Scipio, il en était de même à son échelle à elle.

Noah n'avait rien contre l'existence des rois, la noblesse était un monde restreint mais accessible pour qui avait suffisamment de tempérament et d'intelligence.
Mais cette noblesse ne pouvait exister que sous ses ordres.
Et si le culot était une qualité qu'il savait apprécier, il avait une préférence pour la soumission.
La dernière phrase ne pouvait être interprétée que comme une provocation ou un mouvement karmique pour la manière dont il s'était montré dédaigneux envers son activité.
Cela ne le perturbait pas, il avait l'habitude d'essuyer ce genre d'insulte dissimulé, cela faisait parti du jeu.
Cependant, l'empereur jouait à ce jeu depuis bien plus longtemps qu'elle.
Depuis sa naissance.

Et elle se devait d'apprendre sa place, face à lui.
Conservant sa contenance et son sourire froid, son regard s'était toutefois durcis.
Noah tenait en horreur ce genre d'opposition, surtout lorsqu'il désirait faire preuve de diplomatie.

― Ma manière de vous vouvoyer, O'Cesair, est une manière d'induire entre nous une forme de protocole. Chose à laquelle vous semblez parfaitement hermétique, cela dit. Peu importe.

Courte pause, le temps de lui adresser un regard méprisant.

― Je vous accorde que mon club a malheureusement subit une rude perte de vitesse. Il est difficile de savoir s'entourer d'équipiers compétents, en ces murs. Mais n'ayez crainte, je m’attèle en ce moment même à sa reconstruction.

Il reprit, d'un air cette fois-ci plus décontracté, à la limite du moqueur.

― En effet, l'académie ne nous accorde pas le prestige d'exposer notre noble art aux yeux de tous lors de ce festival sportif. Choix compréhensible, toutefois. Si le basket est un art tout à fait subtil, il me semble qu'une activité aussi rustique que la course à pied soit bien plus accessible et ouverte au reste des participants. Si la pertinence de votre sport m'échappe encore, je suis sûr qu'il saura amuser les étudiants en bas âge.

celui qui paie les violons choisit la musique

Ici nous ne sommes personnes ?
Noah ne pourrait se retrouver plus opposé à une idée que celle-ci.
Ne comprenait-elle pas le but de leur présence à tous les deux dans les murs de cette académie ou alors s'y refusait-elle ?
L'échange était court mais il pouvait déjà affirmer quelque chose : Laëstiel n'était pas stupide au point d'ignorer le poids sur ses épaules.
Se berçait-elle d'illusions jusqu'à penser qu'elle pourrait un jour s'y soustraire ?
Cette académie n'est que le prolongement de leur mission, à chacun, et il avait l'impression de déceler une forme d'abandon dans les propos de son interlocutrice.
Un abandon qui le répugnait, contextualisé par le manque de ferveur avec laquelle elle avait défendu son club.
Peut-être estimait-elle que si elle n'était pas à la tête d'une cause, il n'était pas de son devoir de s'en imprégner ?
Non, certainement pas.
Il existait encore chez cette femme des nuances qu'il peinait à saisir et cela faisait monter en lui une forme de frustration, maquillée par l'air faussement innocent dont il se revêtait.
Elle le pointait du doigt, le sommait d'arrêter de lui barrer la route.
Une requête à laquelle le monarque ne pouvait accéder, pas encore rassasié par leur échange.

― Répandre mon venin ? Allons, O'Cesair, vous me prêtez des intentions bien peu louables. Si je me suis présenté devant vous aujourd'hui, c'est simplement pour essayer d'en apprendre un peu plus sur la prochaine dirigeante de votre préstigieuse et non moins secrète communauté.

En prononçant le mot "prestigieuse", Noah ne pouvait s'empêcher d'éclater d'un petit rire moqueur.
Oh non ce clan n'avait rien de prestigieux, selon l'empereur.
Tout au plus un ramassis de hippies désorganisés qui enterraient leurs secrets avec la consanguinité.
Et elle en serait un jour la cheffe, félicitations.

― Mes paroles n'avaient que pour but de vous tester, je vous présente mes excuses si elles vont ont offensés. Néanmoins, laissez moi récapituler à mon tour.

Le souverain s'octroyait quant à lui deux pas en avant, en face d'elle, il la toisait de son regard le plus méprisant qui puisse exister.
Laëstiel n'étant pas désireuse de se montrer cordiale, il ne voyait donc aucun inconvénient à lui témoigner lui aussi une hostilité non dissimulée.
Donnant donnant, dirons nous.

― Vous vous efforcez de progresser dans une activité si creuse à vos yeux que vous en défendez les valeurs distractives, refusez de vous plier à toute forme de protocole car vous estimez ne représenter dans cette école aucun nom par votre existence et vous considérez que se montrer perfectionniste avec ses camarades risque d'abaisser leur niveau.

Noah ne terminait pas sa phrase par une interrogation.
Il ne demandait pas, il attestait.
Et son constat était amer.
Il reprit.

― Certainement, vous ne vous intéressez pas à mon avis sur la question mais, permettez moi malgré tout de vous le formuler. Si ce que vous mettez en valeur de ce club est sa capacité à "amuser" les coureurs, ce n'est pas moi qui insulte les membres de ce club. C'est vous.

celui qui paie les violons choisit la musique

Son adversaire se montrait aussi bien habile de ses paroles que de son attitude, chose qui ne l'étonnait pas franchement étant donné qu'ils étaient tous deux dans une spécialisation politique, à l'université.
Finalement, c'est dans un regard enflammé qu'elle lui imposait un défi.
Celui de concourir sur son terrain, avec ses règles, dans sa discipline.
Une proposition suffisamment étrange pour que l'empereur démontre sa stupéfaction pour un hausse de sourcil et une bouche entrouverte.
Lui, courir autour d'un terrain comme un parfait abruti, le fixant qu'un point droit devant lui ?
L'idée même de s'adonner à ce genre de bassesse était bien plus cocasse que n'importe quelle insulte qu'elle fut en mesure de lui adresser.
Bien entendu qu'il refuserait mais, il se laissait la chance d'ignorer tout simplement la requête.
Peut-être s'était-elle laissée emportée par le feu de l'action.

La suite de ses paroles, en revanche, était bien plus intéressante.
Car elles concernaient le clan.
Par la même occasion, elle en revendiquait enfin la propriété.
Son royaume, donc ?
Le souverain n'y voyait aucun inconvénient, elle pouvait tout aussi bien régner sur un petit lopin de terre si cela pouvait lui convenir.
Ce qu'il désapprouvait, en revanche, c'est qu'elle semblait souligner une forme d'affrontement entre son royaume et celui de Noah.
Son père l'avait bien averti de se méfier du clan, car il connaissait la doyenne et ses méthodes peu orthodoxes pour s’accaparer l'emprise qu'elle avait aujourd'hui.
S'il savait la doyenne dangereuse, force est de constater que sa protégée n'était pas en reste et si ses propos ne sauraient atteindre le monarque dans toute sa grandeur, la flamme qui débordait de ses yeux était suffisamment brûlant pour entamer sa cuirasse.
Sous-estimer Laëstiel eut été une erreur, s'il avait ne serait-ce qu'un seul instant songé à cela.
Mais de son adversaire il avait connaissance et s'il méprisait son tempérament, il respectait le charisme qui se dégageait d'elle.

Elle renouvelait finalement son défi d'athlétisme et à cela, l'empereur répondait d'un éclat de rire suffisamment intense pour faire naître au coin de son œil une larme qu'il chassait aussitôt à l'aide de son index.

― Laëstiel O'Cesair, pensez-vous que le poisson eut la moindre fierté de battre le lion à la nage ? Non, je ne m'adonnerais pas à cette pratique abrutissante qui vous motive tant. Si vous souhaitez prouver quoi que ce soit au sujet de votre club, remportez le festival sportif. Vous n'êtes pas suffisamment médiocre pour vous contenter d'une victoire contre un non-initié, j'en suis sûr.

Noah affichait de nouveau un large sourire, satisfait d'avoir trouvé une ouverture pour remettre le cas des O'Cesair sur la table.
Son interlocutrice n'était visiblement pas désireuse de répondre au feu par le feu en remettant en cause la grandeur des Di Scipio et il ne saurait dire si cette stratégie réduisait son champs de manoeuvre ou s'il se déléctait de cette position souveraine.

Le roi frappait dans ses mains, mimant un applaudissement vide de toute forme de sincérité.

― Si je n'ai rien contre le fait que vous employez le qualificatif de "royaume" pour désigner votre communauté, j'aimerais cependant que vous ne fassiez pas l'erreur de comparer nos forces. J'accorde du crédit à tous mes sujets mais ne vous habillez pas d'arrogance pour autant.

Noah enfonçait ses mains dans ses poches, le regard espiègle, il cherchait en son interlocutrice cette petite flamme qu'il pourrait titiller pour en obtenir toujours plus avec elle.
Sur quel bouton devait-il appuyer pour obtenir d'elle une déclaration de guerre ?
Car c'est uniquement dans ce genre de situation qu'ils pourraient négocier la reddition des O'Cesair.
Écraser le problème avant même qu'il ne naisse.
Faire d'elle l'un de ses valets.

― Je ne vous "considère" pas comme la prochaine doyenne. J'emploi simplement le terme car à l'évidence vous suivrez votre destin et adopterez cette identité un jour ou l'autre. Voyez, je visualise un peu plus loin que les murs de cette académie. Je suis sûr que vous aussi.

Si c'est ça les O'Cesair, son père avait tort de s'en faire.

celui qui paie les violons choisit la musique

Elle soutenait son regard sans jamais faillir.
Abritait en elle une conviction visiblement inébranlable, celle de ne jamais reculer face au prédateur.
Un trait commun à tous les faux rois de cette académie même si, dans le cas de Laëstiel, il ne savait s'il se révélait judicieux de l'y inclure.
Elle représentait une donnée inconnue, au même titre que Stelian.
S'il avait jugé pertinent de chercher à s'attirer les faveurs de ce dernier, il ne saurait se prononcer au sujet de la rouquine.
Méritait-elle véritablement tout le crédit qu'il lui accordait ?
Désirait-elle vraiment porter la couronne, elle aussi ?
Rien n'était moins sûr au vu de son attitude plus proche de celle d'une adolescente agressive que celle d'une dirigeante de royaume.

Laëstiel dissimulait en elle une rage qu'il avait su identifier.
Elle refusait de se soumettre à qui que ce soit, pas même à son destin.
C'est toutefois sur l'aigreur qu'elle marquait des points.
Elle aussi avait été capable de déceler dans ses mots une trace de son vice, de son envie d'écraser plus que de construire.
Noah n'était pas dupe et savait sa royauté uniquement conditionnée auprès des élèves par ses talents d'hypnotiseur et de manipulateur.
C'était aussi là sa fierté, d'avoir conquit cette école comme un bâtissait un château de carte.
Mais les fondations n'étaient pas solides et reposaient sur le soutien d'Eulalie, comparse devant l'éternel.
Peu importe si elle avait visée juste, Noah n'était pas homme à s'écraser devant un joueur aussi déterminé.

L'empereur lui crachait alors d'un dédain sincère.

― Si vous voyez quelconque humiliation dans la conquête, vous êtes encore plus médiocre que ce que vos propos concernant votre club laissaient à penser.

Mais son regard avait changé.
Il ne se parait plus de courtoisie ou de faux semblant, son sourire avait disparu et n'apparaissait plus que le visage froid d'un conquérant prêt à dominer.
Lui prouver qu'elle ne pourrait exister que sous sa botte.
Ou pas du tout.
Elle avait touchée la fierté de l'empereur et en lui, l'orage gronde.

― Une nouvelle fois, je n'ai pas l'intention de me rouler dans la boue parce qu'un porc m'y incite. Je ne participerais pas à votre supercherie de compétition tout simplement car vous et moi ne sommes pas de la même espèce. La première fois, vous étiez embarrassante. Maintenant vous êtes juste ridicule, Laëstiel O'Cesair. Alors tenez vous à vos engagements : ne le répétez plus.

Son regard ne déviait pas, le corps immobile et le dos suffisamment droit pour se maintenir à flot même dans la plus terrible des tempêtes.
Mais son visage se crispait, profondément insulté par la sincérité de sa provocation.
Elle avait donc choisit la guerre.
Et il allait lui offrir, cette guerre.

― Vous qui semblez si fière de votre sagacité, comme si vous étiez capable de lire en moi comme dans un livre, je vous écoute. Si je suis un méchant de film, quel est mon plan ? La faille dans mon discours ? Ma raison d'être ?

Paysanne.

celui qui paie les violons choisit la musique

Elle le lui offrait enfin, ce spectacle qu'il désirait tant.
La voir se débattre elle aussi, chercher à l'atteindre tout autant qu'il l'avait provoqué depuis maintenant plusieurs minutes.
Laëstiel lui assénait des coups de manière aussi brutale que ce qu'il était prêt à recevoir.
Parfois elle frappait juste, des fois non.
Mais elle frappait sans s'arrêter, dans ce grande stade devenu arène des deux gladiateurs.
S'il n'appréciait pas d'être dénigré par n'importe qui, voir ce qu'il considérait comme la prochaine dirigeante d'un groupe comme celui des O'Cesair lui tenir tête avait de quoi être grisant.
Noah pouvait enfin comprendre pourquoi son père l'avait envoyé dans cette académie et plus précisément dans une confrontation avec cette jeune fille.
Ici, il trouverait des adversaires.
Non pas à sa taille, rien d'insurmontable.
Mais on lui offrirait un combat comme aucun autre, il en était persuadé.

Peut-être que ce combat sera à l'initiative de Laëstiel, peut-être à l'initiative de quelqu'un d'autre.
Cependant l'empereur acceptait chaque coup, chaque entaille avec un sourire sincère.
Le monarque ne souhaitait pas conquérir sans gloire et écraser Laëstiel serait bien plus satisfaisant maintenant qu'il avait goûté à son esprit combatif.
Il n'en avait pas apprit plus sur le clan mais il en savait bien plus sur son représentant.

Elle s'écartait avec autant de fougue qu'elle lui avait craché sa vulgarité au visage.
Il accueillait d'ailleurs le doigt d'honneur qu'elle lui adressait avec un sourire éclatant, agitant sa main pour lui souhaiter bon vent.

― C'est cela. Que le reste de la journée vous soit agréable, Laëstiel O'Cesair. J'en ai suffisamment vu. J'AI HÂTE DE VOUS VOIR AU FESTIVAL, NE ME DÉCEVEZ PAS.

C'est avec une certaine condescendance qu'il éclatait d'un rire fugace, pour prendre la route lui aussi, en direction du gymnase.
L'Académie Alice était décidément le terrain de jeu parfait pour s'exercer.