i avoid the messiness of misery playing in dimension number four
elle marche dans le couloir comme jusqu'aux arènes romaines, du pas des fées qui vont au combat - le col de son manteau relevé sur le nez, ses doigts butent contre le carnet et le stylo bic qu'elle a calé dans sa poche droite, et avec la main gauche, elle se pince la mâchoire et y triture machinalement un bouton. à six heures moins vingt elle sort du bâtiment et se dirige vers le stade. elle a déjeuné frugalement, mâche encore un bout de spéculoos sur le chemin. en cette fin de nuit - ou ce très bon matin, armelle va voir une amie.
du moins elle espère que c'est encore le cas ; elle a très peu dormi et dehors l’obscurité lui fait mal à la tête, mais elle refuse d’être en retard ou de manquer le rendez-vous auquel laëstiel ne se sait pas conviée. elle n’a pas pu se résoudre à fixer un horaire - car cela impliquerait de lui envoyer un message, et à ces yeux c’est une demande trop humiliante pour qu’elle puisse s'y abaisser ; en vérité elle n'a simplement pas osé.
pourtant armelle ose toujours !
armelle ose toujours. mais avec laë tout son numéro part en feu de paille et c'est le regard troublé qu'elle s'en va dehors, elle a mal au cœur et prie pour que personne ne la voit ainsi.
elle tremble et parvient à se convaincre que c'est à cause du froid. la piste de course est déserte, le ciel est encore trop sombre pour qu'armelle n'ait pas peur du noir ; sur son passage les fleurs se redressent sur leur tige avant de retomber comme dans un soupir de fatigue. armelle les imite, regarde à gauche et à droite et va sous un lampadaire, le dos courbé et la tête en équilibre sur les épaules. elle ne regrette pas d'être venue mais elle a peur qu'une fois de plus laë l'évite, ou plutôt ne prenne pas le temps de la voir.
elle sort le carnet et le stylo de sa poche: armelle écrit parfois. elle n'a pas l'esprit à le faire mais cela lui donne une raison d'être là, isolée des autres très tôt le matin. elle respire doucement et la brume de son souffle lui passe devant les yeux, lui brouille le regard - elle gribouille sur son carnet et se rend compte que le stylo n'a plus d'encre. elle entend des pas au bout de la piste.
- laë ?
son ton est tout tremblant, elle prend un air dur et se rattrape maladroitement en remettant ses mains dans ses poches, se tenant bien droite en face d'elle - pour elle c'est un duel entre fées, pour laë ce n'est sûrement plus rien.
- bonjour." elle reste polie, "tu veux bien m'accorder deux secondes avant ta course ?"
alors c'est le grand plongeon dans une piscine de vide, ses doigts tremblent dans ses poches. armelle ne flanche pas mais elle a l'impression de tomber.
- dis-moi pourquoi tu m'évites ?