Il n'existait finalement en ce monde que peu d'être avec lesquels Jason pouvait faire un parallèle.
Éventuellement Laëstiel, dont le traitement par le clan O'Cesair était si opposé qu'il avait développé une rancune inconsciente envers cette dernière.
Mais Jason n'était pas l'unique monstre à vivre dans l'enceinte de cette académie.
Asmodée, dont il se demandait encore pourquoi il n'avait toujours pas intégré la classe danger, développait lui aussi son alice dans l'enceinte de l'académie.
Un monstre pourtant bien moins doux que le corbeau, une ombre pâle au regard insoutenable.
Si l'un avait fait le choix de combattre son apparence par l'excellence et l'élévation sociale, l'autre avait décidé de combattre le système frontalement en exposant avec fierté sa dissidence.
Un choix que Jason ne pouvait comprendre.
Ne pouvait accepter.
Lui qui détruisait finalement par son existence tout ce pour quoi l'étudiant au masque se battait.
Lui qui utilisait sans complexe une alice aussi dangereuse alors que Jason avait scellé sa voix pour ne causer aucun trouble.

De cette différence naquit une opposition idéologique, existentielle.
Pourtant, il désirait le comprendre.
Peut-être l'aider à se remettre dans le droit chemin ?
Sûrement qu'Asmodée était aussi une raison pour laquelle il avait décidé de rejoindre la section NOVA.
Pour juguler pareille créature, il était nécessaire de bénéficier d'une autorité supérieure.
D'un pouvoir qu'il n'avait pas.
Car l'un pour l'autre, l'utilisation de l'alice dans un combat ne serait que catastrophe.
Car s'il ne pouvait dérober au regard douloureux du fantôme, le fantôme ne pouvait empêcher au corbeau de hurler à plein poumon.
Guerre froide uniquement alimentée par une traque sans relâche.

C'est donc sans surprise que Jason apparut dans le dos du jeune homme lorsqu'il infiltra le quartier des dangereux à la recherche d'on ne sait quoi.
Asmodée était provoquant.
Jason était muet.
Un ordre, semblable à une supplication.
Amaryllis ?
Une étudiante, membre de la classe danger, auquel il n'avait jamais accordé le moindre intérêt.
Jamais de discussion, rien de bien étonnant pour l'étudiant au masque.
Et il ne s'en formalisait pas.
L'important, c'est que le jeune homme était à présent dans une zone où sa présence n'était pas requise.
L'heure était venue pour lui de quitter les lieux.
Car s'il ne désirait pas affronter ce reflet distordu de lui-même, il savait en le regardant qu'il n'était pas dans son état normal.
Chaque émotion exacerbée, il était plus dangereux qu'à l'accoutumer.
Et le chien de garde se devait de défendre les intérêts de l'académie.
Du directeur.

― Asmodée Yi. Vous n'avez rien à faire ici. Je vais devoir vous demander de quitter cet endroit immédiatement sans quoi je devrais faire intervenir l'autorité qui m'a été offerte par la section NOVA.

Autorité qui consistait principalement à faire appel au robot, Rex, afin d'établir d'une sanction.
C'est pourtant d'un air plus sincère, moins inhumain, qu'il reprit juste derrière.

― Ne complique pas les choses.

Car il n'avait nullement l'envie de perdre son temps avec ses états d'âme.
Il avait une collection de licorne à nettoyer.

Malheureusement pour Jason, Asmodée n'était pas décidé à lui rendre la vie plus facile en acceptant son autorité.
Le corbeau n'était pas du genre à s'imposer et la proposition d'Asmodée de le laisser vagabonder en feignant l'ignorance avait de quoi le séduire.
Après tout, en venir aux mains avec lui n'était pas l'activité la plus passionnante qu'il avait pu imaginer pour finir sa journée.
Néanmoins son intégration à la section NOVA l'empêchait d'accéder à cette requête on ne peut plus alléchante.
Il se devait de mettre fin à sa petite escapade, que ce soit pour la sécurité du professeur de sa classe ou celle des dossiers du directeur.

Les élèves n'avaient nullement besoin de savoir à quoi pouvait bien servir les missions de la classe, ils devaient simplement obéir et ramasser le peu d'honneur qu'il restait.
Une philosophie évidemment étrangère à l'homme au regard d'ébène.

― Et nous savons tous les deux que je ne peux pas te laisser te balader ici, Asmodée. Je vais devoir te demander de reconsidérer mon offre. Quitte simplement ce bâtiment sans te retourner et vas rejoindre tes appartements. Je ferais comme si je ne t'avais pas vu.

Une proposition sincère.
Jason n'entretenait aucune haine ou rancune particulière envers Asmodée, simplement une incompréhension profonde de son fonctionnement.
Il ne comprenait pas ce qu'il souhaitait achever à l'aide de son comportement.
S'il devait vraiment placer un sentiment sur lui, ça serait une forme de frustration.
Car Jason considérait ceci : si Asmodée était aussi talentueux dans le domaine de la perte d'étoile, pourquoi ne pourrait-il pas l'être en ce qui concerne l'acquisition ?
Après tout, il avait bien prouvé qu'il en était capable, n'est-ce pas ?

C'est non sans fierté qu'il avait apprit pour l'étoile acquise par Asmodée suite aux derniers événements majeurs de l'académie, et loin de lui l'idée de l'en priver à la première incartade.
Seulement voilà : Jason était maladroit.
Et le corbeau déposait sa main sur l'épaule du délinquant, le regard toujours aussi inexpressif, comme s'il n'avait pas une once de compassion pour la personne qu'il pouvait bien rechercher.
L'important c'était de conserver ses privilèges, n'est-ce pas ?

― Ne met pas ton étoile durement acquise en danger pour une simple camarade. Si l'académie n'a pas jugé bon de nous informer de l'emplacement de cette fille, c'est que ça n'a pas d'importance.

Avait-il seulement conscience que Asmodée avait en horreur la présence de cette étoile sur son col ?
Peut-être que s'il l'avait réalisé avant, il aurait mieux sélectionné ses mots.

Peut-être ne se comprendraient-ils jamais.
Asmodée s'attachait à des personnes, des cœurs, des âmes.
Jason s'accrochait à lui-même, ses étoiles, son confort.
Il n'avait que faire de la vie évoquée par Asmodée, celle de Amaryllis.
A vrai dire, il n'avait que faire de la vie de qui que ce soit, si ce n'est celle de ses amis comme Ace ou Kagerou.
Et encore dans ce cas, pas sûr qu'il se mette en danger pour préserver leur sécurité.
Le corbeau pouvait être considéré comme un lâche par le loup, cela lui importait peu.
Ce n'était pas le premier jugement de valeur et certainement pas le dernier qu'il aurait à subir suite à l'enchaînement de ses choix de vie douteux.
Des yeux de Jason n'émanaient aucune étincelle, pas même lorsque le poing menace de s'abattre contre son visage.
Asmodée n'était pas stupide en point de risquer d’abîmer son masque, un coup d'une telle violence sur son visage lui semblait donc bien trop improbable pour être réel.

Il fixait son interlocuteur et les menaces semblaient creusent.
Inefficace.
Jason ne saurait céder à la demande d'Asmodée tout simplement car il ne parvenait pas à comprendre son drame, la tristesse qu'il pouvait ressentir pour la perte d'un être cher.
Cela lui était encore inconnu.
Et l'enfant maudit n'était pas homme à offrir de l'empathie.
Plaqué contre le mur, le col maintenu par la poigne sévère de son reflet distordu, Jason l'observait.
Même dans cette position, il ne lui souhaitait aucun mal.
Peut-être pouvait-on déceler dans ses yeux une pointe de déception.
Étaient-ils vraiment si incompatible ?

― Mon grade n'est ni hypocrite ni malhonnête, Asmodée. Il est le travail d'une vie. J'aimerais que tu puisses le comprendre.

Les lèvres du corbeau s'écartaient pour laisser s'échapper un long soupire.
Son inspiration se faisait plus lourde.
La violence était visiblement le seul moyen de communication possible entre eux.
Il avait été menacé par son camarade et ne pouvait laisser passer ce genre d'incartade, sans quoi il risquerait de souiller le nom de la section NOVA et tous ses représentants.

― Cela m'attriste mais je n'ai rien à te dire à son sujet. Même si je savais quoi que ce soit, je ne te dirais rien. Sache cependant une chose : tu as été le premier à lever la main pour faire usage de violence. Pas moi.

Sans plus attendre et comme il l'avait apprit lors des entraînements au corps à corps de la spécialisation militaire, il utilisait l'espace laissé entre ses bras pour briser la prise en le frappant d'un uppercut.
Afin qu'il ne puisse pas se reprendre, Jason prolonge le mouvement en agrippant son bras pour le verrouiller dans son dos.
Il le plaque finalement face contre un mur du couloir, appuyant sur sa tête de sa seule main disponible afin d’échapper à son regard destructeur.
Le corbeau savait comment se défendre sans son alice, contrairement à Asmodée.
C'était peut-être son plus gros avantage sur lui, en plus de la condition physique.

― Je n'ai pas peur de toi, Asmodée. Si seulement tu étais capable de mettre toute cette énergie dans quelque chose d'utile pour l'académie, tu pourrais devenir tellement plus. Abandonne ta croisade stupide et soumet toi à l'autorité, je t'en prie.

Il ne souhaitait à Asmodée rien de plus que ce qu'il imaginait comme le bonheur.

Les propos de l'étudiant furent blessants.
Accusé de lâcheté, Jason ne pouvait pas vraiment se défendre à ce sujet.
Il est vrai que son choix avait été fait il y a de cela plusieurs années, d'abandonner complètement toute forme de rébellion pour embrasser le système de l'académie.
L'amitié n'était pas un sentiment présent chez lui ou alors offert à de rares personnes, comme Ace ou Kagerou.
Et si Asmodée s'amusait à l’assommer de ses vérités en pleine face, le corbeau sentait la patience disparaître peu à peu.
On lui avait suffisamment fait des reproches toute sa vie, cela devait cesser.
Fermement, Jason agrippait les cheveux de Asmodée.
Resserrait sa poigne et reculait la tête du condamné pour ensuite envoyer son visage s'écraser contre le mur.
Une fois.
Deux fois.
Trois fois.
Après l'avoir suffisamment étourdit, le corbeau utilisait l'arrière de sa jambe pour balayer les deux jambes de Asmodée et le plaquer au sol.
Son genou appuyé contre sa nuque, il continuait de maintenir le bras de l'individu récalcitrant dans son dos.

― Tu n'es pas méchant, Asmodée. Mais tu es stupide. Si tu penses sauver qui que ce soit en agissant comme tu fais, je suis triste pour tes amis. Si tu penses que l'inverse de la lâcheté est de foncer tête baissée dans un mur, j'ai bien peur que tu ne retrouve jamais celle que tu cherches. Maintenant reste tranquille.

De sa main libre, Jason attrapait son téléphone pour avertir Rex de l'intrusion.
Lui expliquait vaguement la situation, qu'il avait été obligé de recourir à la force afin de se défendre contre Asmodée, pas dans son état normal.
Ne restait plus qu'à attendre sa venue.
Alors qu'il raccrochait, il appuyait un peu plus sur la nuque du jeune homme à l'aide de son genou, pour l’interpeller.

― Quelqu'un arrive pour te chercher. Regarde où est-ce que ton comportement t'emmène. Pourquoi est-ce que tu fais toujours les mauvais choix, à la fin ? Pourquoi est-ce que tu veux pas essayer de comprendre ?

Tournait le regard.
Jason n'aimait pas employer la violence, même quand cela était nécessaire.
Le fait mais n'en tire aucun plaisir.
De voir son reflet disparaître dans l'ombre encore une fois.