take my breath away

L'enfant maudit n'était pas une pauvre âme vagabonde.
A vrai dire, on ne pouvait décemment pas dire que l'ombre cherchait quoi que ce soit en arpentant les couloirs du quartier des dangereux.
La structure était vide de toute présence humaine, à cette heure-ci.
Peut-être à l'exception de un ou deux membres du personnel mais cela n'avait pas une grande incidence, le badge de ce qu'il se plaisait à surnommer le NOVA corp lui permettait ce genre d'attitude à partir du moment où il ne perturbait en rien l'ordre de l'endroit.
C'était même plutôt le contraire, lui qui profitait de la quiétude ambiante pour s'adonner à quelques activités de nettoyage, notamment la désinfection de son pupitre à l'aide de divers produits d'entretien.
L'espace d'un instant il songeait à réserver le même traitement au bureau du professeur principal afin de se voir octroyer quelques bons points mais devant l'évidence que représenterait le refus dudit professeur, il se résignait à s'occuper du sien et potentiellement celui de son ami, Ace.

A la réflexion, pouvait-il véritablement qualifier Ace comme un ami et non pas un partenaire dans une relation où ils trouvaient tous deux leur compte ?
Il était obéissant, à l'écoute et silencieux et en échange, il profitait des privilèges du major et un peu de chaleur humaine.
Chaleur humaine toute relative lorsqu'on venait à parler de Ace, pour sûr.
Une fois extirpé de ses songes, c'est d'un regard désabusé que l'étudiant constatait qu'il venait à manquer d'eau pour continuer son nettoyage.
L'homme masqué se rendait donc dans les toilettes de l'étage inférieur à l'aide d'une bouteille en inox grise afin de pouvoir la remplir et poursuivre son oeuvre de rinçage.
Quelle ne fut pas se surprise lorsqu'en arrivant devant la cage d'escalier, après son passage aux toilettes, il se retrouvait nez à dos avec ce qui semblait être elle aussi une étudiante.
Son accoutrement dissimulant chaque parcelle de peau et sa chevelure caractéristique lui permit de l'identifier sans trop de mal comme étant Laëstiel, membre du clan avec lequel il avait toujours eu beaucoup de mal.
Peut-être était-ce à cause de ce sentiment obsédant de ne pas vraiment appartenir à cette famille et se retrouver confronter avec celle qui avait été annoncée comme la prochaine doyenne, il serait malhabile pour lui de nier son malaise en sa présence.
Avant d'avoir le temps de s’éclipser pour éviter une énième discussion exaspérante, il fut confronté par la demoiselle visiblement paniquée à l'idée d'avoir été surprise.

Brandissant son badge sous son nez ― ou plutôt sous son masque ― comme s'il s'agissait d'une forme de protection divine, elle annonçait les raisons de sa présence avec suffisamment de puissance vocale pour contrarier Jason qui agitait ses mains en avant pour signifier un « on se calme, ce n'est que moi » bien senti.
En peu de temps elle fut elle aussi capable de l'identifier et pouvait donc commencer un échange dont il se serait bien passé.
Mais sa présence étant elle-aussi sujette à des interrogations, il ne pouvait nullement manquer de se justifier, lui aussi.

― Peut pas manger avec tout le monde. Masque. Attendre.

Sa façon de parler était somme toute particulière dans sa manière de décortiquer chaque syllabe et organiser ses déclarations pour prononcer le moins de mots possible.
Les longues sentences n'étaient pas pour lui.
Jason agitait vaguement son index dans sa direction.

― Nettoyer les pupitres. Pourquoi chercher professeur ?

take my breath away

L'idée même qu'elle puisse penser que Jason mange en compagnie de qui que ce soit révélait bien tristement à quel point ils vivaient dans un monde complètement à part.
Peut-être était-ce pour ça que, d'une certaine manière, il lui en voulait.
Elle qui avait la chance d'avoir une place déjà toute faite au sein du clan, lui le simple mouton noir dont on s'était débarrassé à peine quant il eut le malheur de se souvenir.
Une forme de rancune.
Mais il se contraint à rester stoïque devant ce qu'il jugeait comme une moquerie, bien que son intention soit évidemment toute autre.
Ou peut-être essayait elle simplement de se rassurer, en se disant qu'il était le seul à l'avoir vu traîner ici.
L'étudiant au masque haussait un sourcil lorsqu'elle semblait insister sur le nom du professeur.
Certes, ce dernier faisait parti de sa famille si on s'en fiait uniquement au nom, mais il n'avait jamais éveillé l'intérêt de qui que ce soit dans cette famille.
Et il n'était pas non plus convié par ce dernier pour des conversation à deux.
Encore une chose que Laëstiel avait et pas lui, de quoi le faire enrager un peu plus.

Si elle semblait vouloir rediriger l'attention sur sa présence, il ne se laisserait pas berner par le subterfuge.
Elle voulait visiter le troisième étage ?
Il allait lui en donner pour son argent.

― Connais professeur des PHY.

A sa remarque concernant les agents d'entretien il répondait en haussant les épaules, l'ignorant purement et simplement.
Il n'avait finalement pas à justifier sa présence ici, il faisait parti de la classe danger et pas elle.
Si l'étoile contre son cœur pouvait la protéger des éventuelles représailles d'un professeur, il en était de même pour lui.
Jason pouvait néanmoins lui accorder une courte réponse.
Accompagnant même cette dernière d'un mouvement, pointant le sol du doigt.

― Ici, calme. Jason pointait ensuite son doigt dans la direction de son interlocutrice. Toi, bruyante.

Un petit instant de réflexion, afin de se recentrer sur le sujet de la conversation.
Pour la plus grande surprise de la demoiselle, c'est finalement d'une voix parfaitement fluide qu'il s'exprimait.

― Tu dis que tu cherches la sortie mais tu m'as tout l'air de prendre la direction du troisième étage, à en juger par la cage d'escalier devant laquelle tu te situe. Tu es suffisamment intelligente pour savoir que ce n'est pas la bonne direction.

Les yeux à demi-clos, d'un air un peu moqueur, il reprit finalement son articulation saccadée.

― Ou moi stupide. Doyenne.

take my breath away

Il était difficile pour le jeune de cacher la satisfaction qu'il pouvait ressentir lorsque les joues de son interlocutrice s'empourpraient.
Jason n'était pas vraiment homme à rire de l'embarras des autres mais il accordait une importance toute particulière à instaurer une scission entre lui et la future doyenne.
Premièrement car il n'avait aucune intention de se plier à l'autorité du clan et la sienne mais aussi car il n'avait pas non plus la moindre intention d'y revenir un jour, dans ce clan.
Les années lui avaient permis de constater l'univers de décalage entre lui et les autres membres du clan, suffisamment pour qu'il s'en sente complètement étranger.
Jason aurait aimé se convaincre que cela ne l'atteignait pas mais la vérité était toute autre.
Finalement, il avait trouvé un peu de stabilité en la présence de Ace et ne s'en portait peut-être pas si mal, loin du tumultes des règles imposées par les O'Cesair.

Il fut cependant prit d'un léger remord à l'idée du peu d'empathie dont il faisait preuve envers la situation de sa cadette d'un an.
S'il ne pouvait refréner la rancune qu'il pouvait ressentir envers celle dont il avait fait l'incarnation vivante de sa frustration envers le clan, il ne pouvait pas non plus nier que de la même manière que lui, elle n'avait nullement demandé sa position.
c'est peut-être là, la maladie de son excellence.
Un peu gêné par son attitude qu'il jugeait finalement puéril et malvenue, pour reprendre ses termes, le jeune homme ébouriffait ses cheveux en détournant le regard, un peu honteux d'avoir fait preuve d'autant d'éloquence pour la provoquer.

― Maladroit. Pardon.

Comme prévu, elle ne pouvait s'empêcher d'évoquer ses parents.
S'il est vrai qu'il pouvait objectivement se considérer comme étant en tort dans cette relation chaotique avec ses parents, il estime aussi faire cela avec les meilleurs intentions.
N'ayant nullement l'intention de retrouver les O'Cesair à la fin de ses études, il ne pouvait pas encombrer ses parents de son existence car il ne pourrait finalement jamais la partager avec eux.
Couper les liens était le meilleur moyen d'éviter des souffrances.
Peut-être même Laëstiel aurait-elle comprit, s'il avait prit le temps de lui expliquer plus en détail avec la même fluidité que celle dont il avait fait preuve pour la mettre dans l'embarras.
Le regard fuyant, il reprit.

― Parce que mieux comme ça.

Alors qu'il bloquait le sortie du couloir depuis le début de leur conversation, l'étudiant au masque s'écartait un instant pour lui octroyer l'espace suffisant à son départ.
Egalement au fait des capacités de son alice, il avait la courtoisie de lui offrir suffisamment d'espace pour qu'elle ne s'encombre d'aucun contact avec lui.
Une forme d'excuse pour son comportement grossier.

― Clan pas pour moi. Mais toi gentille. Pars.

A sa grande surprise, il ne trouvait pas sa présence si désagréable que ça.
Mais il réitère sa remarque : elle est bien bruyante, selon ses standards.

take my breath away

Si la manière avait laquelle il s'était confondu en excuse pouvait sembler être un aveu de faiblesse, cela valait mieux à ses yeux que de se lancer dans un conflit ouvert avec un membre de sa "presque" famille.
Lorsqu'elle passait à côté de lui, le maudit n'accordait que peu d'importance à son attitude royale dont elle semblait s'affubler pour cacher ce qu'il semblait détecter comme une faiblesse évidente : elle-même n'avait aucune idée de où elle allait.
Comme à sa grande habitude, il avait complètement éludé la question précédemment posée par Laëstiel au sujet de ses parents.
Déjà qu'il n'estimait pas avoir à lui justifier sa présence ici, son attitude envers ses parents ne la regardait nullement.

Pourtant, c'est d'une nouvelle sentence pleine de provocation qu'elle revenait à la charge face à lui.
Son doigt, presque accusateur, venait se poser juste devant son torse alors qu'il observait soigneusement son mouvement.
Qu'elle remette en cause son attitude passe encore mais qu'elle vienne compromettre son accoutrement par un geste mal placé...
Alors qu'elle s'exprimait, il continuait à fixer intensément son doigt, pour lui signifier que ce geste le dérangeait et qu'elle devait se retirer.

Cela n'empêchait pas Jason de l'écouter attentivement lui faire un sorte de leçon de vie, chose à laquelle il ne se serait pas attendu de sa part.
S'il avait eu la courtoisie de revenir sur ses propos pour se modérer et présenter ses excuses, c'est avec une déception toute relative qu'il constatait encore une fois le monde qui les séparent.
Même si elle refusait de se faire appeler doyenne, elle s'évertuait pourtant à se mêler de ce qu'il ne la regardait vraisemblablement pas.
Jason n'avait nullement envie d'intégrer le clan des O'Cesair et l'idée même de devenir le sujet d'un être aussi pédant et plein de fausse morale le répugnait encore plus que le produit non rincé sur son pupitre qui commençait à sécher.

Si elle voulait qu'il cause, il lui accorderait ce petit plaisir, car ils n'étaient visiblement que tous les deux et que prendre des précautions avec elle relevait de l'incohérence, tant elle s'investissait dans le fait de le faire parler le plus possible.
Il commençait pas se reculer, accompagnant son geste d'un avertissement.

― Ton doigt.

Après avoir mis en place une distance de sécurité qu'il jugeait plus confortable, c'est de nouveau avec une voix parfaitement fluide qu'il s'exprimait.
La compression de son masque lui donnait un timbre de voix presque inhumain qu'il s'évertuait à dissimuler avec de courtes phrases, découpées.
Mais cette fois, il ne ferait pas l'effort de paraître pour quelqu'un d'autre.
Il fallait bien la remettre à sa place, un jour.

― Je n'ai aucun conseil à recevoir de la petite princesse du clan O'Cesair. Tu es tellement enfermée dans ta petite tour d'ivoire, convaincue qu'il n'existe rien de pire que la pression sur tes épaules, que tu oublies que plus bas des monstres sont enfermés dans des cachots. Ces faveurs que tu sembles mépriser dit-il en appuyant sur son col, où étaient placés ses trois étoiles ce sont mes clés pour sortir de ce cachot. Parce que ça fait bien longtemps que je n'attends plus après vous pour m'en sortir. Si tu prônes les bienfaits du mensonge, fais semblant de ne pas me connaitre. Comme vous avez toujours fait.

Le jeune homme levait le menton, pour la toiser avec le même mépris que celui qu'elle lui offre depuis le début de cette conversation.

― S'il est hypocrite et malvenu que je t'appelle "doyenne", il est tout aussi déplacé et blessant que tu te comporte comme telle avec moi.

Une rancœur envers ce clan qu'il saurait pardonner.

take my breath away

Il était stupéfiant de constater à quel point Laëstiel provoquait chez Jason une forme d'esprit combatif.
Incapable d'accepter les conseils et la pitié, incapable de concevoir qu'on puisse ressentir n'importe quelle forme de tristesse envers lui.
Fermé à toute forme de discours.
Pourtant, elle le déstabilise.
Peut-être parce qu'elle brille bien plus qu'il ne pourra jamais l’espérer ?
D'une lueur qu'il serait même incapable d'observer, même s'il ne lui souhaitait que le meilleur concernant la gestion du clan.
Mais encore une fois, il ne serait pas un de ses sujets.
Car si la bienveillance qu'elle lui exposait finalement derrière ce qu'il percevait comme une forme de mépris aurait pu le toucher il y a de cela des années, il était maintenant bien trop tard pour tout retour en arrière.
De O'Cesair il n'en portait que le nom et ce clan représentait des chaînes dont il n'était pas encore capable de s'émanciper.

Jason ne sera un soutien pour aucun membre de cette famille et ne souhaite même pas évoquer son appartenance à la communauté.
Une appartenance dérobée par la peur qu'il inspirait à son entourage.
Indéniablement, son alice la condamnait elle aussi à vivre prisonnière de son propre corps.
Pourtant, il estimait que la sentence qu'il devait purger était bien plus lourde que la sienne.
Car si son alice ne lui autorisait pas à vivre sa vie pleinement, elle n'avait souffert d'aucun rejet de la part de la famille.
A ça, il répondait tristement.

― Le même crime et pourtant nous sommes si incapable de nous comprendre...

Néanmoins et pour lui prouver qu'il désirait balayer toute forme de jugement entre eux, il s'avançait dans sa direction, pour briser cette distance qu'il semblait pourtant si importante à ses yeux.
Il déposait ses mains contre ses épaules, seule forme de contact qu'il pouvait pour l'instant supporter.
Cela lui demandait déjà un effort incommensurable.
Mais déjà il ressentait la fatigue d'avoir autant discuté, lui pourtant presque muet en temps normal.

― Tu seras une femme superbe et une doyenne respectable, j'en suis sûr. Peut-être même que tu seras capable de changer le clan, avec ta force de caractère. Je te respecte. Contrairement à ce que tu sembles penser, je ne vous déteste pas. Mais je ne vous aime pas non plus. Et je ne serais pas un poids pour vous.

Le regard lourd, il s'écartait d'elle.
De nouveau, il ébouriffait ses cheveux pour ensuite lui tourner le dos.
Le souffle court.

― Tu penses qu'ils ont honte de moi ?

Dit-il, faisant référence à ses parents.
Peut-être que si sa voix n'était pas compressée par son masque, on pourrait constater une pointe de tristesse à la fin de sa phrase.
Cela fait bien des années que les larmes ne coulent plus.

take my breath away

S'échappait de son attitude parfois hautaine une forme de compassion dont il ne l'aurait pas soupçonnée.
Ses mots étaient justes, peut-être un peu trop pour que le jeune puisse simplement encaisser.
Mis face à son raisonnement, il lui arrivait de se sentir lui aussi ridicule, l'espace d'un instant.
Mais, de la même manière dont elle avait fait le choix de s'investir dans les activités de la communauté, Jason avait prit la décision de s'en éloigner.
Ne comptait pour lui plus que son confort, ses fameuses étoiles et possiblement le rang de major.
S'il devait se comporter comme un animal pour l'académie et le professeur de la classe danger, ainsi soit-il.

― J'aimerais vraiment te croire, Laëstiel. Mais tu l'as bien dit toi même, non ? S'il faut faire semblant pour apaiser la tristesse de quelqu'un, tu es prête à t'engager sur cette route. Je suis fatigué de devoir vous comprendre dans toute votre fourberie et vos schémas.

Incapable de concevoir qu'un membre du clan était capable de faire preuve de sincérité envers lui, le déni était l'arme que Jason avait décidé d'utiliser.
Pourtant, quelque part dans son esprit, il aurait aimé pouvoir accepter les mots de ce qui ressemblait de plus en plus à un "proche".
Mais une rancœur aussi tenace que celle qu'il entretenait envers le clan ne pouvait être effacée par la chaleur de sa main.
L'espace d'un instant, l'enfant maudit se laissait aller au point de déposer sa main gantée sur la sienne, une connexion qui ne durait qu'une brève seconde.
Finalement, il chassait la main de son épaule.

De nouveau, il lui faisait face.
S'il avait une bien meilleure estime pour celle qu'il ne considérait jusqu'à présent que comme une petite princesse capricieuse, sa loyauté n'avait pourtant pas changé de cible.
Fidèle à l'académie.
La section NOVA, les missions, tout ceci n'était qu'un tremplin pour obtenir un mode de vie d'abondance.
Une ascension qu'il n'arrêterait certainement pas pour satisfaire la curiosité de la demoiselle.
Le regard qu'il lui adressait était intense.

― Je te suggère d'abandonner cette quête. Cette classe est importante pour moi. Je ne veux pas avoir un membre du clan dans les pattes.

De quelques pas, il s'approchait d'elle, jusqu'à la dépasser en taille.
Son regard s'abaissait pour la fixer froidement.
S'il elle souhaitait s'opposer aux décisions de l'académie concernant la classe danger, elle devenait automatiquement son ennemi.
Et étrangement, il n'avait pas envie de se retrouver véritablement en conflit avec elle.

― Quitte ce bâtiment. Ta place est dans la lumière, pas ici. Laisse moi les ombres et le silence. J'y ai le droit.

Peut-être avait-il tout simplement peur qu'elle parvienne à l'atteindre ?
Cela semblait si facile, pour elle.

take my breath away

Existe il des gens qui ne veulent pas être sauvés ?
Si c'était le cas, certainement que Jason faisait parti de cette catégorie.
Non pas qu'il se complaisait dans sa tristesse.
Mais il avait déjà trouvé un palliatif à ses souffrances et ce silence lui apportait plus de quiétude que n'importe quelle chaleur humaine.
Ou peut-être essayait-il de s'en persuader ?
Le fonctionnement qu'il s'était imposé était bien plus compréhensible, pour lui.
Il maîtrisait les codes de sa solitude et n'avait nullement envie de réapprendre à se comporter en société.

Aussi, quand elle lui assurait qu'il avait le droit à mieux que ce à quoi il prétendait, c'est un début de grimace qui se dessinait sur son visage.
Comment pouvait-elle savoir cela, elle qui le connaissait finalement si peu ?
Mais une nouvelle fois, une présence vint perturber la journée de l'étudiant au masque.
Peut-être aurait-il été capable de dissimuler sa présence de manière aussi adroite que sa comparse s'il n'avait pas été aussi assommé par cette longue conversation.
Aussi restait il sur place, immobile, alors que la stature de ce qui semblait être une force infinie prenait un contrôle écrasant sur l'atmosphère déjà austère du couloir.
Il est de ces présences qu'on ne peut contrôler.
Le directeur s'avançait en direction de Jason, proférant ce qu'il pouvait identifier comme une forme de menace avant d’agripper son masque.
Un acte dangereux auquel aucun autre élève ou professeur ne s'adonnerait en temps normal mais, les règles ne s'appliquaient pas avec cet homme.

Jason gardait le silence à chaque remarque, non pas par insolence mais tout simplement car il n'était pas un être à qui on pouvait répondre.
Si l'enfant maudit s'était toujours considéré comme un cas particulier de par sa capacité à vivre parmi les ombres, le voilà à présent devant le roi de chaque parcelle ténébreuse de l'académie.
Intimidé, l'étudiant ne fit aucun geste pour se défendre de ce qui aurait été pu être interprété comme une sorte de violence.
Peut-être aurait-il dû dénoncer Laëstiel, cela lui aurait-il valu des bons points auprès de l'empereur de son petit monde ?
Mais sans vraiment savoir pourquoi, il n'en fit rien.
Toujours immobile alors que le directeur disparaissait dans les escaliers en direction de l'étage du dessus.

Un frisson parcouru le corps de Jason alors qu'il agrippait avec plus de poigne sa bouteille en inox, le regard triste.
Avait-il manqué à son rôle d'étudiant parfait ?
Etait-il une fois de plus une déception pour une figure adulte de l'école ?
Et pourquoi n'avait-il dit mot concernant la présence de celle qu'il considérait jusqu'à présent comme une simple princesse capricieuse ?
Y avait-il finalement une forme de justice dans la morale ambivalente du jeune homme ?
Doucement, il laissait s'échapper quelques mots.

― Prends soin de toi.

Selon les directives du directeur, il prit donc la direction du réfectoire.
Souhaitait-elle vraiment s'opposer à l'académie et un homme aussi imposant que celui qu'il venait de voir ?
Jason n'était pas un lâche mais était bien conscient qu'avec ce genre de personne, l'option la plus rentable résidait en la soumission pure et simple.
Laëstiel serait-elle complètement folle ?

Dans la cage d'escalier pour quitter le bâtiment, Jason s'arrêtait un instant pour songer à ce qu'il venait de se passer.
Lui qui n'était resté que pour profiter du silence et nettoyer des tables s'était retrouvé nez à nez avec un membre du clan O'Cesair.
On l'avait fait douter sur sa rancune envers le clan.
Il avait fait la rencontre d'un dieu aussi terrifiant qu'exigeant.
Mais s'il devait retirer une leçon de cette journée...
Sa main était vraiment chaude.