On lui avait dit de faire des efforts, et Diane avait obéi. On lui avait dit de se faire des amis, et si c'était eux qui le demandaient, alors Diane se devait de le faire. Elle répondait aux conseils comme s'ils étaient des ordres, se fixait des objectifs par lesquels elle devenait obsédée et ne dormait avant qu'ils n'aient été accomplis. Fais-toi des amis, lie-toi aux autres, on lui demandait de leur donner une chance. Mais ce n'était pas à eux qu'elle ne donnait pas de chance, c'était à elle-même en la présence des autres dont elle doutait sans cesse.

Et si elle parlait de travers ? Et si elle ne savait pas quoi dire ? Et si le silence s'installait ? Que penserait-on d'elle, si elle était si fade ? Quelle estime aurait-on de sa présence ? Chercheraient-ils encore à la voir, lui parler, si elle ne leur apportait rien ?

« SALUT. »

Un sursaut lui prit les épaules et elle leva la tête rapidement vers son interlocuteur, surprise et confuse. Ses pensées dans une course effrénée se rangeaient en un schéma désordonné et paniqué. Mais il faut répondre vite, ou elle aura l'air encore plus bête. Alors elle hocha la tête, et esquissa un sourire maladroit.

« Hey. »

Nul - trop froid - trop fade - ce n'est pas comme ça qu'on fait bonne impression, Diane. Déjà elle s'accable. Ce n'était pas en s'accablant non plus qu'elle allait dégager quelque chose de positif. Reprends-toi ; reprends-toi.

Hocha la tête à nouveau.

« Oui, apparemment vous n'en aviez plus depuis le début de l'année et il fallait que je trouve un club. Et comme je suis douée en rien... Être manager ne demande pas vraiment d'être doué, pas vrai ? »

Elle se racla un peu la gorge. Diane était douée en beaucoup de choses, en vérité, mais son Alice lui faisait perdre toute confiance en elle ; les efforts qu'elle devait fournir la décourageaient, la faisait se sentir toujours mauvaise - ou insuffisante, malgré son indéniable talent. Elle ne voulait pas s'infliger ça au quotidien avec une activité de club.

Avec la paperasse qu'elle avait du remplir encore dans ses bras, elle se dépatouilla légèrement avant de tendre la main vers lui.

« Diane. »

Comme s'il ne savait pas comment elle s'appelait. Peut-être qu'il avait oublié ? Ou n'y avait jamais prêté attention ?

Elle lui adressa un sourire, se mordant le bout des lèvres pour s'empêcher d'être plus gênante. Inutile de lui dire qu'elle l'observait dans les couloirs depuis au moins deux ans. Ni que, par conséquent, elle avait déjà appris son nom ; et qu'elle savait qu'il fréquentait ce club avant de s'y inscrire.

Diane n'était pas habituée à l'enthousiasme ; surtout qu'elle n'imaginait pas qu'on en éprouve à l'idée de la rencontrer. Elle avait hoché la tête un peu nerveusement, hypnotisée par son énergie qui semblait déborder de lui.

« Aaah- »

On ne lui avait pas dit ça, au secrétariat, quand elle s'était inscrite. Elle se mit à rire, doucement.

« Ca tombe bien, parce que j'y connais... absolument rien ! »

S'arma de son plus grand sourire de crispée. Sous-entendu ; il va falloir m'apprendre et je tâcherai de ne pas être un poids ; certainement.

Elle s'étonna de sa question, et sembla un peu perdre ses mots. Est-ce qu'il lui faisait comprendre qu'il avait remarqué qu'elle le regardait ? Merde. Et si elle se faisait des idées, que sa question était innocente ? Elle était coincée.

« Erm.. »

Elle secoua la tête.

« Ça fait seize ans que je suis là alors, j'imagine qu'on a déjà pu se voir, oui. »

Elle passa une main dans sa nuque. Elle n'avait pas osé relever les yeux vers lui depuis le début de leur échange, et s'y risqua enfin.
Elle cru qu'elle allait défaillir. Sa gorge se serra, et les mots restèrent suspendus à ses lèvres. Sa voix, douce et volatile, s'échappa d'elle comme un murmure.

« Mais je suis d'accord... »

Elle baissa les yeux à nouveau, se mit à rire légèrement du ridicule dont elle avait du être parée.

« Pour moi aussi, c'est comme si on se connaissait déjà. »

Diane n'aimait pas particulièrement parler d'elle ; cela la rendait sujette à des anxiétés un peu absurdes. Se mettre en avant la faisait se sentir coupable, comme si tout ce qu'elle pouvait dire à son propre propos devait forcément être un tissu de mensonge concocté dans l'idée de séduire - manipuler - appâter.
Et présentement, elle aurait terriblement aimé que Ulysse la voie comme quelqu'un qu'elle supposait ne pas être ; belle, lumineuse, drôle, ...

« Oui, tout ce qu'on m'a dit c'est que mes parents m'ont laissée ici et ils n'ont pas voulu donner leur nom. Peut-être qu'ils avaient honte ou... ça n'a pas d'importance. »

Non, Diane était plus forte que ça. Elle n'était pas une de ces enfants malheureuses noircies par des démons du passé. Elle n'était pas une de ces enfants dépressives alourdies par le poids d'un bagage émotionnel noir et dépravé.
Elle ne voulait pas être associée à tout ça - elle ne voulait pas admettre - elle ne voulait pas voir qu'elle était celle-là.

Diane était heureuse. Diane n'était pas affectée par ces pensées.

Alors elle lui adressa un sourire, et hocha la tête.

« Ah ! Oui, erm... »

La proximité l'avait rendue un peu nerveuse, et elle n'avait rien trouvé de mieux pour se détendre que de rire. Ca la rendait plus lumineuse que triste.

« Attends. »

Elle poussa légèrement Ulysse, d'une main sur son torse, pour attraper son téléphone dans sa poche et lui tendre.

« Tiens, enregistre ton numéro et je t'enverrai un message. Comme ça tu auras le mien. »

Elle détourna les yeux pour regarder le terrain, un peu pensive - mais surtout pour éviter de trop sentir son coeur massacrer sa poitrine.

« Mais, éventuellement, tu n'es pas obligé de te limiter aux messages concernant le baseball, d'accord... ? »

Discrètement, un coup d’œil vers lui ; lui glissant silencieusement un sourire.

Tant pis pour les parents et l'idée déconstruite qu'on s'en était faite.
Diane pensait plus  souvent à ses parents que ce qu'elle voulait bien admettre. Elle se sentait ingrate, honteuse, d'espérer qu'on l'ait aimée plus qu'elle n'avait été aimée par l'académie. D'insinuer qu'elle était frustrée ou insatisfaite de l'éducation qu'elle avait reçue était impensable. Elle était reconnaissante, elle ne voulait pas des parents qui l'avaient abandonnée. Elle était comblée par ce qu'on lui avait donné, elle s'en était persuadée.

Alors pourquoi avait-elle mal ? Pourquoi refusait-elle que ses parents soient traités comme des moins que rien ? Elle avait abandonné depuis longtemps sa loyauté envers eux - des visages inconnus qui hantaient parfois des rêves secrets et tabous. On n'abandonnait jamais vraiment sa loyauté à son sang.

Elle avait hoché la tête. Winchester était le nom donné aux enfants abandonnés - c'était le nom de l'association fondée par Alvin qui s'occupait des orphelins (des démunis - les moins que rien). Diane était née rien mais ne pouvait plus l'être, car elle avait promis à l'académie d'être quelqu'un ; pour leur montrer (leur prouver) qu'ils n'avaient pas eu tords de la sauver (l'éduquer - croire en elle là où ses parents avaient refusé de le faire).

Tout à coup l'enthousiasme de Ulysse avait soulevé des lumières dans ses yeux - à lui mais à Diane aussi. Elle n'était pas habituée à être entraînée de la sorte. A le voir, elle comprenait pourquoi il était capitaine malgré son jeune âge ; c'était sa détermination qui était contagieuse. Elle commença à se presser un peu, toujours quelques dossiers et papelards entre les bras.

« Ah ! Oui, oui, mais. »

Elle rangea son téléphone dans sa poche et hocha la tête nerveusement.

« Je dépose tout ça, je me change, et j'arrive. Je te rejoins sur le terrain ! »

Elle n'avait jamais témoigné de tant d'entrain - en tous cas pas si naturellement. Jamais car elle voulait vraiment le faire - comme maintenant - mais toujours car elle pensait que c'est ce qu'elle devait faire. Elle se dépêcha de rejoindre les vestiaires, et une dizaine de minutes plus tard elle se présentait sur le terrain en tenue de sport. Elle ajustait sa queue de cheval lorsqu'elle arriva devant Ulysse.

« Ok je suis prête ! Qu'est-ce qu'on fait ? »

Diane pria intérieurement pour que son talent du jour soit le baseball, mais ne se permettrait de croire à une telle coïncidence que dans ses rêves - et encore. Elle baissa les yeux sur sa tenue. Elle avait enfilé sa tenue de sport de l'école, et papillonna des yeux.

« Tu crois qu'ils me donneront le t-shirt de l'équipe ? Avec un numéro dans le dos comme vous ? »

Elle lui adressa un sourire. Elle était redevenue comme une enfant.

Le contact de Ulysse l'avait tendue, les sourcils légèrement haussés, et le regard un peu interdit. Gênée, elle n'avait pas osé lever les yeux vers les autres garçons de l'équipe qui devaient sûrement ricaner - ou peu importe, elle ne voulait pas savoir. Au lieu de ça, elle avait tourné la tête vers leur capitaine, papillonnant des paupières l'air de lui demander pourquoi il avait eu besoin de crier.
Pas que ça la dérange qu'il prenne sa défense ; seulement elle n'y était pas habituée.

Diane était une personne qui apprenait vite - et elle se mettait tant de pression qu'elle devenait rapidement performante. Ainsi, elle avait adopté immédiatement la bonne position, comme il lui avait indiqué, mais elle n'était pas préparée à ce que la balle arrive.
Si vite.
Elle écarquilla les yeux et s'exclama

« AH ! »

Les épaules crispées, les bras un peu relevés devant elle, elle venait de faire un amorti presque parfait, la balle retombant mollement au sol, et roulant lentement, tout son élan perdu contre la batte. Elle resta circonspecte quelques secondes, avant que les garçons s’époumonent tous :

« COURS ! »

Sans perdre plus de temps elle se mit à courir, mais arriva à la première base juste trop tard, Ulysse avait déjà réagi. Elle s'arrêta, un peu déçue.

« Pourquoi tu m'as pas dit que je devais courir si elle retombait ? »

La question avait été posée innocemment, mais une aura incendiaire se dégageait de Ulysse. Elle haussa les sourcils.
C'était son aura, qu'elle voyait brûler tout autour ? Elle se mit à sourire - d'un sourire qu'on ne voyait pas souvent sur les lèvres de Diane.
Elle s'amusait vraiment.

« Héhé, tu t'attendais pas à ce que je le réussisse, pas vrai ? »

Elle non plus.
D'ailleurs elle ne pensait pas qu'arrêter bêtement la balle à ses pieds était réussir un coup.

Diane sentait l'imminence de la fuite pulser dans sa poitrine. L'échange durait depuis trop longtemps et déjà elle ne comprenait plus les chemins qu'elle devait suivre - ce qu'il attendait d'elle, ce qu'elle devait faire pour rester irréprochable. Allait-il rire d'elle, si elle ratait son prochain passage à la batte ? Allait-il se moquer, l'utiliser pour se vanter ? Allait-elle perdre leur estime, à tous, si il s'avérait qu'elle lançait mal ? Tout allait trop vite.

« Non, j'ai eu de la chance.. »

Elle baissa les yeux, préparant le terrain pour l'échec imminent qui allait suivre.

« Euh, Ulysse ? »

Elle lui adressa un vague sourire, l'incitant à un peu se rapprocher. Elle hésita quelques instants. C'était difficile, pour elle, d'admettre ses lacunes. Elle avait parlé plus doucement, regardant une fois de droite à gauche pour vérifier que les autres n'entendaient pas.

« Je suis un peu gênée, je crois pas du tout que mon talent du jour soit le baseball, et j'ai peur de me foutre la honte devant toute l'équipe, c'est mon premier jour dans le club j'ai pas envie qu'ils se mettent à rire.. »

Son talent du jour.

Diane, elle, en revanche, ignorait que Ulysse avait le même alice qu'elle. Elle haussa les sourcils, un peu circonspecte.

« Le même.. ? »

Elle pencha la tête. Son alice était-il répandu ? Elle avait déjà croisé plusieurs personnes capables de lévitation, de téléportation, ... mais son talent unique ? Peut-être était-elle un peu déçue de ne pas être spéciale.

Elle hocha la tête, et tritura la balle de baseball entre ses doigts.

« Je préfère arrêter, mais promis je jouerai encore. Laisse-moi juste apprendre les règles, d'abord.. »

Qu'elle ait l'air moins bête, au moins.
Elle papillonna des yeux lorsqu'il reprit la parole. Diane interprétait peut-être mal les signes, mais était-il timide, tout à coup ? Pour quelle raison ? L'avait-elle mis mal à l'aise ?

« Eh ? »

Elle paniqua un peu. Elle n'était pas habituée à ce qu'on veuille la voir. Qu'est-ce qu'on disait, dans ces moments-là ? Est-ce qu'on disait "oui" et puis on disparaissait sans plus donner de nouvelles ? Elle balbutia un peu, avant de sourire. Elle devait avoir l'air idiote.

Mais on n'avait rarement vu Diane autant sourire que ce jour-là.

« On peut aller boire ensemble au café, un matin, si tu veux ? Je te paie les viennoiseries... samedi ? »