Elle regarda son téléphone. Une fois. Deux fois. Trois fois. Elle relut le message, encore et encore et encore, comme pour se persuader d’avoir bien lu. Et lorsqu’au bout d’une énième relecture, celui-ci indiquait toujours la même chose, elle n’eut d’autre choix que de se rendre à l’évidence : elle avait maintenant quelque chose de prévu ce week-end.

Et comme-ci cela ne suffisait pas, même une fois dans le bus, elle relut de nouveau les échanges qu’elle avait eus avec Peach par sms, comme pour se rassurer.  Les deux s’appréciaient tout particulièrement, pour plein de raisons. Tellement que Louise éprouvait des difficultés à les énumérer. Il y avait des individus avec lesquels le courant passait tellement bien ; difficile de ne pas être extatique. Surtout pour une personne comme la brunette. Elle dépendait de l’amour, de l’attention des gens, elle en avait besoin pour exister, se sentir vivante.

Et même si elle n’était pas parfaite dans la gestion de ses relations avec tout le monde, lorsqu’elle aimait vraiment quelqu’un, elle ne le cachait jamais. Les faux-semblants ? Très peu pour elle. La musique dans les oreilles, un petit morceau de rap avec un volume modéré, pour éviter de se faire cramer, la bordelaise attendit patiemment d’arriver à Central Town. Patiemment ? Que nenni ! Elle trépignait d’impatience, si bien qu’elle était prise de spasmes dans les gambettes qui s’agitèrent sans même une injonction de la part de celle qui les commandait.

Surexcitée, incontrôlable, lorsqu’elle était lancée, impossible de l’arrêter. Et malgré tout, elle ne se hâta pas de se rendre à son rendez-vous. Paradoxal non ? Pourquoi ne pas se presser ? Parce qu’elle n’était pas en retard - mais pas en avance non plus. Rien ne sert de courir ; il vaut mieux partir à point, chez elle, c’était une seconde nature.

La démarche était tranquille, le pas était assuré. Le cœur ne palpitait point, mais il était un peu serré. Un peu de nervosité ? Sans doute. Louise ne cachait pas ce qu’elle ressentait pour les gens, mais parfois, elle ne disait pas tout. Avec sa princesse aux bouclettes blanchâtres, la situation était plus complexe qu’il n’y paraissait. La brune était une spécialiste des amourettes et sa frivolité pouvait être blessante. Jusqu’alors, elle avait épargné Peach de son appétence au crush… mais pour combien de temps ? La native de l’hexagone avait une manière bien à elle de gérer ses idylles, mais mentir n’était pas dans ses habitudes.

Elle poussa la porte du café, toujours son immuable sourire mutin collé aux lèvres ; sa marque de fabrique. La tête pivota de quelques degrés rapidement, et les saphirs se posèrent sur la miss aux bouclettes qui lui fit un signe de la main.

En avance ? Curieux.
La brune n’allait pas se faire prier pour la taquiner sur ce fait.

Elle s’approcha, posa son sac à main sur la chaise en face de Peach, puis se dirigea vers elle l’enlaçant quelques secondes ; profitant de l’instant présent. Elle s’assit ensuite en face de son interlocutrice, et les premières balles fusèrent alors :

─ En avance ? Bizarre… qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de ma petite princesse adorée ? Peach, princesse, t’a compris, on passe à la suite, Louise n’était pas non plus un modèle d’originalité : je plaisante, darling surenchérit-elle de son accent français exacerbé, encore une fois, aucun effort pour l’arranger, elle connaissait la langue, elle n’avait pas non plus besoin d’y mettre l’accent en plus. Elle reprit alors, dans l’optique de répondre à la question de la demoiselle, sans manquer de la titiller davantage : oh tu sais moi… tant que je te vois je ne peux qu’aller bien. Je suis quelqu’un de simple, la présence de ceux que j’adore me suffit.

Flatteuse par-dessus le marché. Elle pouvait être adorable quand elle le voulait.
Le truc, c’est que ça ne marchait jamais sur commande. Seulement au gré de ses envies.

─ Mais je manque à mes devoirs de politesse dis-donc. Et toi darling, comment tu vas ? Toujours impeccable tes bouclettes, parfois je me demande si je ne devrais pas me faire les mêmes. Dit-elle en enroulant une mèche de sa chevelure ébène autour de son index. Décidément, elle était d’une humeur badine.

Et ça ne pouvait présager que du bon pour la suite.
Difficile de ne pas apprécier une demoiselle à l’éloquence si malicieuse et satinée.
Oui vraiment, quand elle l’avait décidé, elle était adorable.
Ou bien lorsqu’elle souhaitait détourner l’attention.
Maligne la miss.


 

►

Avec elle, c’était toujours pareil. Dans l’air, planait toujours l’ombre d’un doute sur Peach et sa sincérité ; Louise savait qu’elle était une actrice remarquable et qu’elle pouvait la duper si besoin. Elle le savait pertinemment, mais n’osait pas y croire pour autant. Elle qui appréhendait si mal le mensonge, la tromperie, elle ne pouvait imaginer que celle qui se tenait en face d’elle lui fasse subir pareil affront. Mais quand bien même, elle ne pouvait s’empêcher de l’imaginer. Comme lorsqu’elle la complimenta sur sa chevelure brune toute lisse ; impossible de savoir avec certitude si elle était sincère. Néanmoins, il était vrai que Louise était coquette, elle ne pouvait pas le cacher.

Toujours tirée à quatre épingles, toujours impeccablement bien que discrètement maquillée, toujours un verni d’une couleur aléatoire peinte sur ses ongles parfaitement manucurés. Elle faisait toujours attention à elle. Jamais pour satisfaire son auditoire cependant, toujours pour se satisfaire elle-même. Cependant, elle avait beau dire, à l’écoute de ce petit compliment qui n’avait l’air de rien, les joues de l’adolescente à la chevelure ébène, rougirent quelques instants. Elle rebondit sur la déclaration de son interlocutrice.

─ Mais non, mais non, ne dis pas de bêtise, cette tignasse fait partie de ton charme ma belle. Ne change rien surtout.

Non, ne change rien.
Reste comme tu es.
Tu ravis mes yeux à chaque fois que je les pose sur toi et cette petite tignasse que j’adore.
Pour rien au monde je ne voudrais que tu changes.
Et même si je sais que c’est inévitable, laisse-moi profiter encore quelques instants.
Huh… non mais regardez-moi franchement, à quoi je joue ?
Manquerait plus que je dise ça à haute voix !

Et ça aussi, elle savait que c’était inévitable. Louise n’avait jamais su mentir, ce n’était pas dans son ADN. Et quand bien même, cela serait susceptible de lui porter préjudice un jour. Après tout, mentir était une mauvaise action. Et peu importe les intentions, bonnes ou mauvaises, au final, c’était un acte malveillant… qui pouvait un jour, être puni par son alice. Ce don au contrôle hasardeux, qu’elle ne faisait aucun effort pour maitriser, pouvait à l’occasion, se retourner contre elle.

De toute façon, elle avait toujours détesté le mensonge. Louise voyait la vérité comme un coup de poing : une douleur vive et intense, mais qui s’estompait au bout d’un moment. Même les hématomes des coups finissaient par disparaître avec le temps. Mentir était une maladie, gangrenant petit à petit l’âme des gens, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus rien. Elle avait fait le choix de rester honnête, elle ne comptait pas revenir sur sa décision.

Mais passons, le moment n’était pas propice à une réflexion philosophique sur la vie. Louise focalisa plutôt son attention sur les dires de celle qu’elle aimait appeler « darling ». Et celle-ci venait de relever un point important. L’académie était en effet, en train de changer.

─ Bof, ne te préoccupe pas de ça, tu vas te torturer l’esprit pour rien ma belle. L’important c’est que tu n’aies rien et idem pour moi. Et puis de toute façon, tu n’es pas obligée d’aimer l’endroit, moi-même je ne le porte pas dans mon cœur plus que ça. En revanche… elle s’interrompit quelques instants pour commander un café latte auprès du serveur, avant de reprendre lorsqu’il s’éclipsa : il faut se rendre à l’évidence, nous sommes coincées ici. Et rien ni personne ne pourra changer ce fait. Alors le plus important c’est… elle marqua une pause, chercha ses mots pendant quelques secondes, avant de reprendre là où elle s’était arrêtée : c’est de rester auprès des gens qui comptent pour toi. Profite des moments avec eux, zappe tout le reste, franchement, ça ne vaut pas la peine de se prendre la tête pour des trucs comme ça. On est encore dans l’incertitude, on ne sait même pas ce qu’il va se passer.

Et lorsque Louise ne savait pas à quoi s’attendre, elle ne se faisait pas de film. Elle était toujours dans l’instant. Action, réaction. Jamais de prévision. C’était peut-être idiot, mais c’était ainsi qu’elle opérait. Elle espérait peut-être transmettre cela à son interlocutrice ; même si elle se doutait bien qu’elle ne pouvait l’empêcher de penser à autre chose. Sauf si elle arrivait à la captiver… ça encore, c’était jouable.

─ J’irais même jusqu’à dire que je t’interdis de penser à autre chose pendant que moi je suis là. Je te fais l’honneur de mon illustre présence alors surtout, ne change pas de sujet darling.

Et qu’importe la réaction qu’elle pouvait provoquer chez elle, Louise surenchérit, certaine de capter son attention :

─ Surtout que je me suis faite toute belle et tout ! Regarde ce beau verni bleu clair sur mes ongles, ça prend du temps ces choses-là ! On s’en branle de l’académie et de ce qu’il s’y passe. Le plus important c’est toi, moi, et le temps qu’on passe ensemble.

Cette « normalité » qu’elle avait évoquée plus tôt. Mais comment était-il possible de passer un moment « normal » en la compagnie d’une personne telle que Louise ? Peach devrait le savoir depuis longtemps maintenant, Louise était une personne hors du commun… pour le meilleur comme pour le pire. Surtout lorsqu’on ne savait jamais lequel était à venir…