Cours
Contrariété
Coma dans son lit à 22h

Les trois C, c’est le surnom qu’elle avait donné à son quotidien. Sa petite routine, comme elle l’appelait devant le miroir, comme-ci nommer la chose la rendrait plus supportable. Contrariété, c’était presque trop doux, un peu comme une tentative d’alléger les évènements, un peu comme une volonté de rendre la réalité plus édulcorée, mettre des couleurs plus vives sur ce qui était sombre. Un peu comme-ci, quelque part, Peach refusait d’appeler un chien un chien.

Elle s’était trouvée des excuses, vous savez, un peu à l’image des excuses qu’on trouvait à écrire dans les lettres pour Papa et Maman.  Elle s’était persuadée, à la longue, que c’était là le cours normal des choses. Arriver à douze ans dans une cage où tous se côtoyait depuis l’enfance, ça expliquait sans doute le décalage, ça expliquait sans doute les regards, les bousculades, les mots qu’on ne veut pas prononcer de peur de se les rappeler. Oui, c’est sans doute comme cela que fonctionnait la société. Peach n’est pas allée remettre en cause le traitement accordé par sa nouvelle « famille » (c’était le mot de Grand-mère Dorothy), par sa nouvelle « maison » (c’était le mot de Maman). Comment remettre en cause quoi que ce soit quand on n’y connaissait rien ? Elle n’avait qu’une maigre expérience de la vie, son univers se résumait au plateau de tournage et aux étreintes possessives d’une mère tournée vers le pouvoir. Ce qui était bien ou mal, ce qui était normal ou pas étaient autant de choses dont Peach ne savait rien.

Pourtant, tu sais, ça gronde au fond d’elle.
Il y a cette voix qui murmure qu’elle n’a pas la connaissance nécessaire, ni la légitimité pour contester quoi que ce soit. Puis, il y a ce cri qui résonne et lui intime de renverser la table du jeu vu qu’elle ne s’amuse pas. Ce n’était pas la première fois que Peach D. Marshall était en proie à deux envies paradoxales. En fait, il lui semblait que ça arrivait bien trop souvent pour que ce ne soit que du hasard. Se persuader de quelque chose et avoir envie de contraire, aujourd’hui encore la nouvelle élève de la très respectable Académie Alice en faisait les frais. Tournée devant cette glace de cette chambre désormais sienne, ce petit sourire qu’on plaque sur le visage, cet uniforme bien propret pour une jeune-fille bien proprette.

Cours
Contrariété
Coma

Ce ne sera rien de plus que la centième fois.

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Ce soir, ça bourdonne encore plus que les autres soirs. Peach fait la liste de toutes ses « contrariétés » de la journée : Un coup d’épaule, six ricanements en cours de sport, un isolement pendant les échauffements, une disparition de pair de chaussure, un crachat dans son verre à midi, dix-huit regards, deux ricanements en cours de mathématique, une boulette de papier en RTA, deux bousculades pendant l’interclasse, ses chaussures retrouvée dans les toilettes.

…. Ah.
C’est normal, se convainc-t-elle
Rien que des contrariétés, se répète-t-elle
Mais ça va passer.
Mais
tu
vois
j’ai
envie
de
leur
tordre
le
cou
parfois

Sans doute que croiser ta route alors qu’on tremble face au désir d’enfoncer son poing quelque part allait ajouter une nouvelle contrariété à cette journée.

Disclamer : Merci à « c’est mon choix » pour cette ref d’exception.

Il y a tes mots qui volent dans l’air et qui percute sa tronche avec la délicatesse d’un poids lourd en pleine manœuvre. Elle se prend ton humour semi-remorque avec le sourire crispé des petites vieilles sur le point d’étrangler les infirmières. Il faut qu’elle respire, qu’elle prenne sa plume imaginaire, qu’elle grave juste ta présence dans sa liste des contrariétés pour l’effacer, juste gribouiller ton nom, juste gribouiller tes mots et elle ira oublier. Sauf que, voilà, y a plus de papier. Petite crotte de douze pige qui se rend compte qu’elle a atteint le point de non-retour. Petite crotte de douze pige qui se retrouve tellement frustrée qu’elle comprend que c’est bien une blague de merde qui va la faire chialer. Elle aurait pu piquer sa crise de larme pour des centaines de raisons plus légitime que ça, mais faut pas lui en vouloir, c’est une accumulation, toi, Amour, t’es cette petite goutte qui fait exploser le vase (parce que déborder ce n’est pas assez percutant quand on vient d’un gros studio).  

« …. »

Un sourire crispé qui se trouble, la mâchoire qui tremble, un premier reniflement, puis un second. Retrousse son nez, l’expression de quelqu’un qui retient une grosse commission depuis beaucoup trop longtemps. Une larme. Deux larmes. Puis ça explose.

« TU CROIS QUE JE L’AURAIT PAS DEJA FAIT SI JE POUVAIS CRETIN ?! TU TE CROIS MARRANT AVEC TES BLAGUES MAGIC GWEN ECO PLUS ? LALALA LANCE UN SORT POUR VOIR GWEN, LALALA DONNE UN COUP DE BAGUETTE GWEN. BAH SPOILER ALERT J’SUIS PAS UNE PUTAIN DE SORCIERE EN TUTU, JE SUIS JUSTE UNE PUTAIN DE FILLE QU’EN A MARRE DE S’EN PRENDRE PLEIN LA TRONCHE PARCE QUE VOUS TOUS DES RAGEUX ET UNE GROSSE BANDE D’ASSISTE ICI ! J’SUIS PAS GWEN PUTAIN DE BORDEL DE MERDE J’SUIS JUSTE PEACH DOROTHY MARSHALL, J’SUIS PAS UNE PRINCESSE, J’SUIS PLUS UNE STAR, JE SUIS JUSTE UNE MEUF QUI AIMERAIT QU’ON LUI FOUTTE LA PAIX ! TROUVEZ-VOUS UNE AUTRE TETE DE TURC MERDE ! JE SUIS PAS VENUE ICI POUR SOUFFRIR OK ?! »

Crache tout ce qu’elle peu entre le mélange de morve et de larme. Ouais, vous pensiez qu’une star ça pleurait comme dans les films ? Et bien non. Comme tout le monde, Peach elle est laide quand elle chiale. Comme tout le monde, ça dégouline de partout, ce n’est pas forcément le top niveau de l’hygiène et du glamour et comme tout le monde, quand elle craque, elle ne peut s’empêcher de se sentir à la fois coupable et soulagée. Putain de soulagée.