La tradition doit être scrupuleusement respectée. Aucun écart ne doit être observé pendant ce jour sacré. Tous les infâmes contrevenants encourent son courroux – et personne n’aime que Narcisse-Ange soit énervé.

Ça ne sera pas un événement explosif, agressif et haineux, pourtant. Juste une colère froide et malade de laquelle transparaîtra toute la tragédie de la situation.

Et pour ne moment, il n’est pas bon d’agacer Narcisse. Les répercussions sont fâcheuses.

Entre Acacia et lui, rien ne va plus. Bien sûr, il est l’unique responsable de tous ses malheurs, ses infidélités et son incapacité à comprendre ses torts ont été bien trop loin et ont blessé ardemment le brun et le temps de la remise en question est arrivé mais… il y songera après les fêtes. Quand tout dans sa tête sera apaisé et qu’il aura décuvé.

Ce Noël, il ne le passera pas avec le Marocain aimé. Non. Quelqu’un d’autre a retenu son attention et sera son cavalier pour ce soir.

L’adorable Pepo.

Pourquoi faut-il que ce garçon soit aussi mignon ? Pourquoi le pousse-t-il sans même sans rendre compte dans ses retranchements ? Comment fait-il pour à ce point adoucir ses pensées brutales d’infâme individu égoïste ? Narcisse n’a jamais vraiment voulu le bonheur d’autrui, ne s’en est jamais pleinement soucié. Pourquoi commencer aujourd’hui ? Et pourquoi avec lui, plutôt qu’avec un garçon qui devrait être plus important ?

Il y a des mystères que son cerveau est loin d’avoir résolus totalement.

Qu’importe les sombres pensées, Pepo sera auprès de lui ce soir et personne d’autre – enfin, pense-t-il. Il l’emmènera danser jusqu’au bout de la nuit, lui fera un petit bisou sous le gui – il ne sait pas encore où, par contre. Indiscutable fripon qui n’apprend jamais de ses erreurs, il est prêt à s’enterrer bien davantage encore.

La chevelure pâle soigneusement peignée, le costume bien ajusté et le nœud papillon évidemment attaché et rose… il est prêt à rejoindre son gentil cavalier devant la salle où ils souperont tous les deux avant de se laisser aller à d’autres traditions du même style. Narcisse apprécie initier le jeune homme à tout un tas de choses qu’il juge intéressantes. La nourriture et la danse en font partie, parties intégrantes de son existence.

Comme souvent, il est le premier sur place, montre en main. Il ne tiendra pas trop compte du timing ce soir, l’important étant de passer une superbe soirée en bonne compagnie.

Et son sourire ne fait que s’agrandir quand au loin il distingue la silhouette du jeune homme qui s’approche.

Et il se rapproche, encore et encore. Et Narcisse est de plus en plus content. Son sourire s’agrandit – si seulement c’est possible – alors qu’une fusée débarque devant lui. Il est venu. Quel soulagement.

Oh, il ne croyait pas qu’il lui poserait un vilain lapin, bien au contraire. Mais il aurait pu se perdre. Oublier l’heure du rendez-vous, le lieu. C’était déjà arrivé tant de fois avec d’autres personnes ! Mais aujourd’hui, le Suisse n’aura pas besoin de courir les couloirs pour retrouver son partenaire paumé entre deux salles de classe.

Ses yeux accrochent à ses cheveux d’une si belle couleur – et naturelle, en plus ! Il aime les cheveux de Pepo. Plus encore, il aime glisser les doigts dedans, sentir leur douceur et offrir au garçon un peu de tendresse, celle qui chez lui n’est pas fausse mais rare comme un joyau maudit. Pourquoi n’a-t-il pas peur ?

– Coucou ! Je suis content que tu sois arrivé jusqu’à moi en un seul morceau.

Il n’y tient plus : sa main rejoint la tignasse du garçon et compulsivement, remet quelques mèches en place. Est-ce bien nécessaire ? Narcisse n’en est pas sûr mais ça lui fait trop plaisir. Et puis ça l’occupe. Il pense à autre chose qu’à la pointe de tristesse qui glisse au fond de sa poitrine.

Pepo est adorable, Pepo est gentil, mais ce n’est pas lui qui aurait dû l’accompagner ce soir.

Son sourire n’a pas changé, heureusement.

Personne ne sera au courant de son trouble. Narcisse n’est pas triste.

Encore moins lorsque son jeune compagnon lui rappelle la couleur de son nœud papillon. Évidemment qu’il est rose ! Le contraire impliquerait une grave maladie. Et l’ex blond ne veut surtout pas être malade. Pas ce soir.

La nourriture semble bonne. Il est temps de s’empiffrer.

– Je suis heureux si ça te fait plais…

Il s’arrête net en entendant la suite du discours de son ami. Une seconde passe dans un silence figé ? Une deuxième. Narcisse éclate de rire.

Et c’est plus fort que lui.

Ce n’est pas moqueur, il est au contraire attendri.

– Mais non ! Non, non, Pepo ! Aujourd’hui, c’est Noël ! Tu pourras me dire « joyeux Noël » mais juste à minuit, d’accord ? Si tu tiens jusque là !

Adorable, juste totalement adorable. Il retient l’envie de lui sauter au cou. À la place, il lui attrape gentiment la main. Ces gants sont vraiment gênants.

Mais l’hypocrite Narcisse les porte pour faire bonne figure.

Et il l’entraîne vers le repas duquel il ne reviendra pas.

Sa réflexion le laisse sans voix. Narcisse a de la répartie, Narcisse parle beaucoup, parle trop et a toujours le dernier mot. Mais face à Pepo, les choses changent, et Narcisse se retrouve entraîné dans l’océan de l’inattendu le plus grotesque. Analyser le comportement des gens et en tirer des conclusions est une chose, prévoir ce qu’ils vont dire ou faire est bien plus compliqué mais pas impossible. Mais le roux est différent, le roux lui donne des sensations bizarres dans tout le corps et s’il ne l’appréciait pas, il s’arracherait les cheveux, laisserait tomber – la touffe rose avec – et l’éviterait avec soin.

– C’est une expression, Pepo. Personne ne désire ta mort, encore moins si elle est aussi atroce ! « En un seul morceau » signifie, si tu préfères « sans encombre », « sans problème » !

Il espère sincèrement que le jeune homme et ses quelques petits soucis de vocabulaire aura compris le message, l’explication. C’est Noël, il a moyennement envie de passer des heures sur un problème de communication, devant un tableau blanc, un marqueur à la main, à expliquer, encore et encore la définition précédemment citée.

Soit, ça ne serait pas la seule question que Pepo lui posera ce soir. Narcisse doit être calme et patient. Ne pas bouillir intérieurement derrière son sourire de façade comme il le fait habituellement. Ce n’est pas la faute de Pepo s’il ne comprend pas le monde qui l’entoure, ce n’est la faute de personne et s’énerver ne l’aidera pas.

– Pas exactement… mais ce que tu as dit était drôle, c’est tout ! Moi, ça m’a amusé.

Tant d’innocence dans un seul corps… deux êtres face à face et tellement opposés. Narcisse espère de tout son cœur que jamais le jeune homme apprendra – et comprendra – qui il a vraiment en face de lui – un démon des sentiments, un égoïste, peut-être même un monstre.

Le temps est venu de se ravitailler. Narcisse aimerait quelque chose de goûteux, quelque chose qui remplira bien l’estomac pour la soirée. Pepo lui propose une orange. Bon… côté malbouffe – oh ! – il a vu mieux, mais pour ne pas vexer son ami – est-ce seulement possible ? – il attrape le fruit et mord dedans. Il attend d’avoir avalé sa portion pour lui répondre.

– Certes, mais nous ne sommes qu’au début du repas, alors il faudrait trouver quelque chose de plus consistant pour ne pas avoir faim ! C’est l’occasion parfaite pour bien manger, alors ne la ratons pas, d’accord ?

Les repas de Noël, forcément, ça n’est pas tous les jours. Alors Narcisse, soucieux de ne manquer cet événement, entraîne doucement Pepo où les petits toasts divers les attendent. Et se sert un verre de jus de fruits, pour commencer.

– N’hésite pas à bien manger. Les oranges viendront après, au dessert !