Des impressions de déjà-vu qui trottent dans la tête, qui tourbillonnent dans son encéphale malmené. Pourtant, tout est si silencieux autour de lui. Il n’y a pas un bruit. Des rires, pourtant, des cris, mais il ne perçoit rien. Les idées pas claires, Yi rejoint le souper de Noël pour sa dix-neuvième année à l’Académie. Il n’a jamais eu l’occasion pendant l’année de goûter à de somptueux repas – maudits soient les majors et autres trois étoiles – et les différences de classe sont un peu gommées en ce jour. Il n’aime pas l’agitation et les questions indiscrètes, cette fête ne faisant même pas partie de sa culture… mais la nourriture, c’est sacré et il ne cracherait dessus pour rien au monde.

Alors il va falloir faire avec.

Cette année encore, il n’a pas trouvé le courage d’inviter qui que ce soit. A-t-il seulement quelqu’un en tête ? Il ne saurait le dire. Depuis sa rupture il y a deux ans avec Aslander, le garçon qu’il ait le plus aimé dans sa vie, il reste tout simplement célibataire, rejoignant seulement quelques draps de temps à autre, offrant un peu de plaisir à ceux qui semblaient en avoir besoin. Un peu de tendresse, un peu de douceur et d’affection. Alors… tous ces bals, ces fêtes qui célébraient l’amour, il n’en avait que faire.

Nébuleux moments que ceux-là ! Vite retourner à ses occupations dans sa chambre, à l’apprentissage de la langue qui aurait dû être la seule qu’il aurait pu parler. Aujourd’hui, tout est trop blanc et rouge. Tout respire le bonheur et le partage. Il n’est pas sûr de vouloir partager. Pas ce soir.

Ou alors.. ?

Pourquoi quelques heures plus tôt encore, parcourait-il les échoppes du marché de Noël à la recherche de quelques cadeaux pour les gens tant aimés, tel un Père Noël tiré par son lourd traîneau ? Pourquoi choisissait-il avec soin et détail chaque présent ? Ce n’était pas grand-chose, mais cela faisait toujours plaisir. Car Yi pensait à ses amis. Et il espérait qu’eux aussi, parfois.

Cela faisait d’ailleurs un petit moment qu’il n’avait pas recroisé Klaus. Celui qu’il pourrait ériger au rang de « meilleur ami » (ou presque) ne lui semblait pas dans son assiette récemment. Et l’impression de déjà-vu qui ne le quittait pas…

Il ne pensait pas que ça serait à ce point.

Il avait bien mangé. Le temps était venu de danser. En avait-il envie ? Aucunement. Et les couples semblaient déjà formés. Mais où diable était passé le grand tatoué ? Yi reposa doucement sa tasse de café écrémé après s’être essuyé les lippes pleines de mousse. Dans sa chambre ? Pourrait-il seulement aller le voir ? Lui offrir le petit présent qu’il avait prévu pour lui, pour célébrer leur relation si simple mais si complexe à la fois – il aimait les paradoxes inextricables.

L’envie le titille d’aller se rouler simplement dans son lit, sous la couette et d’hiberner comme une petite marmotte aux airs de dragon. Il n’en fait rien. Son regard acéré parcourt l’étendue de personnes amassées là, prêtes à s’amuser cette année encore. Il n’a plus envie de s’amuser.

Surtout lorsqu’il voit enfin le large dos de Klaus s’éloigner au loin. Il se met en marche, court dans sa direction. Il ne veut pas crier. Il ne veut pas passer pour un désespéré qui poursuit son soupirant. Il désire juste s’assurer de son état. Comment vas-tu ?

À portée, ses doigts glissent dans la main du jeune homme, et il arrête sa course, les joues rougies par l’effort de serpenter dans la foule. Sa tête tombe mollement contre l’épaule de son aîné, et il souffle.

– Pars pas...

Parfois, Yi se demande si tout tourne bien rond dans sa tête. S’il n’y a pas quelques neurones qui auraient lâché en route. Que de pensées abracadabrantesques qui glissaient toujours telles la pluie dans son esprit. Que de situations étranges dans lesquelles il tombait immanquablement. Des remises en question, toujours plus. Sur lui, sur son entourage. Sur ce qu’il ressent pour les autres. Mais est-il seulement encore capable, après tout cela, de faire battre son cœur normalement et d’apporter ce qu’il voudrait offrir aux autres ?

Est-il seulement né pour cela ? Offrir ?

Il ne demande jamais rien en retour, qu’un peu de considération. Est-ce normal ? Ne devrait-il pas corser ses exigences pour éviter d’être triste et déçu ? L’humain est-il seulement important pour lui ? Peut-il s’en défaire pour de bon ?

Petit ermite qui voudrait être insensible, c’est ce à quoi il pense lorsque sa tête s’échoue contre l’homme qu’il a rejoint. Quelques secondes de repos, reprendre ses esprits et sourire, toujours sourire. Klaus le fait sourire et le rend heureux, n’est-ce pas ? Est-ce possible, ce soir encore, de lui rendre la pareille ?

Ses mains ne lâchent pas celles de son vis-à-vis et il les presse tendrement dans un réconfort éphémère. Désormais face à lui, il peut lire les mots qu’il dessine sur ses lèvres. En avait-il seulement besoin ? Il savait précisément ce qu’il allait lui dire. Mais lui, sa réponse n’est pas toute prête, elle réclame un peu de considération et de temps. Temps pendant lequel le jeune homme passe la pulpe de ses doigts sur la joue de son vis-à-vis.

– Nous ne sommes pas obligés de rester ici si on ne s’amuse pas et si on n’est pas heureux. Pourtant… ce n’est pas pour autant que l’on doit rejoindre nos lits et y bouder toute la soirée !

Il rit tout doucement. C’était ce qu’il était sur le point de faire quelques minutes auparavant. Sa main entraîne Klaus bien loin de l’endroit où ils étaient plantés, sautillant dans les couloirs dans ce costume qui ne lui va pas. Bientôt, plus de bruit, plus de bonheur facile. Plus de frustration et de tristesse. Juste tous les deux.

– Nous pouvons simplement rester tous les deux dehors à danser dans la neige, à jouer à chat, à courir, à glisser, à tomber. Toi et moi. Personne d’autre pour voir nos pitreries.

Il s’arrête, amène la main qu’il tient jusqu’à ses lèvres et la baise tendrement.

– Laisse-moi essayer de te rendre le plus heureux des hommes ce soir où nous sommes tristes.

Des paroles qui réconfortent et qui font du bien, des paroles qui le rendent, lui aussi, un peu plus heureux. Son cœur se réchauffe. Il n’entend pas Klaus mais il lit ses paroles, il les boit et les aime. Il rougit sous son regard, baisse les yeux comme s’il était trop pudique. Sa douceur semble contagieuse et il se plonge tout entier dans cette relation qui lui est chère.

– Je suis heureux de faire un peu partie de ton bonheur.

Douce rédemption pour racheter les péchés passés. Les fautes commises sous la rage trop présente, sous la douleur qui l’empêchait de réfléchir. Maintenant, il se donne. Offre tout ce qu’il a, même son âme craquelée. Sourit sans trop y penser et aime si fort ceux qui ont brisé les barrières et gagné son estime, sa confiance.

– J’aimerais beaucoup aller dans la neige. Cinq minutes. Et puis, on fera ce que tu voudras.

Le bonheur de Klaus qui passe avant le sien. Il a bien vu que son ami n’était pas bien, sans doute dans un bien pire que ses propres états d’âme moroses. Il n’est pas très imaginatif pour trouver des activités chouettes à faire à deux, mais il fera de son mieux. Klaus ne sourit pas encore assez à son goût ce soir.

Et alors qu’ils marchent, il se blottit contre son corps qui l’attire quand même un peu.

– Tu sais très bien que si tu tombes malade, je resterai à tes côtés. Tu aimes bien que je m’occupe de toi, n’est-ce pas ? Et puis, si on est pas bien tous les deux, on pourra rester ensemble !

Il lève son petit minois vers lui en riant. Un tout petit rire qui se fond dans la neige. Enfin, ils y sont. De toute manière, pour rejoindre les chambres, il faudrait passer par l’extérieur et grelotter un instant.

Ça fait tout froid dans son corps quand il se sépare de Klaus et trottine dans la poudreuse. Ce costume ne lui va pas et ne tient pas bien chaud. Il a hâte de s’en séparer, de retrouver des vêtements plus coutumiers et dans lesquels il peut faire de grands gestes. Là, il est cantonné à son élégance simple, aux mouvements calmes dont il est accoutumé. Mais ce soir, il n’en veut pas.

La veste quitte ses épaules – il fait encore plus froid – et il la jette dans les bras de son ami. Ainsi en chemise, il se sentirait presque mieux. Son regard est rieur lorsqu’il le pose sur Klaus alors qu’il s’enfuit dans l’obscurité dans un rire si rare. Il lui fait face, et puis plus rien. Cette neige est douce et confortable dans son dos. Il s’y laisse tomber même si elle glace les yeux et tend la main.

Suis-moi au bout du monde...

Ok, ok. Se concentrer, ne pas trembler, encore moins grelotter alors que le froid pénètre jusqu’à sa peau, passant sans problème la barrière fine du tissu qu’il garde sur le dos. Il ne doit pas montrer le moindre signe de faiblesse, faiblesse dont il est à l’origine par ses folies nocturnes, par ses imbécilités que Klaus encourage sans le vouloir par sa présence. Ça semble l’amuser de le voir ainsi étendu, comme fauché par un quelconque sommeil éternel. Cependant, il n’est pas mort. Son heure n’est pas encore venue aujourd’hui, blotti entre les glaçons qui lui transpercent l’épiderme.

Allez, prends ma main.

C’est tout ce qu’il veut. Le tirer à lui, l’enlacer si fort et lui répéter encore et encore qu’il est heureux avec lui et qu’il sera toujours là pour lui, dans ses joies et ses peines, à le seconder, à le protéger comme il peut. Mais ses espoirs sont déçus.

Et lorsqu’il comprend ce que compte faire son ami – alors que lui s’était justement dit qu’il était hors de question de l’asperger de poudreuse pour ne pas le rendre malade – ses yeux s’écarquillent sous la surprise. Mais il est trop tard, bien trop tard. Et le devant de sa chemise est maintenant tout froid, tout mouillé aussi. Il pousse un cri, un couinement alors que la sensation désagréable le pénètre de partout.

Est-ce que ça l’amuse ? Bien sûr. Mais il ne faut pas le montrer.

Tétanisé par le froid un instant sur le sol, il reprend peu à peu en main le fonctionnement de ses membres et se redresse. Son sourire est là mais son expression dangereuse. Il n’est pas énervé mais réclame vengeance. Klaus ne va pas s’en tirer impunément. Il va le tremper si fort qu’on croira qu’il s’est jeté dans la rivière.

– Prépare-toi à souffrir…

Et il triche Yi, il triche comme un gredin. Craignant de ne pas arriver à le pousser sur le sol avec sa force sûrement inférieure, ses traits de dragon prennent le dessus. Courte transformation, juste le temps de balancer sa queue dans ses jambes pour le faire chuter sur les fesses. Satisfait de son petit effet, il renvoie un deuxième coup qui soulève la neige et l’abat sur le jeune homme. Ce n’est pas énorme, mais suffisant pour créer sur son corps une fine pellicule glaciale. Sans attendre, il reprend forme humaine et se précipite sur lui. Hop, en un instant, il est assis sur son ventre et mordille avec perfidie une mèche de ses longs cheveux bleus, heureux de son injuste geste.

– J’espère que tu apprécies mon amitié.

Amitié qui se transforme en sympathique bastonnade. Bientôt en plus. Et il réfléchit, sur son piédestal humain.

– Et si je glissais un peu de neige sous tes vêtements, histoire de te faire frissonner d’effroi ?

Il se penche sur lui et souffle à son oreille quelques mots de plus. Son sourire ne le quitte plus.

– Qu’en penses-tu ?

Sensuel, doucereux, alors que ses doigts se baladent sur la poitrine de son ami bien cruel.

Klaus pourrait se venger de ses attaques pas très fair-play. Il n’attendra pas longtemps pour – encore – lui répondre cela dit. Par de la douce violence. Et non, ça n’est pas contradictoire entre ses lèvres. C’est juste normal. Il va jouer avec Klaus dans la neige – ce n’était pas attendu – jusqu’à le rendre fou. Car lui, le corps si proche du sien, il sent déjà sa tête tourner dangereusement. Ils ne sont pas sages, bien au contraire. Yi n’a jamais affirmé être un innocent jeune homme même si ses traits et son attitude en « temps normal » disent le contraire. Avec certains, il devient la pire des vipères, celle qui se glisse sous les vêtements et titille certains endroits plus chatouilleux que d’autres… son ami est mal tombé : il sera, ce soir, sa victime préférée.

Parce qu’il le touche et le fait terriblement frissonner de sa main bien placée dans son cou, il a tout le loisir de lire ce que pense Klaus de son comportement présent. Oh, mais bien sûr ! Il est a conscience. La pente qu’il emprunte se fait glissante et il est peut-être même déjà trop tard pour retrouver son état d’il y a cinq minutes. Dans quoi s’embarquent-ils tous les deux, alors que la soirée aurait pu être tellement plus morose ?

Si ça permet au jeune homme d’oublier sa tristesse, ça lui va.

– Je n’ai pas peur !

Qu’il clame plutôt fièrement sans pour autant élever la voix dans les trop aigus. Son regard ne quitte pas celui du brun et son sourire plane éternellement sur ses lèvres. Bien trop tard… et son courroux n’a pas fini d’être apaisé. Sa vengeance n’est pas achevée.

– Si ce n’est qu’un flocon, ça va.

Il lui fait un clin d’œil qui veut tout dire. Ils sont adultes, mais ça ne signifie pas qu’ils ne sont plus dans leur corps et leur cœur des gamins. Et il sait que certaines personnes ne dessinent pas, sur les autres ou sur les murs, que d’innocentes figures. S’il pouvait éviter autant que possible d’être enlaidi…

Place à l’action. Hors de question de battre en retraite face à Klaus. Sa neige, il l’aura sous la chemise. Doucement, la main de Yi quitte sa poitrine, ramasse une bonne pelletée de tapis tout blanc et sans oublier de sourire, passe l’objet de torture à même la peau. Il n’y va pas de main morte. Il étale généreusement sa sentence partout où il peut. La pitié ne fait plus partie de son vocabulaire.

– Je suis sûr que tu adores…

Sa peau qui était si chaude, avant ! Si agréable sous les doigts… le Chinois prenait un malin plaisir à tout gâcher. Alors qu’il aurait pu simplement profiter de caresses qui auraient duré des heures. Qu’importe. Ce n’est peut-être pas terminé.

Et dangereusement, il se rapproche. Sa main vengeresse a fini par quitter le torse de son ami et la pulpe des doigts touche désormais la peau de sa joue. Il y dépose un baiser. Puis un deuxième, sur la tempe opposée.

Oh, des cris, et certainement des jurons. Yi ne les entend heureusement pas, mais il n’en a pas besoin : c’est comme s’il savait exactement ce qu’avait hurlé Klaus. Et lui, ça le fait bêtement rigoler, un petit rire en cristaux de givre qui emplit l’espace dans lequel ils sont blottis. Klaus est amusant, il l’aime vraiment beaucoup. Le taquiner donne des effets cocasses, et il n’hésitera pas à l’avenir à l’embêter un peu, mais lorsqu’il ne sera pas nécessairement triste.

Il veut voir leur relation évoluer. Pendant des années, ils ont été amis, mais des amis calmes et moroses. Parfois, mû par un brin de folie, il s’est remué un peu trop mais… et si ça devenait presque constant ? Et si l’important était désormais d’avoir du fun, un maximum, de tester des folies tant qu’il en ont encore le temps ?

Ça lui plaît de taquiner le plus vieux.

Bien sûr, la présente situation n’est plus si innocente. Leur position, leurs gestes relèvent-ils bien de l’amitié pure ? Il n’en sait plus rien, mais ça ne le dégoûte pas, ça ne le fait pas fuir. Il s’est oublié ce soir, dans le froid glacial, si proche du corps de son ami, à balader ses doigts neigeux là où il ne devrait pas.

Heureusement qu’il n’y a personne pour les surprendre ; Yi tient à sa réputation de fausse vierge effarouchée.

Klaus le surprend agréablement ce soir. Ses gestes, ses efforts faits pour être sûr qu’il comprenne le touche. Il le remercie dans le langage qui est désormais le sien et ses doigts viennent chercher les siens, l’amènent à ses lèvres pour y déposer un tout doux baiser. Il a l’air si gêné le grand brun ! C’est attendrissant, amusant.

– Tu ne dois pas me remercier.

Le ton se fait plus doux. La folie a disparu de ses prunelles et lorsque brusquement, leurs corps se rapprochent si fort, elles disparaissent sous ses paupières. Et il pense, il pense que c’est agréable d’être ainsi enlacé par quelqu’un qu’on aime, qu’il aimerait que ça ne se termine jamais, même s’il fait froid tout autour d’eux. Mais comment exprimer à Klaus la puissance de ses sentiments, la puissance de cette amitié qui dure depuis des années ?

Par quelques mots, tout simples.

– Je t’aime plus fort que n’importe qui d’autre. Je ferai n’importe quoi pour ton bonheur.

Car c’est bien vrai. Yi n’a plus grand monde à aimer. Plus de parents, des amis rares, pour qui il peine à se dévoiler, des sentiments cachés et non réciproques, la peur de tomber amoureux à nouveau. Comme si c’était possible.

Énième baiser sur la joue de Klaus, et il peut enfin se relever. Il tend la main à son ami, peine à le redresser. Il es temps de partir, temps de prendre une douche, de se changer pour ne pas choper la mort. Ça serait dommage.

– Le dernier arrivé est une crotte de bique et recevra un gage !

Et il démarre comme une furie en riant, bousculant Klaus d’un coup de hanche bien placé. Il fuit dans la neige, vers les dortoirs qui les sauveront de le neige et du gel. Lui, il veut absolument gagner  son petit défi.

C’est les joues rouges et chaudes, l’esprit complètement dans les nimbes du ciel que Yi arrive à l’étage où ils pourront enfin se réchauffer. Bien sûr, il arrive premier, et est déjà très fier de ce résultat. Tricher, lui ? On a dû rêver. Tant pis pour le perdant, il met les conditions, et il les applique à la lettre. Son ami pourra prendre sa revanche une prochaine fois.

Et quand le pauvre homme paraît enfin, il est tout sourire, et ses prunelles brillent de malice. Bêtement heureux, il danse autour de Klaus en lui attrapant la main. Yi retourne à la crèche l’espace de quelques instants complices avec le garçon qu’il préfère dans cette école et il rigole de sa tricherie. Oh, il ne semble pas content d’avoir perdu. Tant pis ! Les résultats n’ont pas été tronqués. Il lui tire la langue.

– Mauvais perdant !

Il est temps de s’isoler pour mieux se disputer, se réchauffer en se débarrassant de ces vêtements désagréables qui collent à la peau. Klaus désire venir dans sa chambre, il n’y voit aucun inconvénient – et même s’il voulait protester, son ami était déjà à l’intérieur. Il lève faussement les yeux au ciel et entre à sa suite. Son esprit, à partir de maintenant, carbure à toute vitesse pour punir le brun comme il faut. Un gage, c’est très bien. Klaus n’en veut pas de trop compliqué, mais l’Asiatique s’en fiche. Il a quand même le droit de choisir son cadeau, non ?

Il referme la porte derrière eux, fonce à son armoire. Il en sort un sweat-shirt bleu ciel – le plus large qu’il ait pu dénicher dans ses affaires – qu’il jette au plus âgé, et sort, pour lui, une sorte de kimono coloré en satin qu’il porte généralement lorsqu’il offre un moment de détente à ceux qui en ont besoin. Une tenue courte, sensuelle, qu’il préférera à des vêtements trempés et désagréables pour la peau.

– J’arrive.

Cinq minutes chrono. Il fuit vers les douches, se débarrasse de ce qui le gêne et rapidement, laisse glisser de l’eau chaude sur sa peau. Il ne s’attarde pas, pense à Klaus tout petit et tout perdu dans sa chambre, aux cadeaux qu’il veut lui offrir maintenant qu’ils sont tous les deux, et reparaît avec le sourire, les cheveux humides mais attachés, les jambes à moitié découverte par le tissu qui n’arrive qu’en haut des genoux.

– Je dois t’offrir tes cadeaux, et après on réfléchira au tien, d’accord ?

Où a-t-il mis le présent précédemment acheté pour son ami ? Pas ici. Pas ici non plus. Efficace mais un peu désordonné, Yi cherche dans les quelques petits paquets emballés pour ceux qui comptent. En tire un hors de la pile. Le plus beau, le plus recherché, le plus cher.

– Tu as intérêt à aimer ! Voici le premier.

Souriant, il tend le cadeau au plus âgé, le laisse découvrir ce qu’il a glissé à l’intérieur. Ce n’est pas grand-chose car Yi n’est pas riche, malheureusement. C’est une petite boîte laquée en marbre, inspiration asiatique de couleur noire, garnie d’oiseaux et de fleurs dorés. Yi ignore si Klaus pourra en faire un grand usage, mais les boîtes, c’est toujours utile, non ?

Et il lève un regard perdu vers lui, inquiet qu’il n’apprécie pas son geste.

Évidemment, Klaus râle. Mais ça n’est pas de sa faute s’il est trop généreux ! S’il l’apprécie sincèrement – et peut-être un peu trop, pour être honnête – et qu’il veut lui faire plaisir – encore plus en cette morne saison. Il ne répond rien, se contentant de sourire. Ses yeux rient et il se surprend à le trouver mignon. Que de jolies protestations ! Il donnerait cher pour pouvoir les entendre de vive voix mais… ça ne sera pas pour cette vie. Se recroiseront-ils dans le futur, dans des centaines d’années, peut-être ? Ça serait amusant. Il a besoin de Klaus, vraiment.

– Je suis content que ça te plaise !

Et le sourire qui s’agrandit encore lorsque le verdict tombe. La boule qui se formait doucement dans son ventre se délie et disparaît. Ses épaules s’allègent et il se sent mieux. Un poids le quitte et il se réjouit. Il ne sait pas quel usage pourra bien faire Klaus de cette petite boîte, mais il s’en fiche : ça décore, dans le pire des cas. Et… il semble sincère dans ses paroles. Ça fait du bien.

– Tu n’as rien à dire, en effet. Mais je te rassure : le second cadeau ne m’a rien coûté.

Ça pourrait être de la nourriture préparée avec soin comme quasiment chaque année, mais non. Les gâteaux, ça sera pour dans un an. En fait, cette petite idée a germé dans sa tête il y a quelques instants seulement, lorsqu’ils étaient encore dans la neige. Et ça le travaille. Heureusement pas assez pour qu’il se rende compte de l’absurdité de la situation, de l’ambiguïté de ses sentiments. Comment est-il possible d’être autant attiré par un ami, un « simple » ami ?

Il s’interrogera plus tard. Il regrettera, sûrement. Il versera quelques larmes de honte, se trouvant haïssable et dégoûtant mais pour l’heure… Klaus était parfaitement situé pour lui offrir son second présent.

Doucement, il retire la boîte des mains du plus âgé et la pose sur le bureau pas loin. Ses intestins commencent à se tordre d’appréhension, mais la folie guette son esprit. Peut-être a-t-il bu un peu. Peut-être veut-il juste faire plaisir. Peut-être répond-il à un de ses désirs cachés et inavouables. Il fait face à Klaus, souriant.

La seconde d’après, il est à califourchon sur ses cuisses et glisse les mains dans ses cheveux. Ses joues ont rougi, enfin. Une envie étrange le pousse dans ses bras, à braver l’interdit, à lui montrer ce dont il est capable quand il se dévoue vraiment pour quelqu’un. Et son cœur qui bat si fort dans sa poitrine, comme s’il voulait le laisser là, enivré de bonheur.

Il a trop résisté ce soir. Il n’a plus la patience. Ses mains quittent la chevelure sombre de son ami, prennent en coupe son si beau visage et enfin, oui, enfin, ses lèvres se posent sur les siennes. Ce n’est pas brutal, à peine fiévreux. Il reste sage, parce qu’il ne peut ainsi s’imposer à quelqu’un. Est-ce que Klaus est prêt à partir dans ses folies ?

– Tu me rends dingue… souffle-t-il après ce baiser, le regard perdu, presque larmoyant.

La clef du bonheur se situe entre les mains de Klaus. C’est lui qui, s’il en a envie, va déclencher, par une simple décision, si Yi a le droit d’être heureux. Ce soir, mais pas que. Il ne prend pas encore la mesure de la stupidité qu’il vient de produire, des répercussions qu’il y aura. C’est logique, non ? Il ne pourra jamais oublier ce moment, cette étreinte – peut-être forcée – qui pourrait faire basculer leur relation dans le mauvais, le très mauvais. Voler en mille morceaux. Sera-t-il alors infiniment malheureux ? Bien sûr que oui. Klaus est devenu, sans même qu’il s’en rende vraiment compte, d’une importance presque vitale dans sa vie. Il a été à ses côtés tous le temps. Et même lorsqu’il a tenté de s’échapper, il ne l’a pas laissé partir.

Il ne comprend pas comment une telle chose est possible. Comment le jeune homme a pu le supporter et l’apprécier tout ce temps.

Un verdict d’un genre nouveau doit désormais tomber. Si, oui ou non, il le dégoûte. Si, oui ou non, il reste avec lui ce soir. ((Si, oui ou non, il lui brise le cœur). Et cet organe qui le maintient bien vivant qui pompe de toutes ses forces, qui l’étouffe et lui fait peur. Les yeux perdus, le ventre tordu. Et l’envie, soudain, de pleurer. Parce que Yi est trop con et qu’il aurait mieux fait de donner un gage stupide et d’en rester là. De mater un film sous la couette, sans ambiguïté. Non mais il est dingue celui-là, désirer son meilleur ami.

Mais Klaus est clément, peut-être parce que c’est Noël. Klaus a poussé le levier dans le bon sens et le bonheur commence à monter. Bientôt, il le fera exploser. L’étreinte lui est rendue, le baiser le laisse pantelant. Et son corps devient bouillant. Leurs jambes sont déjà nues mais il sait qu’ils n’en resteront pas là. Et déjà, il a besoin de plus de contact.

– Je ne regrette pas.

Et ce sourire con qui bouffe son visage. Et ses mains qui font valser sans attendre le sweat-shirt bien inutile de Klaus. Il devait bien le lui prêter pour qu’il ne se doute de rien, mais il n’en aura plus besoin maintenant. Son kimono tombe sur le sol dans un bruissement de tissu. Ses lèvres ne lâchent plus celles de cet homme qui lui fait face, de cet homme qui le rend heureux. Il est temps d’oublier les problèmes, de s’oublier dans les bras de l’autre, de ne plus penser à quoique ce soit.

Il bascule sur le dos, invite celui qu’il désire à le rejoindre, à lui offrir tout ce dont, désormais et aujourd’hui, il a besoin. Il est prêt à s’abandonner, à lui faire confiance, pleinement et entièrement. À lui donner son corps, mais son âme aussi. Pendant toute la nuit.

C’est comme une première fois.

Qui se passerait parfaitement.

Redécouvrir des sensations oubliées, se livrer à de nouvelles, se donner entièrement et en pleine confiance.

Yi a connu des étreintes avec plusieurs garçons dans sa vie. Des garçons gentils, des garçons un peu moins. Il y a eu des hauts et des bas, parfois même des regrets. La promesse tacite de ne plus s’attacher, qu’ils ne feraient que s’amuser, que se consoler.

Comment peut-il seulement imaginer une telle relation avec Klaus ? Un tel détachement de toute affection, de tout lendemain ? Il aura tout le loisir d’y songer plus tard.

Vouloir faire plaisir à l’autre, vouloir lui plaire, lui donner tout ce qu’on a jusqu’à l’épuisement. Yi n’oserait avoir la prétention d’affirmer qu’il a offert à Klaus sa meilleure nuit, mais, pourtant, il investit toute son énergie pour s’approcher, pour toucher du bout des doigts la perfection d’un moment intime réussi. S’abandonnant à tous ses désirs, à toutes ses envies, ne le lâchant pas une seconde jusqu’à ne plus pouvoir de tout ce plaisir qui vrille son corps.

Et quand, enfin, après une éternité, ils sont tous les deux retombés dans la moiteur de leurs draps, épuisés mais comblés, il a serré son « ami » de toutes ses forces contre lui, comme si tout cela n’était qu’un songe, un fantasme enfoui au fond de lui, un fantasme honteux et inavouable. Comme si Klaus, là, maintenant, n’était une chimère. Il ne voulait pas se réveiller sans lui. Le rêve devenu cauchemar le tuerait sans doute.

Il ne pouvait accepter la possibilité qu’ils aient simplement divagué, lui et son esprit malade.

Qui convoitent un homme qu’ils ne devraient pas.

Il n’a pas trouvé le sommeil tout de suite, mais il n’était pas triste. Simplement blotti dans les bras de la personne qui hante ses pensées, il a souri, a caressé du bout des doigts cette peau nue et malmenée de baisers, l’a encore un peu embrassée dans le silence et le secret de ses sentiments. Il n’a réussi à trouver le repos que quand il fut certain qu’il ne le laisserait pas tout seul avec son chagrin.

Une fin de nuit sans songes perturbants.

Mais un réveil difficile. Réaliser ce qui s’était passé, ce qu’il avait fait. À quel point il est un abruti qui ne mérite rien de mieux que des claques.

Ce n’est pas le long moment d’extase dans les bras de Klaus qui l’inquiète – le fait paniquer –, ce sont ses répercussions qui pourraient l’enfoncer tout droit dans l’enfer le plus noir. Le dégoûter, une fois les effluves de l’alcool disparues. Le voir partir loin de lui et pour toujours, parce qu’il a failli en tant qu’ami.

C’est un poignard qui s’enfonce en plein dans son cœur. Une peur qui s’immisce dans chacun de ses pores et lui donne envie de vomir. Soudain, il se déteste. Et veut fuir. Loin de cet amant qui l’a comblé de la plus belle des façons. Lâche garçon pas prêt à assumer ses actes stupides, ses désirs qui auraient dû rester intimes.

Pourtant, il n’esquisse pas un geste. Tétanisé, il ne peut que raffermir sa prise sur le corps de Klaus et ses yeux se referment, incapables de voir ce qu’il a provoqué. Bientôt, ce sont des larmes sincères de la plus pure tristesse qui inondent son visage. Incapable de les tarir, il ne peut qu’assister, impuissant, à la déchéance de son esprit et du semblant de bonheur qu’il a pu, enfin, établir.

Tout vole en mille morceaux par sa propre stupidité, encore.

Ne me laisse pas...

Yi voudrait revenir en arrière. Yi voudrait disparaître. Yi voudrait

m o u r i r

De honte, de colère, de tristesse, de haine. Las d’une existence où il fait toujours les mêmes erreurs et n’apprend pas, las de toujours foutre sa vie en l’air et de voir, qu’autour de lui, il n’y a plus personne. À aimer, à chérir. De qui recevoir quelques sentiments réciproques.

Il est faible Yi, bêtement humain dans son besoin d’amour, de reconnaissance. Il a besoin d’exister pour ceux qui comptent, pour ceux qui le font sourire et lui offrent, jour après jour, la motivation de continuer malgré vent et marée. De ne pas perdre

son âme

son humanité.

Il se rend compte que le bonheur intense d’une nuit n’est qu’éphémère, que ce bonheur aurait pu être dispersé dans le futur, qu’il n’aurait jamais été complètement malheureux parce que Klaus aurait été là.

Car il n’aurait pas fauté.

Il a voulu être trop gourmand.

Tout cela n’est pas un cauchemar, il ne peut pas se rendormir en espérant que le mal passe, que les larmes cessent leur chute infernale le long de ses joues.

Pas le temps de fuir dans de lâches songes perturbés. Il est redressé brusquement et ses perles d’azur s’ouvrent sous le choc. Rencontrent, effrayées, le visage de Klaus. Les pleurs redoublent d’intensité alors qu’il peine à comprendre les paroles du jeune homme. Il est temps de s’expliquer. Il est temps de faire face aux responsabilités, de tout foutre en l’air, pour de bon.

De se confier. À quoi bon cacher la vérité ?

Yi sait que ses paroles ne seront pas aussi claires que d’habitude. Que la prononciation sera un peu aléatoire, que Klaus pourrait ne pas tout comprendre. Il faut prendre le risque.

– Tu n’as pas à t’excuser parce que… parce que je suis le seul coupable. C’est moi qui ai commencé, c’est moi qui ai mal agi et toi qui as été victime de… de ça. Je me sens sale, je n’aurais pas dû, je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête. Tu n’as pas voulu être méchant, tu n’as pas voulu me vexer car c’est bien ça, hein ? Tu aurais dû me repousser, et tant pis si j’étais triste… je suis désolé Klaus, tellement désolé ! Je suis sale, je suis dégoûtant, tu dois me prendre pour une pute maintenant.

Et maintenant bien assis, il se recroqueville. Des mots très durs envers lui-même, la confiance au plus bas. Le monde qui s’écroule tout autour et le blesse de ses bris de verre jusqu’à l’os. Et le pire reste à venir.

– Je suis horrible, Klaus. Une partie de moi arrive à ne pas regretter cette nuit parce que… parce que c’était parfait. Vraiment. Je… je n’ai pas de mots pour qualifier mon ressenti, mais je pense que c’était la plus belle nuit de ma vie, et je… ah, c’est gênant !

Il attrape un bout de couette et se cache avec, comme il peut. Il chipote, son cœur qui bat si vite. Qui tambourine dans sa poitrine, lui donne envie de vomir.

– Et, pour être tout à fait honnête – parce que de toute manière, tu me détestes, n’est-ce pas ? –, je… je ne sais pas comment l’exprimer, mais… j’ai tant aimé ça, je me suis senti tellement heureux avec toi que… je ne voudrais pas que ça soit la seule fois. C’est stupide, je sais ! Je ne suis pas prêt à t’abandonner, à me dire que toi et moi, on n’est plus rien du tout, on ne doit même plus se regarder. Je suis pas prêt à continuer ma vie sans toi, et égoïstement… je voudrais que tu ne me laisses pas tomber.

Mort de honte, rouge jusqu’au bout des orteils. Il s’est confié, il a tout lâché. Sa bouche est pâteuse, douloureuse, et regrette déjà les baisers fiévreux échangés. Les larmes n’ont pas cessé de couler.

– Ne me hais pas, je t’en supplie...

Il ne s’en tirera pas à si bon compte, et il le sait. Mais il a peur, peur de ce que son « ami » pourrait dire, du jugement. Et si ses pensées dures à son égard étaient totalement justifiées ? Et si Klaus pensait la même chose quel lui, de lui ? Ça le terrifie. Le regard des autres glisse sur lui dans l’indifférence, mais pas celui du plus âgé. Lui, son avis compte, importe, influe sa vie. Il veut lui plaire, il veut continuer d’être digne d’être son ami. Il ne veut pas qu’il s’éloigne, qu’il le laisse. Pourtant… pourtant sa prise de décision n’a pas été la plus judicieuse, et il pourrait assez tôt en payer les pots cassés.

Contraint de faire face à cet homme qui lui fait ressentir tellement, il tremble et a peur. Peur de ce qui va lui tomber dessus, peur que ça lui fasse encore plus mal, et que son cœur se brise en mille morceaux. Pourra-t-il faire face ? Absolument pas. Il n’ose imaginer la situation si Klaus venait à lui tourner le dos pour toujours. Il n’ose imaginer son état mental.

Et encore une fois, il maudit sa surdité qui met en péril la totale compréhension des paroles du jeune homme. Il reste figé, perturbé, ses yeux suivant méticuleusement la courbe des lèvres de Klaus, peinant à croire ce qu’il voit, mais le cœur qui ne s’allège pas. Il ne l’interrompt pas, il n’ose pas, emmuré dans un silence que seule sa respiration cassée hache quelques fois. Une foule de sentiments l’envahissent, lui font perdre pied avec la réalité. Il cligne stupidement des yeux. Le soulagement, d’abord. Quasiment total, le poids qui se retire de ses épaules alors qu’il comprend, peut-être un peu tard, que Klaus ne lui en veut pas, qu’il ne le laissera pas, et surtout, qu’il ne le voit pas comme lui, là, tout de suite, il se perçoit. Comme un monstre de luxure, comme quelqu’un qui n’a pas su résister à ses propres envies, à ses propres pulsions, celles d’aimer complètement une personne, même pour une seule nuit.

Il aimerait protester, Yi. Il aimerait émettre des « mais » car il n’est pas d’accord sur tout. Mais c’est qu’à la fin, quand Klaus lui a fait savoir ce que lui-même ressentait, qu’il se permet de réfléchir, de penser à ce qu’il pourrait répondre à toutes ces paroles. Ces paroles qui font du bien. Et ses mains qui le font trembler.

Il ne peut pas fuir. Y’a plein de choses qui se percutent dans son cerveau, qui le font souffrir. Il ne peut pas penser correctement. L’alcool ingéré la veille le blesse, les événements lui font voir flou, Klaus lui-même fait bouillonner tout son corps d’idées contradictoires. Alors il sourit, Yi. Il sourit comme un crétin et les pleurs redoublent. Comme si c’était la dernière fois qu’il l’avait en face de lui, comme si c’était une question de vie ou de mort, ses bras entourent les épaules de cet ami un peu particulier mais qui est si important, alors que son visage repose contre sa gorge. Il ne peut pas parler tout de suite, alors il reste là, égaré, essayant comme il peut de retrouver son chemin dans son univers chaotique.

– Tu… tu dis que tu me donnes rien… mais tu te trompes ! Tu te trompes, Klaus… ta présence est un cadeau pour moi, je suis simplement heureux avec toi, vraiment heureux alors… oui j’ai l’air idiot, et je suis désolé de t’énerver, sois pas trop fâché mais… j’ai tellement peur que tu ne veuilles plus me côtoyer, de te décevoir… si tu devais partir, je ne sais pas ce que je ferais car je serai… anéanti. Je ne peux plus simplement imaginer ma vie sans toi. T’es mon pilier… merci d’être là malgré mes bêtises passées et présentes, merci, merci, merci…

Il n’imaginait pas l’importance, la présence qu’il avait dans le cœur de Yi. La terreur s’apaisait et le Chinois refusait de le lâcher. Comme si, simplement se détacher de lui un instant le ferait disparaître pour toujours.

Et puis, il tente. Car il n’a plus rien à perdre. Car ça cogne fort dans sa poitrine. Trop fort.

– Je… je suis fatigué. On peut dormir encore cinq minutes ? Ou… heu… prendre une douche, tous les deux ?

Ses joues deviennent rouges et il raffermit sa prise sur le corps de Klaus.

Son cœur qui fait des bonds dans sa poitrine et le sourire qui réapparaît sur son visage lorsque Klaus ne semble pas rejeter les petites idées qu’il a eues. Alors, c’est décidé ? Il peut encore un peu rester dans ses bras ? Excellente nouvelle qui lui donne des papillons dans le ventre. Et puis… et puis… il peut avoir le beurre et l’argent du beurre ! Dormir un peu, contre lui, puis se laver, de préférence lorsque les autres ne seront plus là pour les surprendre. Tant pis s’il ne mange pas ce midi. Il a mieux à faire.

Il lève les yeux au ciel lorsque Klaus doute de ses paroles. L’envie de lui tirer la langue, mais aussi d’être sérieux. Il choisit la seconde option.

– Je ne suis pas fort du tout, crois-moi.

Son regard, un instant se voile. Quelques souvenirs lui reviennent en tête. Des souvenirs, qui, si on le l’avait pas aidé à temps – sauvé – ne permettraient pas de tenir cette conversation aujourd’hui. Klaus ne doit pas être au courant de ces faiblesses passées, de sa lâcheté. Il ne doit pas savoir.

– Tu es important. Même si ça te paraît fou. Et j’espère qu’un jour tu pourras le croire pour de bon.

Ses doigts glissent tendrement sur le visage de l’autre garçon, il lui sourit. Soulagement, soulagement intense de ne pas être détesté par cet homme essentiel à sa vie. À sa pauvre vie qui le fait parfois bien souffrir. L’envie de l’embrasser à nouveau, la retenue. Lui aussi rit, et il s’étale de tout son long sur le corps de Klaus, se colle à lui, la tête posée sur son torse, là où son cœur bat.

– On dort. Mais après, on se lavera ! Car je suis tout sale, à cause de toi.

Nouveau rire qui outrepasse la barrière de ses lèvres. Il n’y a plus rien à regretter, il faut juste profiter. Il ferme les yeux, tout simplement. Garder cet ami si cher encore quelques instants dans les bras. Peut-être pas dormir, finalement, car il ne sait pas quand il pourra à nouveau être aussi heureux, alors chaque seconde compte, et son cœur chavire.