Les visages de tes interlocuteurs n’ont jamais réellement su te fournir les informations primordiales sur leurs ressentis – comme un livre rédigé dans une langue obscure ; et malgré les activités théâtrales que tu exerces régulièrement, tu réalises incessamment que tu peines à interpréter des codes si simples lorsqu’ils sont imprimés sur des traits peu familiers.
La jolie jeune femme fronce légèrement ses sourcils et exerce une légère pression sur sa lèvre inférieure. Expressions toutes en finesse qui revêtent son élégance mais attisent le doute dans ton esprit.
Est-elle en colère face à ton meurtre accidentel ? Ou serait-ce de la profonde empathie pour cet être qui n’aspirait qu’à vivre ? Tu n'en sais rien et ses murmures te crispent discrètement en l’imaginant te gronder silencieusement.

Désolée...

Tu la vois ganter ses délicates mains et apporter la conclusion prévisible de ton incompétence – une analyse dénuée de reproches explicites qui calment doucement ton embarras.

— Ne t’excuse pas : ce serait le vouvoiement qui m’embarrasserait.

Signe de respect extrapolé que tu réserves aux membres du personnel ou à ces personnes dont le statut hiérarchique te surpasse – une élève qui t’accorde ces marques d’honneur insufflerait inconsciemment un joli complexe. Et inconsciemment, tu réalises que sa question te la fait tutoyer également.

— C’est la deuxième fois... J’étais effrayée à l’idée de la noyer, de ce fait…

Tu cherches plus un conseil précieux qu’un moyen d’amoindrir ton acte, Nahia, un appel à l'aide muet ; et tu poursuis, surprise par sa proposition.

— Oh… Penses-tu que j’aurais le droit ? Je ne veux pas tuer les plantes que vous cultivez minutieusement. Ce serait... tragique. Non, ce ne serait pas une bonne idée.

Le défaitisme qui coule dans tes veines se manifeste devant un combat perdu d’avance, des efforts que tu fournirais en vain – comme si l’issue était déjà écrite dans la pierre.
Oh, Nahia, il est clair que tu t’attardes tant sur les analyses des tragédies théâtrales que tu les vois désormais diriger ta vie.

— Je voudrais bien quelques conseils, toutefois.

Pour une prochaine fois, pour la fois où tu retrouveras la motivation de refaire un effort.

Un léger sourire fleurit sur tes lèvres au milieu du jardin botanique, rictus amusé à l’entente des syllabes de ton prénom écorchées – ton attention se focalise alors sur l’erreur prononcée et son hésitation évoquée. Une courbe aux allures moqueuses, qui pourtant relève plus de la compassion face à un embarras que tu rencontres si fréquemment – puis, une fois le registre mentionné, le rictus disparaît immédiatement.
Tes muscles se crispent légèrement et tu te plonges dans un silence. Comme un condamné au tribunal, tu finis par accepter docilement ta sentence.

— Ah... Bien sûr. C’est Nahia Mart-

Avant que son soupir ne vienne taire la méprise.
Ton ricanement se teint aussitôt d’une grande nervosité – tu expulses alors l’anxiété de ton corps sous un nuage de buée pour ensuite l’écouter. Au fil de ses paroles, tes cognitions infidèles décident de préserver le sens général des quelques syllabes perçues dans ses murmures ; tu l’entends encourager ta progression ? Pourtant, tu hésites en entendant sa proposition.  

Il est si rare que l’on réclame si rapidement tes coordonnées, une convention instinctive avec laquelle tu es si peu familiarisée. Quelques secondes s’écoulent avant que tu ne répondes :

— C’est entendu. léger sourire esquissé, comme pour préciser que tu n’acceptes guère sous la contrainte. Tu m’as demandé, tout à l’heure, si mes intentions étaient bonnes : elle le sont, toutefois il est impossible d’atteindre le succès simplement avec de bonnes intentions. De là viennent mes doutes. Silence. C’est pour cette raison... que j’ai besoin que l’on m’éclaire.

Tu t’approches lentement de ton interlocutrice qui frôle, de ses ongles, différentes plantes ornant les jolies serres ; ton regard intrigué se pose sur chaque feuille afin de les juger à ton aise. Tes doigts étudient délicatement la texture de ces organes nécessaires à la photosynthèse ; les effleurer pour les évaluer, juger pour les accepter naturellement dans ton univers de douceur exacerbée. Les textures rugueuses, duveteuses, parfaitement lisses. Tes iris, furtivement, s’éclairent.

— J’apprécie le lierre. Il est vrai qu’il s’agit d’une jolie plante, cependant je préfère la ténacité que tu as évoquée. Cela correspondrait mieux à ce dont j’ai besoin.

Elle a su éclipser l’aura arrogante et sévère que tu craignais de sa part. Tu laisses tes paroles se délier un petit peu plus face à l’inconnu – c’est pourtant si rare ; puis tu te retournes vers elle, comme animée par une révélation.
Contrairement à elle, tu avais mémorisé son prénom floral.

— La botanique figure-t-elle parmi tes passions ? J’ai un jour lu que le magnolia symbolisait la persévérance et la dignité, mais également l’amour de la nature.

Un brin de honte crispe ton cœur et la fierté se dissipe, constatant que tu permets à tes étranges réflexions de passer la frontière de tes lippes. Tu pries pour que ces pivoines fraichement apparues au sol, se dissipent.
Toutefois, tu devais avouer que Magnolia semble respecter le symbole que le langage des fleurs attend d’elle. Et tu n’avoues guère que tu voudrais, un jour, voir les pétales de cette fleur germer à tes pieds.  

Il est étonnant que tu aies mémorisé les syllabes de son prénom, Nahia ; car l’identité et le visage de tes différentes rencontres s’ancrent si rarement dans ton esprit capricieux, contrairement à ceux de Magnolia.
Il est vrai.
L’envie de justifier cette prouesse franchit aussitôt la frontière de tes lippes :

— Oh, d’ordinaire je suis peu douée pour retenir les noms moi aussi, toutefois tu portes le nom d’une fleur. Etant donné que je m’y connais un peu, en langage des fleurs, j’ai réussi à m'en souvenir.

C'est grâce à Iris que l'on s'y connaît.
Et la mémoire des détails insignifiants qui retient les informations de son choix.
À peine ta phrase achevée, tes mains se voient accueillir un pot en succulent hébergeant une espèce inconnue – des feuilles aux formes singulières. Tu acceptes docilement sans comprendre les raisons de ce choix. Alors, les iris étudient la plante baptisée Echeveria Elegans, comprenant alors qu’il ne s’agit aucunement d’un spécimen de lierre. Comme par réflexe, l'un de tes doigts frôle la surface émeraude, sentant une sensation agréable qui égaie tes nerfs, détend tes muscles un petit peu.
Tu acceptes cette plante.
Légèrement perdue au vue des consignes qu’elle te donne, les yeux s’illuminent progressivement à l’entente d’une sortie à Central Town – charmée par la tentation d’une douceur sucrée.

— En effet, je n’ai rien. En réalité, je me suis toujours contentée de simples conseils trouvés sur le net et rarement ceux des spécialistes.

Balbutié comme une erreur qu’on confesse enfin.
Malgré ton alice, tu n’y connais rien.
On réalise alors les raisons évidentes de ces décès, ainsi que l’élément qui permettra au nouveau de s’épanouir sainement. La culpabilité quant à ton nom te fait expirer un soupir mêlé d'un ricanement, comme si à ton goût, elle se blâmait d’un tort anodin et futile.

— Ce n’est rien pour mon prénom, je suis moi-même empotée avec cela. Mais… Les lèvres s’étirent un petit peu. J’accepte volontiers ta proposition, j’adore les crêpes.

Une part de toi s’étonne que l’interaction se déroule si aisément, comme si le courant, malgré les appréhensions, passait naturellement ; on craint toujours les blancs qu’on peine à combler, la sévérité des propos à laquelle on ne sait se défendre. Cependant, aujourd'hui, cela paraît si simple, si facile de t'exprimer en sa compagnie. Il est si rare que l'on se sente à l'aise face à une nouvelle présence qui, d'ordinaire, serre le coeur d'angoisse. Et on en vient à se demander :

Magnolia, depuis quand parais-tu si altruiste ?
Pour quelle raison apportes-tu ton aide à une illustre inconnue ?

Ton visage dénué d’expression claire peut paraître illisible pour une simple connaissance comme Magnolia – mais, l’éclat discret qui se loge dans tes yeux semble muettement demander.

P o u r q u o i ?

Car on se juge si ridicule que l’on souhaite connaître les raisons de cette bienveillance exacerbée.
Serrant le pot contre toi à l’aide de ta main droite, tu sors de la poche de ton manteau ton précieux smartphone avec ta main gauche dévêtue de gants — tu as toujours préféré le froid à la texture des tissus sur tes doigts. Un frisson parcourt ton épiderme au contact des basses températures.

— Au cours de cette semaine, ça te conviendrait ?

Et tu finis par murmurer.

— Merci, en tout cas.