Embrasser la nuit au milieu des mouchoirs en papiers et des bouteilles d’eaux vidées. On avait fait passer la fièvre, mais certainement pas la maladie. Allongée au milieu des draps, trop chaud, trop froid. La température du corps à l’image de l’humeur : lunatique. Les derniers jours avaient été assommant, pluie d’évènement tomber droit sur la gueule sans qu’on puisse rien y faire. Fallait juste subir et se taire, mais ça épuise de subir, tu sais ?  

À devoir courir alors que les alices s’échangent, se barricader dans la chambre parce qu’on a inspiré l’amour de façon incontrôlable aux gens. Avoir dû courir encore, à demi vêtu dans la neige, pour sauver un faux-frère, se battre dans le froid, à se faire bouffer du manteau blanc avec Anaël à s’en faire crever les poumons, à s’en faire crever tout court. Accueillir la fièvre, les tremblements et la douleur avec un soupir fataliste, mais quand même se lever encore pour aller guérir quelque chose d’encore plus important. On en était là, Felix, à avoir les yeux qui brûlent, la gorge en feux et le corps qui bouillonne. On en était là, à maudire Anaël sans trop de conviction, parce qu’on sait que c’est de notre faute, au fond. Impossible de quitter le lit et de se rendre en cours, on était trop épuisée pour, trop assommée pour risquer un pas à l’extérieur de la couette. Rageuse, Aglaé, qui ne pouvait plus se vanter d’avoir un taux d’absence en cours avoisinant le zéro. Rageuse, Aglaé, parce qu’il y avait toi aussi, parce qu’il y avait ce qu’on s’était promis, ce qu’on ne pouvait plus faire…. Ouais, non, finalement on maudit vraiment Anaël.

C’était peut-être ça le plus dur, tu sais ? Ne pas pouvoir te toucher, ne pas pouvoir te voir. On avait mis notre veto sur toutes tes interactions, parce qu’on ne voulait pas que tu choppes le mal, parce qu’on voulait pas que tu nous vois comme ça. La princesse avec son air de gueuse, son nez rouge, ses cheveux en bataille, ses yeux rougis, sa voix cassée et surtout sa tronche de déterrée. Dans le miroir elle se trouve laide, c’est affreux. Alors on se cache sous la couette et on attend. On maudit Anaël. On se mouche. On insulte notre mère. On maudit Anaël. On se mouche. Et ainsi de suite.

Et soudain ça toque. Dans sa tanière de couettes et de draps, Aglaé grogne. Le dragon passe un pied dehors, fusille du regard l’entrée faite de bois, Aglaé est toujours d’une humeur massacrante quand elle est malade. Se traîne avec sa couette sur le dos, un de tes hoodies en guise de haut, son vieux short de pyjama sur lequel on s’était amusé à écrire autrefois. Les vieux, « reine des bonnasses » et « sale rousse » délavés. Ça grogne encore, tourne la poignée prête à insulter l’arbre généalogique de l’abrutit qui l’a forcé à se lever.

Ça se retrouve nez à nez avec une chemise trop bien repassée.
Une odeur qu’elle reconnaît entre mille.
Ça se retrouve nez à nez avec le tenue des grandes occasion.
Une chevelure étrangement soignée.
Ton visage à aimer.

Et on se souvient.
On avait rendez-vous aujourd’hui.

« … Mais… Mais, mais mais…. »

 

@Felix Zepelin + Chambre d'Aglaé + Décembre 2019

On avait détesté profondément Anaël en se rendant compte qu’on ne pourrait pas quitter le lit même si on le voulait. On lui en avait voulu de nous priver de toi, de nous priver de ce qu’on avait prévu, des mois après. Parce qu’entre les tempêtes de septembre, l’accalmie d’octobre et l’effervescence du festival, on n’avait pas vraiment eu le temps de s’accorder un vrai rendez-vous, comme ceux des films, comme ceux des grands. Des envies de parodie, pour bien faire, pour se moquer ensemble de ce que le commun considérait comme viable. Parce que notre amour on l’a écrit à deux, entre les lignes des autres, notre amour on l’a gribouillée dans les marges des cahiers. Point de belles lettrines pour nous, point de traits fins à la plume. Juste des tâches, juste des ratures, des dessins grossiers et une écriture brouillonne. C’est ce qu’on était, elle en était fière, tu sais ? L’idée de se dire que ça c’était pas comme ci, que nous c’était pas comme eux. Alors pour rigoler on avait décidé d’imité, un peu comme dans les jeux d’enfants qui n’en avaient jamais vraiment été (on s’en rend compte à présent, que jouer la princesse avec toi, ça n’avait jamais été réellement qu’un rôle à parodié). Dans nos beaux costumes, tiré à quatre épingles, on serait parti dans les allées enneigées. On n’aurait pris le bus, on aurait mangé les mets de grands dans des restaurants trop sérieux où seul les majors pompeux et les adultes vont. On aurait avancé avec cette pudeur propre à la normalité, celle qu’on dépeint dans les bouquins. Puis, on le sait, on aurait fini par tout laissé tomber et à faire d’importe quoi. A rire des culs serrés des gens, à souiller les lieux si distingués des élites, à se foutre de la bonne tenue en abonnant les décorations futiles pour être enfin chaotique à deux. Mais voilà, la parodie elle ne s’était pas faite, elle ne pourrait pas se faire. C’est ce qu’on avait dit, c’est ce qu’on avait prévu.

Bouscule le peu d’emploi du temps établit, toi en beau prince, elle en gueuse. Soudain, ça a honte de t’ouvrir dans cette tenue. Soudain, ça a honte de n’avoir pas passé la belle robe qui trône encore, accrochée au miroir. Même si c’était foutu, on aurait pu faire semblant seule, masquer les rougeurs du nez, coiffer les cheveux, enfin. Aglaé sait qu’avec un peu de savoir-faire même une mourante peut paraitre fraîche. Peur d’être hideuse pour toi, alors qu’on te regarde stupéfaite, le gui suspendu au-dessus de ta tête. C’est vrai que t’avais grandi, dans les gradins, elle s’était rendu compte que t’étais assez grand pour l’étreindre comme un roi.

« Tu vas chopper la crève. »

Seule défense qu’elle a trouvée pour ne pas succomber. Tu sais, voir que tu n’as pas oublié, voir que même dans ses tenues de paysanne tu viens la chercher, ça fait tambouriner le cœur à cent à l’heure. Tu sais, voir que t’as raccroché les wagons de la tradition pour lui voler un baiser en contournant les interdictions imposées, ça fait chavirer la raison. Les yeux brillants, Aglaé, ça t’observe avec la reconnaissance et l’admiration de la fille en danger. Passe enfin les bras autour de toi, alors que ça se hisse sur la pointe des pieds, parce que sans ses échasses ça se sent encore plus que t’es plus ce petit garçon qu’on frappait à la recréation. Murmure au bord de tes lèvres, Felix.

« T’veux encore faire honneur à la tradition malgré mon mood clocharde ? » sourire qui vient creuser les fossettes. « Mais je peux encore me faire belle si tu veux, ce serait dommage d’avoir la gueule de Fifi Brindacier quand t’as celle de Di Caprio »

 

@Felix Zepelin + Chambre d'Aglaé + Décembre 2019