Il y a les ombres qui s'allongent alors que le soleil descend à l'horizon et il a l'impression que sa vie bascule. Elle a toujours été au bord du précipice, entre la vie et la mort. Aujourd'hui encore plus, il a le sentiment angoissant que ça ne se terminera pas comme dans les contes de fées que sa mère lui raconte le soir avant de dormir. Vivre heureux ne fait malheureusement pas partie de son vocabulaire, parce que pour vivre heureux, il faudrait que sa santé soit meilleure. C'est ainsi qu'il voit les choses, du haut de ses 8 ans, alors qu'il ne fait que débuter son existence. C'est trop jeune pour penser ainsi et les histoires ne le font presque plus rêver.

Sa prison, c'est cette chambre aseptisée de couleur blanchâtre où ne trône qu'un petit lit accompagné de sa chaise de bois pour la mère éplorée. Elle se cache pour vivre son désespoir et son incertitude de pouvoir voir son fils grandir normalement. Ou le voir grandir, tout court. Et il le sait, qu'elle verse des larmes amères à cause de lui. Elle ne supporte pas de le voir enchaîné à cette machine, mais c'est la bonbonne d'oxygène qui l'achève complètement. Savoir son enfant en détresse respiratoire ne peut que faire remuer douloureusement son coeur de maman.

Et il y a Aslander, qui l'observe tranquillement, comme si sa vie était normale. Avec ses yeux innocents d'enfants, comme s'il n'arrivait pas à comprendre la nature de sa tristesse. Alors qu'il ne comprend que trop bien. Il reste calme, serein devant elle pour ne pas l'inquiéter. Il lui répète que ce n'est pas grave, qu'il réussit à vivre malgré tout, mais la vérité, c'est qu'il meurt d'envie d'aller courir et jouer avec les autres enfants qu'il observe parfois à travers le verre transparent de la fenêtre de sa chambre. Il donnerait absolument n'importe quoi pour pouvoir sortir de ces quatre murs à l'allure étouffante. Mais il reste ce petit garçon silencieux qui accepte pleinement son sort. Et les flammes brûlent en son for intérieur, étouffée par les barreaux invisibles de sa prison.

Il y a ces moments où les questions nous achèvent presque de leur tranchant acéré. Réussira-t-il à sortir d'ici un jour? Pourra-t-il aller à l'école sans devoir s'absenter tous les après-midi? Sa détresse est presque palpable, mais il n'a pas d'amis avec qui la vivre et la partager. Alors il intériorise jusqu'au dernier de ses sentiments jusqu'à ce que la pression se fasse tellement forte qu'il ne puisse plus l'empêcher d'éclater en mille morceaux. L'explosion fait s'initier cet alice endormi et lorsque les choses autour de lui volent en éclats sur le sol dur de sa chambre, Aslander s'effondre. Il sait ce que ça veut dire et l'appréhende énormément.

Ses parents ne l'acceptent pas. Il feront tout pour le cacher aux yeux indiscrets, mais le tout en vain. L'opposition qu'ils offrent pourtant à ces gens venus le chercher se fait violente. Aussi tranchante et dangereuse qu'un couteau effilé. Et lui reste là, à observer cet ouragan d'émotions face à tant d'indifférence. Il n'a pas d'autres choix que d'aller avec eux malgré sa condition d'enfant malade. Il ne peut se permettre de plonger son regard dans celui de sa mère, car il sait ce qu'il y verra et ça, il ne veut absolument pas le lire dans ses yeux. Ça le déchirerait beaucoup trop.

Heureusement, en vieillissant, son corps s'est renforcé. Certes, la faiblesse se fait encore sentir sous ses airs normaux, mais au moins peut-il respirer par lui-même et vagabonder par ses propres moyens. Il se sent déjà un peu plus libre et maître de lui-même qu'avant. Et c'est seulement à partir de cet instant crucial pour lui qu'il commence à développer sa personnalité singulière. Il peut avoir une identité, maintenant. Aslander n'est plus une coquille vide qui se contente de survivre. Non. C'est maintenant quelqu'un de bien tangible et qui a bien l'intention de profiter de chaque instant à partir de cet instant.

L'adolescence se fait rude, mais satisfaisante. Assez satisfaisante pour une personne à la santé fragile comme ce garçon qui se rebelle et qui ne fait plus aussi attention à lui qu'avant. Il y a encore les passages à l'hôpital et plusieurs objets de valeurs qui se bousillent sous les effets de son alice et de ses colères instables. Il trouve toujours son réconfort dans le ciel quand ça va mal. Regarder les étoiles a un effet apaisant sur ses états d'âme et il ne saurait dire pourquoi exactement.

Les histoires de coeur, il s'était promis de toujours en rester loin à cause de sa santé. Décevoir n'est pas dans ses priorités des choses à vivre, mais l'amour n'attend pas et frappe à tout instant sans même prévenir. Le coeur a ses raisons que la raison ignore et cette constatation fait chanceler. Surtout que cette histoire l'a fait rêver et a fait étinceler son regard auparavant si terne. Et aussi que cette idylle amoureuse s'est mal terminée pour lui. La douleur s'est faite telle qu'il a dû passer trois journées entières à l'hôpital afin de surveiller son état. Il y a plusieurs choses qui ont volées sous les impulsions répétées de ce pouvoir qui est le sien. Mais les bris, il n'en a que faire. Ça lui importe peu.

Alors aujourd'hui, Aslander se contente de vivre sans penser à hier. Il fait un peu tout ce qu'il veut pour ne plus rien regretter. Regarder vers l'avant sans jamais se retourner.