et on ira danser
dans la ronde
des enragés
- two

ses poignets se dévoilent.
le geste suit la vague rumeur
le bruit sourd à ses oreilles
des ami.es de cœur qui se déhanchent,
sous une musique qui ne lui plaît guère.
parce que dans ces soirées, une chanson,
c’est fait pour deux.

ses doigts, emportés par une rêverie, relèvent ses manches. le bleu lui colle à la peau, le tissu contre son cou droit, élevé. ses yeux, eux, dansent à travers la foule tandis que le corps reste figé. car le corps d’augustus est en attente.
il se moule dans la chemise,
à défaut de porter la robe.
il ressemble un peu à un faux cygne, délicat dans le costume à s’effacer entre deux vides. c’est comme ça qu’on vit quand il n’y a personne pour vous rendre visible.

augustus, transparent à travers les symbioses
– les réelles et les ridicules –
augustus attend de former sa paire. il lui a juré cette fois, je ne serai pas malade, je te promets, il a juré à avelino qu’ils danseraient cette année. mais avelino ne s’est pas pointé.

il doit être dans sa chambre, à attendre que je vienne le chercher. oui, c’est ça. autant y aller.

ses doigts accrochés à sa peau. augustus s’apprête à partir
augustus s’apprête à mettre fin à son absence
quand – il fait un pas –

sullivan, soudain,
dans sa vie tu apparais.

d’abord ta voix. ça perce la pluie – qui semblait vouloir tomber à tout moment. et ta peau et ta peau encore puis toujours ta voix
augustus n’a pas le temps d’apprivoiser la drôle d’embellie qui vient de s’écrouler autour de lui et le laisse
interdit.
ses joues qui se teintent à ton contact. la peau sous la chemise qui frémit. pourquoi dis, pourquoi augustus soudain se tiraille entre t’enlacer à t’étouffer et ne pas bouger, attendre que tu partes avec ton trop-plein de cadences, de frénésies. que tu partes avec ses propres cris.
il y a ses yeux comme des miroirs qui se plantent dans les tiens.

son domaine. c’est vrai que j’aurais pu danser seul, tout compte fait. je suis bon pour ce genre de numéro. à te regarder – tu as fardé tes joues ? c’est joli, comme ça rehausse ton existence, le rouge à toi ça te fait – à te regarder maintenant ça me paraît une évidence. moi aussi, oh si tu savais, moi aussi je suis heureux de te voir, heureux à en pleurer, mais ça tu ne veux pas le savoir, sul–

–livan.

il se sent stupide. avec toi, augustus déteste se sentir stupide – mais non, il adore ça, non il ne sait pas. mais tout d’un coup, avec toi, il ne se trouve plus dans l’attente. c’est toujours comme ça, tu arrives et il ne sait plus ce que c’est, la parole. tu apparais de nulle part et toujours, augustus ne peut que sortir la fin de ton nom. comme si le début n’était pas une formule assimilée par son cœur.

et tu dis des bêtises, tu lui montres des bêtises – un sourire et un regard que le rouge de tes joues altère, pire encore augustus comprend. c’est pour ça qu’il s’accroche à tes yeux. à leur folie. et ceux d’augustus, à reculons, menteurs, disent

il faut que tu arrêtes sullivan, ce n’est pas drôle. pas ce soir, j’attends quelqu’un, et puis tu t’en fiches avoue, non il faut que tu arrêtes, je ne veux pas jouer

pas ce soir

mais c’est trop tard. augustus ne résiste pas, étonné. les joues ont presque la couleur de ses lèvres quand sullivan décide à sa place.

augustus aussi s'est un peu maquillé ; il a appliqué un baume, un rose pastel sur la neige de sa peau. quand il te suit sur la piste, des mèches au coin de l’oreille gauche s’écartent. augustus, pour lui-même, porte une rose minuscule à l’intérieur du cartilage.

sa main dans la tienne s’est un peu serrée. comme à vif, il délie ses doigts.

sul–

–livan, tu ne peux jamais attendre que je te réponde. sais-tu au moins danser ?

et prenant son courage,
enfin, augustus fait un geste.
d'un mouvement souple, rapproche leurs corps
il a planté ses miroirs dans les yeux de sullivan

il a décidé de se manifester un peu.
t'affronter.

un deux trois un deux trois

à quoi penses-tu livan, tu fais une sorte de performance ?

rendez-vous ce soir
avec la mort trop enivrante

et on ira danser
dans la ronde
des enragés
- two

repousser sullivan.
s’être rapproché, avoir tenté d’avaler un peu la distance.
et puis

le repousser. prendre ses épaules les reculer de son cœur. les yeux en eaux-troubles.
ça a été instinctif. de toutes les détresses qu’il peut recueillir et des envies meurtrières auxquelles il écharde sa peau, il y a son existence, à lui, qu’augustus n’arrive pas à investir.

peut-être que je m’y refuse, tu me fixes on dirait que tu veux me figer livan, quelque part dans un temps gelé. peut-être que je ne te suis pas livan parce que toi, toi, as-tu seulement songé un jour caler un pas, un petit venant de toi, dans une autre route ?

il faut se retenir de le gifler. attendre peut-être de laisser les mots écorcher son cœur, car pour l’heure
avec sullivan, c’est un jeu de frontières ; augustus ne tend pas encore assez le cou, ne se laisse pas encore assez asphyxier.
il faut se retenir de le gifler. puisqu’ils n’ont rien fait. que se planter sur la route de l’un, les yeux grands ouverts dans l’avidité des monstres. quelque part, il y a une faim qui demande satiété.

augustus cherche la force qu’il a enfouie sous le cœur. c’est auprès de sullivan qu’il lui faut se tenir le mieux. ne pas sourire encore. attendre la fin de la tempête. ou alors, dans le rire autre qui résonne encore – comme si sullivan venait tout juste de le faire éclater dans l’air – dans ce rire autre réellement p l e u r e r.

alors ne danse pas. tu t’obstines. tu t’obstines tu t’obstines. les voilà encore tes mots-philosophes. que fais-tu ici, livan. alors que fais-tu à nous imiter si demain tout le monde, on mourra ?

tu as les mots despotiques. les joues et les yeux carnavalesques. une vraie mascarade. autant que l’absence d’augustus.

est-ce qu’il faut que je me le dises pour saisir un peu ce que tu penses ? et toi, tu te dis jamais que c’est « chiant », toujours vivre au-devant de ta tombe ? à quoi tu penses ? pour être si bien à l'idée de mourir et attendre, attendre au lieu d’agir ? à quoi tu penses ? vraiment. ici et maintenant.

un je qui n'existe pas. augustus parle toujours de lui, sullivan. un je qui se prête aux voix étrangères. augustus n'en connaît pas d'autres. c'est comme ça qu'augustus est heureux. c'est comme ça qu'il se connaît être a
                                   u
                            g
                                         u
                                   s
                                                t
                           u
                                        s

ils sont beaux. plantés au milieu de la danse. le feu pour les brûler, au moment où ils se condamneront. un feu pour sullivan, s'il parvient à s'échapper des rêves d'augustus. ils sont beaux, entourés des feux de joie qui piquent les yeux des couples.

les morts-vivants me font pleurer.