leonard a une aversion pour la gente féminine. ou plutôt pourrait-on nuancer le propos et dire que son mépris se dirige davantage vers les femmes que les filles, mais que par extension il en fait une exécrable généralité. son propos est inerte, sans intérêt : sa haine découle de secrets familiaux, liés à ce qu'il a sûrement ressenti comme un abandon de part une femme. le portrait qu'il dresse maintenant de sa mère est désabusé et il la voit comme avide d'argent et non pas d'amour - pas de son amour du moins.

alors voilà. puisqu'il méprise sa mère, il est dans sa tête, voué à cracher sur toutes femmes osant montrer du rejet face à sa personne. c'est pour cela qu'il se montre teigneux depuis le début de l'année et le changement de professeur. daisy marshall, jeune femme dont il aurait préféré ne jamais connaître l'existence. daisy marshall ou professeure qu'il doit l'appeler ne peut que lui inspirer une vague sensation de dégoût ; jeune, pleine de bonne volonté et d'humour - il les préfère silencieuses et précieuses s'il faut choisir.

alors leonard ne fait rien.

comme à tous ses autres cours il ne décroise pas les bras, arrogance rebelle sans aucun intérêt mis à part de se faire remarquer. toutefois dans ce cours là on lui demande d'être actif.
il refuse par inactivité.
quand on lui fait remarquer, il est désobligeant, provocateur. il veut la confronter parce qu'il est persuadé d'être meilleur dans sa jeunesse fougueuse de petit con.

et ce qui est encore plus insupportable, c'est qu'elle reste gentille pour l'instant. elle ne va pas dans le sens de ce monstre qu'il aimerait dessiner d'elle. elle est aimable avec lui et même polie alors qu'il lui crache à la gueule. il est coincé.
on remet en cause ses deux étoiles. qu'est-ce que vous allez faire de toute manière ? il ne sourit pas mais il hausse les sourcils. il la regarde droit dans les yeux, sans flancher.

vous avez pas le droit de faire ça ! et voilà que ça le pique, il ne veut pas abandonner les avantages de deux étoiles. il s'est toujours démené pour faire les efforts nécessaires pour qu'on lui fiche la paix - implication extrascolaire, bonnes notes... il vouait son temps à la concentration en cours et à deux clubs pour maintenir ses étoiles brodées.

ce ne serait pas une femme qui lui en retirerait une. ça se voit sur son minois pas encore adulte que ça l'embête à présent, cette histoire. maintenant qu'elle a mis les mots il ne peut pas nier la menace et faire mine de ne pas comprendre comme un idiot - et donc il est obligé de se confronter à elle. il a de la révolte dans les yeux et ses épaules se crispent, tendues. enfin si mais ça serait pas cool. je fais de mon mieux pour être sérieux dans le reste de mes cours. pour l'instant il ne cède pas. il ne veut pas mais il plaide sa cause pour alléger l'avis de cette professeure.
il ferme son visage et regarde ailleurs les lèvres pincées dans une moue pour ne pas être trop insolent : il ne peut pas faire n'importe quoi non plus, c'est elle qui reste l'adulte dans cette pièce. c'est elle qui a le choix final de la sanction s'il y en a une.

elle l'agace à tout le temps dire son prénom. lui ne le peut sans lui manquer de respect et il trouvait ça profondément injuste. à chaque fois, on dirait qu'elle prononce une insulte à son égard ou qu'elle le réprimande - juste avec trois syllabes surplombées par son accent. le-o-nard.

il a un léger mouvement de recul quand elle lui tapote l'épaule mais ne dit rien - serre les dents et sois fier qu'il pense, il est plus fort qu'elle.
il essaye de se convaincre qu'elle l'indiffère mais ses micro-mouvements ne trompent personne, il déteste le contact qu'elle a instauré pour se foutre de sa gueule. il en serait presque hargneux, le regard incendié par la frustration. il ne dit rien. il pense au café, à son grand lit - il ne peut pas, toujours pas. pas pour elle. il ne desserre pas la mâchoire, c'en devient ridicule à quel point il se contient.

c'est vrai ce qu'elle vient de dire, il y a que dans ce cours qu'il ne fait pas grand chose. mais tout cela, c'est à cause d'elle ! l'année dernière ça se passait mieux, il n'avait pas à être comme cela. oui bah mon alice il existe très bien tout seul sans projets. je veux bien bosser mais comment je fais avec une prof qui m'aime pas ? parce qu'il est persuadé que la mauvaise énergie venait d'abord d'elle, et qu'elle le méprise depuis le début. tout ça parce qu'il a décidé de ne pas bosser.

le manque d'attention n'est-il pas là une marque de mépris ? c'est vrai que maintenant elle réagissait, mais c'est bien cela le problème - jusque là elle n'avait pas fait autant qu'il aurait aimé.
le souci est de leonard est justement qu'il s'en cherche constamment un, il ne peut exister sans l'idée qu'il y en ait un vis à vis de daisy. ils ne peuvent pas en communion et c'est vrai que c'est lui qui l'a choisi dès le premier jour où il l'a vu. alors pour l'instant peu importe ce qu'il se passe, leonard aura quelque chose à lui reprocher.

il la suit du regard mais reste immobile, rangeant ses mains dans ses poches. il n'a pas autant la parlote qu'elle et la laisse d'abord parler toute seule, la respiration à moitié coupée par ses émotions mitigées.
leonard pense que l'éducation et l'amour ne sont pas dissociables, surtout dans un milieu où on les arrache à leurs parents. alors qui va nous aimer ? qui va nous aimer si ce n'est vous ? ça lui arrache les lèvres de le dire mais il le faut, c'était coincé là. elle veut qu'il soit sincère avec elle ? sans aucune retenue ? alors il le sera, mais il y va à tatillon pour ne pas perdre justement son étoile - mais c'est elle qui lui a demandé d'être sincère et leonard prône l'honnêteté quand il en a l'occasion. je pense pas que vous êtes stupide. sûrement un peu, mais il ne peut pas le dire. mais je vous aime pas.

vous aimer les uns les autres qu'elle disait, il y avait un dysfonctionnement profond dans l'académie qui isolait l'amour de tout le reste. tout les pousse à s'éloigner des autres - d'abord des classes d'alices, puis des tranches d'âge - et pour finir des rangs. chaque ligne de leur existence à l'académie les incite à céder à la tentation de la compétition plutôt qu'à se vouer une quelconque affection.

il se demande ce qui faisait qu'elle pouvait dire des choses comme ça - d'après son apparence elle n'est pas si vieille, n'est-elle pas censée avoir une clairvoyance sur la chose ? attrapée la réalité, ne pas être influencée par le rôle de professeur ?
à nouveau dans les yeux de leonard, quand il la regarde, il y a un profond dégoût. il ne cesse pas de la regarde avec ces airs dramatiques de déception, parce qu'il n'attendait rien d'elle jusqu'à preuve du contraire et elle a quand même réussi à descendre dans son estime.
toujours de belles fausses solutions.

une impasse - leo en est une depuis le début de la vie. sa motivation est rythmée du jour au jour, et jusqu'il y a peu il ne voyait pas l'avenir.
et puis une nouvelle année, la classe F qui pointe bientôt le bout de son nez - il faut qu'il commence à penser à plus tard, n'est-ce pas..? il lui semble qu'elle n'a jamais connu ce genre de problématique, comme si elle était vouée à retomber ici.

mais à leonard sa vie est ailleurs, loin de ces murs - loin de ce précipice transformé en école où ils veulent tenir captifs des élèves. c'est à seize ans où le soleil brille le plus haut et pourtant il doit s'efforcer de remettre les pieds sur terre pour ne pas se transformer en triste icare dégoulinant. me motiver pourquoi ? je vous ai dit, madame, son madame à lui est son leonard qu'elle place un peu partout à elle. que je n'avais pas de projet. je vois que dalle. c'est beau de parler d'impasse sans proposer de solution. n'est-ce pas là le rôle des professeurs, trouver des solutions ?

un déclic. parfois il y a un déclic dans le comportement de l'autre qui fait qu'on est davantage amené à se confier, à faire confiance... là il s'est déroulé à un moment où daisy prenait la parole. leonard ne sait pas exactement quand, ne sait pas exactement pourquoi mais tout d'un coup il semble hésiter.

il hésite à la laisser pénétrer dans une influence, même minime, de sa propre vie. sûrement a-t-il été touché qu'elle y mette un peu d'elle pour le convaincre - sûrement qu'il ne peut pas rester indifférent à quelqu'un qu'on a tenté d'enfermer au nom de leur avenir et qui surtout, ne se venge pas sur ses élèves en faisant la même chose.
son regard dévie et ne reste pas uniquement sur elle maintenant qu'il réfléchit réellement à ce qu'elle dit. j'aimerais bien faire de la critique de livres. mais jusqu'à preuve de contraire, ça n'a rien à voir avec son alice et surtout même si cela résultat d'une envie réelle depuis un moment, c'est la première fois qu'il la formule. mais je sais pas comment lier ça avec mon alice. et surtout s'il doit nécessairement le faire.

l'entrain de la professeure le surprend, mais ce n'est pas désagréable. il ne pensait pas que le fait même qu'il ait une idée lui permettrait de recevoir une telle joie de la personne en face. ça le fait doucement sourire.

il a l'avantage du nom et de la situation stable, peu importe ce qu'il se passera : l'objectif étant bien entendu de réussir, mais même dans les mauvaises passes il ne se trouverait pas démuni. il y a un aspect rassurant à l'entreprise dans lequel il veut se plonger.
la réalité est qu'il comptait, de toute manière, ne rien faire s'il ne trouvait pas de passion : il ne sait pas comment ça se passe d'être prince illégitime mais il sait qu'il sera dans tous les cas bien loti à vie. il est plus question de trouver quelque chose de quoi l'occuper et le passionner, comme disait daisy.

au-delà de l'encourager, elle le met au défi : celui de réussir et d'être le meilleur. leonard y croit fermement et sait pertinemment qu'il peut se frayer au moins une bonne place dans la critique du roman young adult - parce que son profil atypique attirera et fera fantasmer. évidemment que je serai le meilleur. il affirme pour répondre et il pourrait s'arrêter là mais il a une question qui lui pique les lèvres depuis la rentrée. vous avez déjà inspiré des auteurs ?

il ne sait pas où il doit placer la jauge de ses sentiments quand elle dit croire en lui.
c'est étrange.
c'est étrange parce qu'il ne sait pas quoi faire de cela car c'est tout à fait sincère, ça lui est adressé à lui - pas vraiment l'élève ni le prétendu prince mais la personne. c'est étrange car c'est rare qu'on le considère autrement que par cela - alors il ne dit rien. il ne sourit pas, mais ne fait pas la tête non plus. il accepte aussi simplement que possible ce compliment - car ce n'est pas rien de croire en quelqu'un ! du moins pas à propos ce genre de choses alors oui, leonard conserve cette petite phrase de rien du tout dans un coin de son crâne pour la savourer plus tard. il pourra le faire quand il aura la dalle de confiance et qu'il ne saura pas comment se remplir la panse d'estime de soi.

cette dernière question, c'est le genre de question un peu intime qu'on pose aux professeurs avant de quitter la salle - celle qui démange depuis le début et qui nous satisfait quand on connaît la réponse. oui quand on connaît cette réponse l'on peut repartir en paix et retourner à sa vie d'élève lambda, refermer la porte des aveux.
je sais pas si c'est triste. c'est un moyen comme un autre, il commence à s'avancer vers la porte et à l'ouvrir, regardant toujours madame marshall. en tout cas ça m'intéresserait de savoir les livres que vous avez inspiré, si vous avez une liste... c'est une semi-question. il sourit un peu, apaisé de sa colère révolutionnaire pour l'instant. à demain madame.