ah ça ne va pas. on a essayé pourtant, passé une infinité de costumes mais rien ne sied à Felix - tout lui va trop grand. les cols blancs tâchés de rouge sont froissés, amoureux ne va pas, la couture de l'étoile mal dépiquée, docile non plus. les ourlets baillent il y a du fil qui dépasse, on enlève. la tête nue il vaut mieux car au grenier elle effleure trop souvent le plafond. vraiment, être un adulte ce n'est pas pour lui alors
sans un seul applaudissement on a quitté la scène,
éteint les projecteurs, à la fin des représentations.
on ne peut plus se voir.

Felix en coulisse se recroqueville car il n'aime pas le rôle qu'on s'est attribué depuis le dernier acte en date. celui qu'on a joué à Leonard était tout juste minable et incarner le grand coupable l'agace au plus haut point. il exècre l'idée de retourner sur les planches, serre les dents dès qu'il y a du monde il tourne les talons et s'éclipse - pitié, tout sauf un public. mais il faut bien, il le faut car sinon c'est à vie qu'on s'installe dans les tragédies. à suivre cette trame on s'interdit, d'être insouciant ou insolent et de trop sourire. sans savoir pourquoi, quand Leonard est dans les parages c'est quelque chose qui sonne faux et ça ne va pas. aujourd'hui ça ne va plus
alors il est là.

à l'entrée de la salle de spectacle, il a entendu, les neuf coups suivi de trois du brigadier résonner sur le plancher, attendu, que les répétitions du club se terminent. on n'avait jamais trouvé le théâtre aussi long que maintenant, on se demande ce qui peut bien te plaire là-dedans, Leonard. Felix a du mal à comprendre - il ne sait pas faire semblant.

même lorsque les portes de l'auditorium s'ouvrent finalement et que les premiers comédiens passent devant lui, assis à même le sol les jambes ramenées contre le buste il n'a l'air de rien. ce serait vain de feindre qu'il est là par hasard tandis qu'il se relève, époussette chemise et pantalon et puis se fraie des chemins. au cœur des rangées où il n'y a personne pour s'asseoir voir, il y encore du monde debout sur l'estrade alors, pas au premier rang mais au troisième, Felix s'installe - s'affale, plutôt. et au moment où les regards se croisent le sien se détourne,
on ne peut plus se voir, Leonard, mais il faut bien.
... vous jouez quoi ?
ça change des saloperies dont on s'était fait une routine - brisée - oh il reste quand même des morceaux.
ça a l'air chiant.
aujourd'hui, Felix n'est pas très doué pour l'impro'.

des éléments du décors familier on s'était surpris à espérer te voir te draper des sourires habituels pour se remettre plus facilement dans le personnage - mais en les constatant portés par Leonard comme une seconde peau Felix tressaille. est-on reparti pour jouer les mêmes airs qu'avant ? condamnés aux mélodies mesquines accompagnées de percussions d'os - sale ritournelle sors de ma tête. si tu crois que tes vieux smiles de vieux mec me manquent. au moins on ne t'a pas cogné au point de briser les caisses de résonance - casser les côtes - tout comme avant tes violoncelles exaspèrent, font lever les yeux railleurs. t'aurais voulu que ce soit le cas ? une question contre une question détourne l'attention des textes oubliés, comme si la réponse importait peu Felix hausse les épaules.

et les rumeurs de la tête se laissent aller contre le dossier de velours, s'affale un peu plus au fond du siège les mains jointes sur le ventre elles se nouent nerveusement, se tiennent loin de toi Leonard pour dire non, non il ne veut pas que ça lui manque. ces doigts là ont déjà plongés dans des marécages qu'on ne comprend pas et toujours Felix manque de s'y noyer - fini de déterrer.
je m'ennuyais c'est tout.
couvre la colère délétère et les départs de feu -
tout ceci est mal
tout ceci fait mal
et l'on n'a jamais su trouver le juste milieu entre le supplice et l'anesthésie alors forcément que Felix se traîne lui et son spleen et reste jusqu'à la fin des séances - voir si tu es morose aussi Leonard (ou assister à la disparition des ecchymoses)
quelque chose, n'importe quoi.

les yeux clairs ne semblent pourtant rien chercher lorsqu'ils te reviennent, se lèvent péniblement pour regarder tout le visage omettant tes regards sombres - avant de s'égarer là où l'on a cogné. ça va t'arrives de nouveau à dormir sur le ventre ? les ricanements un peu las, font tomber le rideau des cils sur les œillades insolentes
on y croit à peine.

le cœur qui semblait tenir à un fil au centre du poitrail, tombe mollement sur les braises de colère tapissant les entrailles ; elles s'éteignent dans le mauvais sang. c'est qu'à force de pulser de la sève effrontée les corolles se languissent du moment où l'on se montrera tendre, attendent rien qu'un peu de répit qui n'arrive jamais.

la faute à Felix qui exècre tous ces bourgeons - ils fleurissent dans des parterres souillés à l'enfance, ont l'apparence de mauvaises herbes qu’il faut arracher à tout prix. qu'on veuille jeter des fleurs autres que les bouquets d'hématomes lorsqu'on assiste de loin à toutes les représentations de Leonard, ça rend malade. drôle de nausée qui lui prend lorsqu'on t'entend être infâme - car terrible Leonard, tu l'es joliment.
c'était pas une pute.
rétorqué glacial, piqué d'émulation à l'idée que tu utilises pour d'autres le vocabulaire qu'on se réserve habituellement. et l'ascension sous les combles, ce n'était même pas pour une cause aussi juste que celle dont tu le targues - non, Leonard. tu sais aussi bien que Felix qu'on a décousu les fils d'or pour votre valse folle, dont on a pas vu l'esquisse du moindre pas depuis l'interruption volontaire du métronome. ça bat encore
le tempo entêtant toujours présent au creux des os
dis-lui que tu l'entends, dis-lui
à Felix qui tend l'oreille et se redresse de son siège. vient saisir le dossier de celui devant lui pour venir narguer à coup de rictus, public insolent se moquant de vos performances pitoyables jusque là.
toi c'était pour garder tes petits privilèges de merde que t'as pas répliqué une seule fois ? ou t'as oublié comment on f'sait ?
le rouge ne te plaît plus ? tu te verrais -
c'est une couleur qui te va bien pourtant.

"désolé pour les coups" au bord des lèvres, claquent les dents à la gorge des excuses Felix les mord nerveusement, pour s'empêcher de dire tout haut. raye et réécrit la réplique - c'était prolonger l'agonie de cette parodie de nous qu'on formait avec Leonard. ça je- j'en sais rien, de comment on appelle ces meufs-là !- tsh... cette fille, elle avait tout prit - refermé les doigts sur tout ce que l'on était, le bon comme le mauvais, et ça avait beau être emprisonné au creux d'elle, c'était à l'abri et gardé intact au moins. qu'est-ce que ça peut t'foutre t'façon. tu aurais voulu t'en occuper à sa place, Leonard ? ah - ne répond pas. on tremble d'imaginer ce que tu pourrais faire si l'on se confiait à toi.

pour se haïr l'on est doué - c'est un domaine qu'on maitrise - mais aux antipodes de l'aversion se dressent des contrées qui ont déjà tordu les entrailles. et si le fil qui nous relie est celui d'amis, déjà terrible aujourd'hui, à quoi ressemblera-t-il demain ? Felix incertain, n'en sait rien - tu sais ce que je sais par contre ? ... c'est que les gars comme toi, j'appelle pas ça des potes.
figé où il était, assis spectateur aux fuites impossibles, le venin, il ne voit que ça - ne boit que ça, Felix.
jamais d'la vie t'as été mon pote, et moi plutôt crever que d'être le tiens. parce que c'que t'as fait ce jour-là, on appelle pas ça un coup d'pote Leonard - nan,
c'que t'as fait ça s'appelle un coup d'pute.
quelle meilleure manière de dire qu'on se ressemble
si ce n'est en le crachant cruellement à la figure de Leonard.
les mecs comme toi, là
j'appelle ça des putes.
et visiblement
c'est pour elles qu'on perd des étoiles.

Léonard goguenard, s'aventure aux frontières virulentes de territoires qu'on a toujours trouvé délicieusement moribonds. ce que tu fais, ce que tu dis, c'est comme saisir les mains de Felix et tirer d'un coup sec pour déstabiliser, inviter à danser sur les mines - et le danger de l'autre coté provoque le réflexe caustique de bousculer, repousser pour voir revenir en terrain connu. c'est comme ça qu'on fonctionne.

et ne dis pas ça, à narguer d'étoiles exhibées comme si elles te hissaient hors de portée de l'impudicité - son amour n'est pas dégénéré ! ne sera jamais vulgaire comme les mots qu'on utilise avec toi. si l'on se lève tout à coup ce n'est pas pour tendre les lèvres au ciel de tes cols de chemise - Felix pourrait leur cracher dessus. putain mais- rêve. à l'impératif, enterre dans tes songes cette idée d'étreinte cauchemardesque, Léonard, retire tout de suite tes sales répliques.

t'as cru qu'on était encore au primaire ? que je te tire les cheveux pour que tu fasses attention à moi ? peut-être - vérifier que tu fais attention à Felix comme il faut, à la façon des mauvais téméraires, et pas de cette manière lubrique qui le terrorise au fond.
j'avais juré de plus t'approcher. et il l'a fait quand même. ce n'est pas de sa faute. c'est toi qui est revenu ramper avec tes saloperies de messages, ta saloperie de photo. qui est trop bien pour l'autre ? le désarroi du cœur sous les os, supplie d'inverser les rôles. il fait toiser des pieds à la tête, le visage froissé écœuré. apprend à t'tenir Leonard s'te plaît, mon alice excuse pas tout.