Il a le cul vissé sur cette petite chaise pour enfant, dans le bureau de la directrice de son école primaire. Il n’ose pas regarder sa main gauche, qui est encore en partie couverte de sang. Il préfère fixer un point au sol, en attendant que ses parents viennent le chercher. Pour leur dire qu’il n’a pas fait exprès. Qu’il voulait juste défendre sa petite soeur. Qu’il n’y était pour rien, si l’oeil de ce petit garçon s’était crevé, dans la cour de récréation. Qu’il voulait que maman le prenne dans ses bras, pour oublier les cris horrifiés de ses petits camarades, la main de fer de la directrice sur son épaule, le regard terrifié de sa petite soeur.

Tout ça n’était qu’un accident. C’est ce qu’il se répète, à chaque fois qu’il se réveille, au beau milieu de la nuit, transpirant. Il n’avait pas fait exprès.

Il se souviendra toujours du moment où sa mère l’a pris dans ses bras, avec ce visage fermé qu’elle avait à chaque fois qu’elle s’apprêtait à pleurer. Que son père répétait en boucle que c’était mieux comme ça, qu’il allait devoir être fort, mais que la vie lui réservait de grandes choses. Et quand il se rappelle ces mots, Bart comprend. Il comprend que son père se rassurait, parce qu’il n’aurait jamais su quoi dire d’autre.

Et quand il lit, et relit, les quelques lettres qu’il a pu échanger avec sa famille, il tente de se rappeler. L’odeur des cheveux de sa mère, la carrure de son père, qui lui semblait si impressionnante. Est ce qu’ils avaient beaucoup changé ? Est ce qu’il était plus grand qu’eux désormais ? Il haïssait ce sentiment, qui avait grandit en lui. Cette idée que ses parents qu’il aimait tant, s’étaient transformés en étrangers, au fil des années.

Des étrangers qui l’avaient laissé partir avec cet homme froid et peu bavard. Qui s’était contenté de lui mettre une paire de gants de cuir, ainsi que de solides chaussures bien lacées, avant de l’amener à l’académie. Des vêtements suffisamment épais pour amortir le choc des explosions qu’il produisait.

Il se sentait si banal, Bart. Il n’avait pas de haine pour ses parents, ni pour l’académie. Des regrets peut être, et encore. Il se disait que c’était mieux comme ça. Lui aussi, finissait par se rassurer comme il pouvait.