L'empereur avait toujours eu une certaine estime, en ce qui concerne les membres de sa cour.
Après tout, ils avaient eu la présence d'esprit de reconnaître le seul véritable monarque et que ce soit consciemment ou inconsciemment, ils faisaient tous un travail remarquable en ce qui concerne son ascension.
Pourtant, n'existe que peu de personnes dans cette académie au courant des desseins de l'empereur.
Deux, pour être tout à fait exact.
Ariel et Azrael.
Il n'avait aucun intérêt à cacher ses intentions auprès d'eux, l'un possédait une loyauté sans faille qui faisait de lui son bras droit et l'autre était suffisant intelligent pour comprendre l'intérêt que représentait son alliance avec le roi rouge.
Azrael s'amusait d'ailleurs, lui aussi, de tout le chaos ambiant qu'il pouvait provoquer.
Plutôt subtil, Noah n'avait reconnu ses talents que parce qu'il l'avait autorisé à cela.
C'est bien cette ruse qui faisait de Azrael l'assassin du roi.

L'échiquier avait été préparé, déposé sur une table au centre de la pièce.
Deux fauteuil se faisaient face et officieraient comme les témoins de cette réunion.
Pas d'affrontement aujourd'hui, pas entre eux.
Mais l'assassin était habile, s'était faufilé avec adresse là où il ne pourrait vraisemblablement jamais conquérir.
Les pensées de Laëstiel O'Cesair, une des missions confiées par Giovanni Di Scipio, le père.
Et il témoignait d'un intérêt tout particulier pour la position qu'occupait Azrael dans l'esprit de la belle.
Autant en tirer profit.

La porte n'était évidemment pas fermée et il attendait, enfoncé dans son fauteuil, que son comparse daigne arriver.
Une fois ceci fait, il l’accueillait sans même se lever.
Pourquoi faire des manières entre eux ?
Ils se savent.

« —  Azrael Logan Tremblay. Je ne sais pas ce que j'aime le plus chez toi : ta ponctualité ou ton intelligence. En tout cas, ta présence est une véritable bouffée d'air frais au milieu des imbéciles et des condescendants. Prends place, je t'en prie. »

Rire évocateur.
D'un signe de main, il incitait son complice à prendre place en face de lui, sur le fauteuil.
Les jambes croisés et les mains entremêlés, c'est avec un sourire satisfait qu'il regardait Azrael s'installer.
Le protocole s'appliquait avec lui mais, différemment.
Sans plus attendre, c'est la tête incliné et les yeux à demi-clos qu'il reprit l'introduction à leur activité.

« —  J'espère que tu n'as pas oublié les règles du jeu. Et par cela, tu comprends bien que je n'évoque pas que la partie d'échecs à laquelle nous allons nous adonner, n'est-ce pas? »

Parfois, les montagnes se rencontrent.

Azrael ne s'encombrait pas des commodités et pourquoi pas, après tout.
Cela fait bien longtemps qu'ils n'essayaient plus de véhiculer quelconque image à l'autre : la réputation était déjà acquise.
L'assassin engageait donc la partie en avançant l'un de ses pions sur l'échiquier, un coup auquel le roi répondait sans grande réflexion.
Il avait déjà prévu son plan d'attaque et cette partie n'était qu'un contexte pour introduire sa demande.
Son commandement, plutôt.
Parce que si Azrael avait conscience de sa place dans l'empire et l'intérêt que lui portait Noah, il avait aussi connaissance de l'obéissance qu'il réclamait à ses sujets.

Riait, l'air enfantin.

« —  Tu as raison, après tout, pourquoi s'encombrer plus longtemps de longues phrases ? Tu es entré sur un terrain qui m'intéresse et je veux en être. »

Avançait le haut de son torse dans sa direction, le regard plus insistant.
Il n'avait que faire de Laëstiel en terme d'humain, on pouvait même dire qu'il ne portait pas vraiment la O'Cesair dans son cœur, pas plus que le reste de ses fréquentations.
Mais l'idée même d'en apprendre plus sur le clan et satisfaire son père était plutôt alléchante et si l'assassin pouvait lui permettre d'arriver à ses fins, il saurait se montrer reconnaissant.

« —  Laëstiel O'Cesair. »

Dit-il, l'air grave.

« —  J'ai eu vent de votre relation. Je ne vais pas te demander les raisons de votre rapprochement, cela ne m'intéresse nullement et je n'ai pas l'intention d'empiéter sur ton intimité. Toutefois, tu as bien conscience de l'avenir à laquelle sa famille la prédestine ? »

Celui d'une souveraine, qu'elle le veuille ou non.

La partie se déroulait sans grande passion, l'un comme l'autre avaient déjà compris qui allait remporter la victoire.
Raison pour laquelle le roi s'intéressait principalement aux informations que l'assassin était enclin à lui fournir.
Il était visiblement bien renseigner sur la cible, suffisamment pour faire sourire le souverain avec entrain.
Cela s'annonçait bien plus simple que ce qu'il avait prévu.
Mais il exposait un problème pertinent : celui de Juno-Bianca.
Elle avait en effet suffisamment d'influence sur Laëstiel pour éloigner Azrael d'elle.
C'était préoccupant mais les étoiles s'alignaient en leur faveur, cette fois-ci.
Noah frottait son menton entre ses doigts, faisant mine de réfléchir à son prochain coup.

« —  Juno-Bianca est préoccupante mais j'ai constaté qu'elle avait trouvé chaussure à son pied. Espérons que son enthousiasme au sujet de sa nouvelle relation occupe suffisamment de son temps pour qu'elle ne nous encombre pas plus. »

Nous.
Car désormais, il allait devoir faire avec Noah dans ses plans.
La rupture avec Quinn était d'ailleurs une bonne nouvelle, cela aurait probablement un impact psychologique sur elle.
Avançait une nouvelle pièce sur l'échiquier.
Le menton toujours entre ses doigts, le regard rivé sur le plateau.

« —  Tu peux bien te marier avec qui tu veux, mon ami. Cela m'importe peu. Considère juste que j'ai un grief contre elle et que j'ai besoin d'informations sur son clan. Tu m'as tout l'air d'être le candidat idéal pour cela. Alors, la question n'est pas ce que j'attends de toi. »

Son regard se déposait à nouveau sur l'assassin.
Le visage froid et vide de toute joie, c'est avec autorité qu'il s'adressait à lui.

« —  La question est : de quoi est-ce que tu as besoin pour assurer ta petite entreprise ? »

Il observait son acolyte avec une fierté qu'il ne saurait dissimuler.
Noah constatait avec soulagement qu'il ne s'était pas associé avec un esprit suffisamment simple pour refuser l'aide qu'il lui proposait ou même feindre quelconque bonne intention à l'égard de Laëstiel.
L'empereur avait ouvertement menacé Laëstiel et pourtant, cela ne le faisait même pas soulever un sourcil.
Entouré d'un être aussi démuni de bonne intention envers les autres que lui, comment Noah pouvait-il seulement imaginer perdre à ce petit jeu de vendetta ?
Il exposait son projet avec calme, le ton glacial.
A sa demande, les lèvres du monarque s'écartaient pour laisser s'échapper un rire sardonique.

« — Azrael, mon ami...  »

A chaque coup qu'il jouait à présent, il prenait les pièces de son compagnon.
Une à une.
Le piège se refermait.

« — Rien n'est en dehors de ma portée, avec un peu de préparation. Pas même Juno-Bianca. »

Il suffisait d'une simple idée, n'est-ce pas ?
Une petite bribe.
Un doute.
Sa paranoïa ferait le reste, car il était plus facile de manipuler quelqu'un obsédé par la victoire qu'une créature qui acceptait la défaite.

« — Je sais que tu sauras remplir ton rôle à la perfection. J'ai toute confiance en toi. Mais j'insiste sur une chose : je veux qu'elle souffre. Laëstiel O'Cesair. Je veux l'entendre agoniser. »

S'était presque débarassé de l'ensemble de ses pièces.

« — La bataille m'importe peu. Je veux la victoire. C'est tout. »

En une simple phrase, Azrael accédait à sa requête.
Noah apporterait donc son soutien dans les projets de son assassin, lorsqu'il serait sûr de pouvoir approcher Laëstiel.
Il était intelligent et savait déjà ce qu'il faisait, raison pour laquelle il n'avait besoin d'aide qu'en ce qui concerne les deux chiens de garde et pas la cible en elle-même.
Devant son dernier coup et l'élégance avec laquelle il acceptait sa défaite sur l'échiquier, l'empereur ressenti un profond respect pour celui qu'il pouvait presque considérer comme un ami.
L'assassin n'avait pas peur d'échouer et pour preuve, il avait déjà échoué une fois en ce qui concerne la prochaine doyenne du clan O'Cesair.
Mais cela ne l'empêchait pas de revenir à l'attaque.
De la même manière de sa défaite à cette partie ne signifiait pas qu'il ne reviendrait pas pour une seconde partie.
Jusqu'à gagner.
C'était ça, la force de Azrael L. Tremblay.
Une force qu'il était heureux d'avoir sous son contrôle.

La question de son ami était d'ailleurs légitime.
Et avant de répondre, il balayait le roi de son adversaire.
Sans plus d'émotion, il s'enfonçait lui aussi dans son fauteuil et plongeait son regard dans celui de son acolyte.

« — Pour montrer au peuple qui est l'empereur, il est parfois nécessaire d'abattre un tigre. Comme les arènes de Rome, je préfère que ce soit spectaculaire. »

Appuyait son coude sur le bras du fauteuil, Noah déposait son menton contre son poing, les jambes toujours croisées.
Ricanait à l'idée de voir Laëstiel se faire dépecer sans même qu'elle ne s'en doute.

« — L’événement du festival sportif me fait dire que le spectaculaire fonctionne plutôt bien, tu sais. »

Il fermait les yeux, l'air rêveur.

« — Je peux encore voir les flammes. »

L'ensemble des capacités de son assassin ne pouvaient être exploiter que dans l'ombre.
Bien entendu, il le préserverait des projecteurs, c'était dans leur intérêt à tous les deux.
N'avait aucune envie de se séparer d'un élément aussi précieux que lui.
Ce n'était pas là sa conception de la victoire.
Pas dans le sang de ses sujets mais dans celui de ses adversaires.
Et encore moins faire tomber la tête de Azrael pour quelqu'un comme Laëstiel.
Il valait plus qu'un caprice.
Ouvrait lentement les yeux pour l'observer, un sourire rassurant.

« — Ne t'inquiètes pas, Azrael. Je ne conçois pas un seul instant de te causer du tort dans le processus. J'irais même plus loin : si tu estimes que la situation risque de te compromettre, à un moment ou à un autre, tu peux te retirer. Tu seras seul juge de cela et je n'irais pas inspecter tes actions. C'est un travail que seul toi est capable d'accomplir. »

Faisait preuve de sincérité, en ce qui concerne l'importance de son ami dans ses projets.
Il voyait plus loin que la chute de Laëstiel et sa domination sur les O'Cesair.
Encore une fois, cela ne relevait que du caprice.
Prouver à son père qu'il est meilleur que ce qu'il peut bien imaginer et que leur clan ne représente en rien une menace envers l'influence Di Scipio.

Son regard ne quittait toutefois pas son acolyte, ne l'autorisait pas encore à quitter la pièce, quand bien même la partie avait prit fin.
S'il appréciait son esprit, c'était aussi sa compagnie qui était agréable.
Et il ne dirait pas non à l'idée de converser un peu plus longtemps avec lui.

« — Eulalie a déjà juré fidélité, elle sera facile à utiliser. Mais nous devons la mettre à profit pour la bonne occasion. Je ne veux pas risquer de compromettre sa position, à elle aussi. Utilise la, au besoin, mais que ce soit discret. Elle est à moi. »

Au bout d'une laisse.

Le monarque souriait devant la manière dont il avait de jongler avec les pièces entre ses doigts.
Azrael savait pertinemment comment illustrer la situation : ils étaient eux-même sur un échiquier.
Ou plutôt, Noah était la main qui déplaçait les pièces, pouvait jouer avec le plateau à sa guise.
N'irait pas considérer Azrael comme un joueur, savait qu'il n'en avait pas l'ambition.
Non pas par manque de moyen mais bien parce qu'il trouvait une certaine sécurité à l'idée d'être une pièce, de manière à pouvoir se rétracter et quitter l'échiquier quand ça lui chante, là où le joueur était condamné à garder sa place jusqu'à l’achèvement de la partie.
Se plaçait-il comme un fou ou un cavalier ?
Les mouvements irréguliers du fou semblaient plus lui convenir.

Devant l'éventualité d'une échec, Noah rétorquait sans le moindre sentiment.

« Je ne tolère pas l'échec, Azrael. Si tu viens à échouer, j'assurerais ta protection mais, tu te verras confier une autre mission. Cela voudrait simplement dire que tu n'étais pas qualifié pour celle-ci. »

Essayait de piquer un instant sa fierté, Azrael maître manipulateur.
Le visage toujours appuyé contre son poing, c'est les deux à demi-clos qu'il s'autorisait un sourire moqueur, adressé à son affirmation : « tu auras ce que tu veux. »
En avait-il douté un seul instant ?
Il rétorque.

« Mon ami, je sais depuis le moment où tu as posé tes fesses dans ce fauteuil que j'obtiendrais ce que je veux. Tu n'es pas du genre à refuser une requête, encore moins lorsqu'elle s'adresse directement à tes compétences. »

Un nouvel avertissement, s'il venait à échouer.
Pianotait sur le bras du siège avec ses doigts.

« Tu peux garder la fille, je n'ai aucun intérêt pour elle à part ce qu'elle représente. Fais en ta compagne, si ça t'amuse. Je sais que tu es taquin. »

Déposait sur l'assassin un regard impérieux.
La voix autoritaire.
Le visage froid.
Couronné depuis la naissance.

« J'ai terminé, Azrael. »

Tu peux t'en aller, maintenant.