♡ Je vis dans une famille normale, aimante, calme. Nous n’avons pas de problème particulier. Une simple famille d’ouvriers. J’ai un frère jumeau que je n’ai pas vu depuis un moment maintenant. Il n’a jamais développé d’Alice contrairement à moi qui utilise le mien depuis ma naissance sans le savoir. A ce moment-là, je ne le sais pas encore. Je pense que c’est normal de toujours rêver des personnes qui m’entourent. Tout le monde fait pareil.
♡ Je découvre à dix ans que je peux voyager dans les rêves d’autrui quand, un jour, ma mère me raconte son rêve. J’ai fait le même cette nuit. Elle ne me croit pas, pas au début. Après plusieurs nuits, elle comprend ce que cela signifie. Elle me dit de me taire et de n’en parler à personne.
♡Chose que je ne fais pas. Le lendemain, je raconte à mes copines d’école ce que je sais faire. Elles ne me croient pas elles non plus et me traitent de menteuse. Alors cette nuit, j’entre dans le rêve d’une d’entre elles et je la gifle. Elles finissent par me croire. Puis elles le racontent aux autres enfants. Eux aussi veulent que je visite leur rêve. Alors je les fais payer. “Cinq pièces et je viens dans ton rêve ce soir”. Un an plus tard, je suis en route pour l’académie. Mon petit trafic n’est pas passé inaperçu.
♡J’arrive à l’Académie à onze ans. Au début, j’ai un peu de mal à m’intégrer parmi ces enfants qui sont presque tous arrivés ici depuis tout petits. Je découvre par la même occasion que je ne suis pas la seule à pouvoir faire des choses hors du commun. Ma famille me manque. Je pleure.
♡Personne ne s’intéresse à mon Alice. Personne ne veut payer cinq pièces pour rêver de moi. Alors je me contente de me balader entre les songes. Je ne touche personne, je ne veux pas que l’académie me punisse pour avoir utilisé mon Alice sur quelqu’un. Mais je ne peux pas faire autrement. Je ne suis qu’un visage parmi tant d’autres. Je ne me fais pas remarquer.
♡Je découvre des facettes cachées de la personnalité de mes camarades que je côtoie tous les jours. Certains font des rêves abstraits, d’autres au contraire très réalistes. Parfois il n’y a rien à faire, rien à voir, il faut ressentir. Quelques élèves sont tristes, tellement que j’ai l’impression de me noyer. J’accompagne leurs pleurs. J’essaye de combler leur nuit mais parfois rien ne marche et je me réveille en sursaut. Le coeur lourd comme une pierre. L'écho lointain de leurs sanglots me hante.
♡Je joue avec mon Alice. Je teste mes limites. J’essaye de rendre visite aux stars. Je n’y arrive pas, elles sont beaucoup trop loin. J’évite les songes de mes professeurs, je fais profil bas. J’agis en tant que spectatrice, je n’interviens jamais. Je fuis les cauchemars. Je privilégie les rêves familiaux, pour retrouver cette sensation chaleureuse. Je suis nostalgique. Je m’en veux d’en avoir parlé à mes amies.
♡Je grandis. J’atteins l’âge de dix-huit ans. J’arrive à mieux gérer les relations humaines. Je peux depuis un moment maintenant choisir qui je vais visiter la nuit. Cela m’évite de croiser des choses que je n’ai pas spécialement l’envie de voir. Mais il m’arrive quelque chose d’étrange. Je suis dans un énième rêve, tout se passe bien. Je trouve une porte. Il n’y a jamais de porte. Je tourne la poignée. Je suis submergée de souvenirs, d’émotions, d’images et de sensations. Je me réveille en sursaut, dégoulinante de transpiration. Je suffoque.
♡Je recroise plusieurs fois cette porte. Je sais maintenant ce que c’est. Le subconscient. Là où sont rangés tous les souvenirs, toutes les pensées assumées et refoulées. Mais je n’arrive pas supporter la force qui se déchaîne à chaque fois que je l’ouvre. Je m’engloutis dans le flot d’informations qui se déverse une fois la serrure déverrouillée. J’ai peur de ne pas trouver la sortie. Je dois m’entraîner.