Il est vrai que j'ai vu en elle la réflexion lumineuse de la croix. Il est vrai qu'en ce regard grave et noir j'ai vu l'amour en vérité, que sa voix change quand elle prie, que rien ne m'attendrit plus que ses mains qui, serrées autour du crucifix, deviennent blanches et se vident de leur sang.

Mais j’ai vu aussi, lorsque, dans le sifflement de sa jupe compliquée, elle s’approchait de moi avec sa taille ronde et son front calme, une gorge haute, qui a fait naître en moi le soupçon. En plissant les yeux dans la pénombre, je crus voir que ce cou reptilien révélait une tête lourde et paradante, au fard verdâtre et vaguement maléfique. Il me sembla alors inéluctable de lever les yeux vers les siens ; et il m'apparût clair, à cet instant, que Dushka était sinistre.

Dushka porte la croix, mais je ne perçois rien du serviteur de Dieu dans ce rire caquetant et lubrique, ni sur la surface violette de sa langue de succube où fond pourtant le corps du Christ. Une piété mauvaise surnage dans ses yeux, lacs foncés où tremble mon visage. Comprimées par le tchotki ischémique, ses mains touchent la Bible avec dégoût. Je regarde son pendentif, Vierge strangulatoire et minuscule, tourner léthargiquement sous mes yeux, comme un encensoir : il exhale l'odeur de son péché...

Habitée par les remords de ses pairs, Dushka connaît bien la faiblesse de l’homme. Elle sait que la miséricorde aurait dû vivre en elle, et que, face aux statues pieuses et images de sainteté, elle aurait dû, un à un, racheter pour tous les autres chaque péché devant le Seigneur. Mais ses traits sont méchants, sa peau satanisée, et son âme, son âme, Dushka ne pourra l'offrir. Elle aura au moins essayé.

Dushka a supporté le culte, a supporté le pain sacramentel, la profession, la confession, ce rencard mensuel, prodige de cruauté, et la vision terrible du calice... L'éternel chant de sa mère avant d’aller dormir : « Il faut n’aimer que Dieu, et ne haïr que soi... » Mais Dushka s’aime aussi. Elle aime son corps, le mal qui s'allonge en son corps, la contingence de ses mouvements. Et le repentir tombera sur elle, comme un ciel, comme tous les soirs, rendue à sa chambre sous le regard du Christ. Elle jurera qu’elle fera pénitence, elle parlera de prendre le voile, et moi, immobile, je l’écouterai dire pardon.


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maniérée ⊹ comédienne ⊹ prédicatrice par plaisanterie mais surtout par habitude ⊹ légèrement malveillante ⊹ baratineuse ⊹ très théâtrale ⊹ sait pleurer sur commande ⊹ polie et flatteuse ⊹ souffre énormément de son abstinence sexuelle ⊹ fébrile ⊹ colérique ⊹ fascination vengeresse pour les offices blasphématoires ⊹ ne peut s'empêcher d’aimer la perversion progressive de sa foi

MAÎTRISE DE L'ALICE9/10

DISCIPLINE10/10

DÉTERMINATION5/10

RÉSULTATS SCOLAIRES8/10

IMPLICATION DANS LA VIE DE L'ACADÉMIE8/10

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Impression ou réalité, Dushka flaire depuis quelque temps dans l’Académie la présence du Démon et songe de plus en plus sérieusement à organiser un exorcisme en grande pompe. Ce n'est pourtant pas par haine véritable, puisque sans l’Académie, Dushka serait probablement déjà entrée dans les ordres.


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disponible 24/7 pour toute demande de bénédiction ou de confession privée ⊹ elle déchire toutes les lettres de ses parents sans les lire depuis qu’elle s’est rendue compte que sa foi est de plus en plus douteuse ⊹ on lui a appris avec tant de sévérité à vouvoyer les hommes que c’est un effort pour elle de ne pas le faire ⊹ la première fois qu’elle s’est maquillée c’était tellement puissant qu’elle s’est évanouie ⊹ pour elle le summum de l’humour c’est simuler des transes extatiques ⊹ elle étudie sans passion, par pur sens des responsabilités ⊹ son vœu d’abstinence, qu’elle a prononcé à huit ans, est tellement ancré en elle que même le désir la diffame ⊹ cette privation commence sérieusement à lui perturber le cerveau ⊹ sa chambre est hantée par des icônes religieuses et des statues de la Vierge, ça rend les choses difficiles ⊹ elle aime beaucoup les robes fleuries mais n’en a aucune et ne sait pas coudre ⊹ elle a très peu de vêtements mais ceux qu’elle a sont beaux ⊹ elle ne dépense presque rien et donne assez facilement, ne sachant que faire de son argent ⊹ peu importe à quel point elle essaye, elle est incapable de se détacher de certaines pratiques et de certains dogmes qu’elle a assimilé : la prière, le mythe de la pureté du corps, l’origine divine et punitive de la souffrance, etc ⊹ très peu de choses la font rire avec sincérité mais elle rit quand même souvent ⊹ son rire sonne fake, c'est chiant d'ailleurs ⊹ si elle commence à avoir des tics faciaux il faut éviter de lui parler de Dieu ⊹ tellement polie qu’elle a l’air malhonnête ⊹ malgré le fait qu’elle sait de quoi vous vous sentez coupable, elle ne préjuge que rarement sur qui peut être une personne en se basant sur ses méfaits passés, puisqu’elle croit fauter de manière bien plus dégradante ⊹ quelque chose en elle jouit du malheur des autres ⊹ elle est persuadée que la religion ne peut avoir d'autre fondement qu'une pleine et entière dévotion au culte ⊹ on l'a toujours exhortée au don de soi mais elle sait qu'elle en est incapable.

10 AOÛT 2014

— Voici, mon enfant, que le Christ est présent de manière invisible pour recevoir ta confession : n’aie pas honte, ne crains pas, et ne cache rien ; mais, sans réticence, dis-moi tout ce que tu as fait, pour en recevoir le pardon de notre Seigneur Jésus Christ. Voici devant nous son icône ; moi, je ne suis qu’un témoin, pour rendre témoignage devant Lui de tout ce que tu m’auras dit. Si tu me caches quelque chose, tu porteras double péché. Veille donc, puisque tu es venue te faire guérir, à ne pas repartir sans-
— Seigneur, j’en appelle à votre indulgence et votre bonté devant les péchés volontaires et involontaires que j’ai commis contre Vous, car c’est Vous que j’offense en offensant les autres et en m’offensant moi-même ; c’est pourquoi je m’offre aujourd’hui à la grâce que Vous ne faites par la sainte Confession. Aujourd’hui donc, parce que, ah, oui, il faut que je précise que hier soir, ma mère a eu une crise de foie, une violente crise… oui, une crise de foie… Ce n’est pas si alarmant en soi, oui, mais voilà : la veille de chaque orage, ma mère a une crise de foie. Mais il n’y pas eu d’orage aujourd’hui, et maintenant j’ai un pressentiment étrange, comme si quelque chose de grave allait arriver demain, ce qui m’empêchera de faire ma confession le 28, comme à chaque fois. Et c’est encore là que j’implore votre protection, si Vous daignez baisser les yeux sur votre servante pécheresse, et que malgré toutes mes fautes, Vous m’accordez encore l’honneur de votre divine présence à mes côtés… Dernièrement surtout, je souffre d’une apparition qui n’est pas nouvelle, et c’est arrivé encore lundi soir dernier : j’ai vu le Diable. Ce n'est pas la première fois, bien sûr, voilà. Mais j'ai vu le Diable. Voilà. Et je sais bien que si votre sagesse impénétrable l’a donné à ma vue, c’est que cela d’une manière ou d’une autre était nécessaire pour m’apprendre à mieux encore glorifier votre sainte volonté. Mais ce n’est pas d’avoir vu le Diable que je me repends puisque je peux dire que je crois au Diable et de toute manière je l'ai déjà dit. Le Diable m’apparaît alors que je suis dans ma chambre, en silence, et que je touche la Sainte Bible, donc quand je suis le plus près de Vous, Seigneur… Je vois le Diable, je le regarde. Je suis frappée par sa beauté, pourtant il n’a pas de visage. Ou plutôt, son visage change sans cesse et tellement rapidement, que ce qui en résulte est un vide fabuleux. À cet instant je sais déjà très bien que je pèche contre Vous… remarquez bien que je pèche mais que rien ne m’empêche de regarder le Diable, dans une immobilité complète ! Et je ne le chasse pas, au contraire, je l’accueille ; je l’accueille, oui. Je le sais car en le regardant je sens en moi un ravissement. Une sorte de- une espèce de jubilation, de méchanceté hilare… et alors… et je suis restée immobile à le regarder si longtemps que je me suis endormie là, pendant que le Diable me regardait, oui… et quand je me suis réveillée, je ne l'ai plus vu, ce qui veut dire qu'il est parti, ce que j'espère, ou qu'il est entré en moi, ce que je crois, car quelque chose en moi a changé. Quelque chose est entré en moi, dans mon âme ou dans ma bouche pendant que je dormais ; c’est pourquoi je dirais à mon tour que je crois au Diable, oui, je ne parle pas là du Diable allégorique, je parle là du Diable personnel. Je crois au Diable personnel. Mais mon péché n’est pas là ! il n’est pas là ! Alors ! depuis lundi soir je ne sens plus en moi l’œuvre de votre paix et votre justice et pourtant l’hostie consacrée m’accompagne tous les jours ! Chaque jour !… Hier soir ma mère prononce la bénédiction du repas, et elle se met à pleurer à cet instant très saint… oui, car je n’ai pas précisé que les crises de foie la rendent assez émotive… mais moi je ne pleure pas, et pourtant normalement je parviens à pleurer, mais au contraire une colère sourde s'élève en moi face à son petit visage convulsé, et dans ma tête je m’entends cracher : arrête de pleurer, pauvre folle, c’est ridicule, c’est indécent… est-ce que tu as seulement vu le Diable avant de pleurer ? Sans doute que non ! non, bien sûr ! Et tu pleures ! Et tu es malade ! Et alors, dans ma tête, encore, je me répète, « tu honoreras ton père et ta mère... tu honoreras ton père et ta mère... tu honoreras... etc... » mais moi, quand je regarde ses doigts ulcérés et sa peau qui se durcit, j’ai plutôt envie de crever que de subir l’onction des malades… et voir son corps huileux faire des taches sur les draps !… Et encore, ce matin je ne pouvais même pas toucher la Sainte Bible, comme si le Diable me refusait aux Écritures... Et tout cela va empirer encore car je n'oublie pas que nous sommes dimanche soir et que demain nous serons lundi, et je sais bien que le Diable réapparaîtra demain soir, voilà ! il sera là, immobile et calme... et que, dans la souffrance que pourtant Vous avez vaincue en votre Résurrection, je Vous blesserai encore cent fois par mon péché que Vous portez dans votre corps et sur la croix. Aussi, gardez-moi de la révolte et de l’excitation, Vous qui êtes la voie, la vérité et la vie, et si je dois continuer à souffrir, que ma souffrance soit toute pure comme celle de vos saints martyrs et qu’elle soit tout orientée vers la grâce de Vous célébrer.


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Dushka est née d’un prêtre orthodoxe et d’une peintre d’icônes sclérodermique de prédisposition mystique. Dans la commune bulgare où elle a grandi, se pressent deux églises dans lesquelles elle a passé la majorité de son enfance dévote et silencieuse. Son don, passé pour miracle auprès de ses parents, l’a promise à une vie monastique et a rendu plus venimeux encore ses rapports à la confession des péchés. Elle demeure longtemps inconnue des recruteurs, jusqu’à ce qu’on l’emmène au matin du 11 août 2014, après une nuit difficile et une liturgie cauchemardesque. Sa dernière confession formelle a été l’unique confession de sa vie qui n’a pas été assistée par son père.