Le coeur d'Aline battait bien plus rapidement que d'habitude. Tandis qu'elle marchait au côté de Moïra en direction du bâtiment abandonné, un mélange de peur et d'excitation s'était emparé de la jeune fille. La soirée qu'elle s'apprêtait à passer sortait totalement de sa routine habituelle et tandis qu'elle avançait dans la pénombre de la nuit, la blondinette ne savait pas encore s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise chose.

Plus tôt dans la journée, un mot quelque peu surprenant avait circulé en classe. Il était assez bref et proposait aux élèves de faire une petite excursion nocturne dans l'un des lieux les plus effrayants de l'école. L'idée étant d'y faire une séance de spiritisme histoire de vérifier si l'endroit abritait bel et bien des esprits bloqués ici-bas. Le message comportait également l'heure du rendez-vous et son emplacement mais demandait aux participants de ramener une planche Ouija. Sur le moment, Aline pensa à une blague et se contenta de relayer le papier à la personne suivante. De toute manière jouer à se faire peur ne figurait pas spécialement parmi ses activités favorites.

Ce ne fut que lorsqu'elle apprit que sa meilleure amie comptait y jeter un oeil que l'Anglaise avait reconsidéré l'idée. Après tout elle pourrait peut-être s'amuser... Puis voir ses camarades hors des cours où elle multipliait les maladresses lui permettrait de remonter dans l'estime de certains. Par chance ce jour-là elle n'en avait commise aucune, mais rien que la semaine dernière elle était parvenue à presque assommer un garçon d'un lancer de feutre aussi malencontreux que vif et efficace.

« T'es sûre que c'est une bonne idée hein ? Tu sais d'abord d'où vient le mot toi ? »

Tout en posant ses questions, l'adolescente faisait glisser sa gemme rose entre ses doigts. Si elle n'arrivait pas à se calmer, son quartz le ferait pour elle. De plus la présence de Moïra l'aidait aussi grandement. Elle lui avait proposé d'y aller ensemble, évitant ainsi tout risque de changement d'avis.

Une chouette hulula non loin des deux jeunes filles ce qui fit sursauter la blondinette. Étant tout proche de la forêt maudite - un endroit où Aline avait déjà eu deux accidents plutôt traumatisants - les lumières se faisaient de plus en plus rare. En fait, même si la pleine lune les baignait avec miséricorde d'une douce clarté, on n'y voyait pas grand chose au bout de cinq mètres. Inutile de préciser que cela rendait la maladroite aussi dangereuse qu'un ninja surentraîné prêt à mettre KO n'importe qui osant s'approcher trop d'elle.

Avaient-elles seulement le droit de circuler ainsi de nuit ? Si Rex le robot ou encore Monsieur Collins les trouvaient, qu'est-ce qu'ils diraient ? L'Anglaise ne cherchait en général pas à défier l'autorité, du moins de manière intentionnelle. D'abord parce qu'elle n'était pas très courageuse, ensuite car elle appréciait sa petite vie tranquille loin de toutes perturbations. Même si son nom pouvait être connu auprès des professeurs, il restait généralement associé aux mille et une bêtises qu'elle a pu faire durant son séjour à l'Académie, et non pas à son esprit rebelle.

Cependant... Aline avait décidé depuis un moment de sortir de sa coquille. Elle qui s'était forcée à vivre recluse durant tout le collège, elle voulait à présent profiter de ce qu'elle aurait pu rater. Si cela devait passer par commettre une ou deux entorses au règlement alors soit ! Son désir de vivre pleinement demeurait beaucoup plus fort que ses peurs.

En à peine un quart d'heure, le groupe passa de deux à cinq. Il y eut d'abord Diane, puis Liu et enfin Abel. La situation était pour le peu incongrue puisqu'Aline n'avait pas l'habitude de les côtoyer en dehors des cours. En outre, elle en savait très peu sur eux mais ne rechignait pas non plus à l'idée d'en apprendre d'avantage.

« Peut-être que c'est quelqu'un qui a voulu nous faire une blague ? lança-t-elle en sentant son coeur redoubler de vitesse. Histoire de voir s'il y avait des gens assez courageux pour le faire, puis sauter sur eux quand ils s'y attendent le moins... »

Elle déglutit en regardant le bâtiment plongé dans la pénombre, la panique venait de parler. Il s'agissait de l'endroit parfait pour jouer un mauvais tour à ses camarades. Il fallait simplement rester tapi dans l'obscurité tout en attendant le moment propice afin de surprendre les autres. Pire encore, si l'alice du farceur s'y prêtait, la blague risquait d'être d'autant plus terrifiante. N'importe qui pourrait très bien s'être déjà caché à l'intérieur, jubilant rien qu'à l'idée d'effrayer ce groupe d'inconscients venus déranger les esprits...

« J'ai quand même apporté des bougies pour ne pas rester dans le noir, continua-t-elle en s'efforçant de garder son calme. Et... quelques pierres. »

À peine sa phrase terminée qu'un coup de tonnerre tonitruant éclata la faisant sursauter. Quitte à jouer avec les fantômes, autant mettre toutes les chances de leur côté. Avant de sortir, la blondinette avait rangé dans son sac à bandoulière deux gros galets d'améthystes ainsi que deux blocs de Flutorites. Tandis que les violettes leur assureraient protection et concentration, les vertes favoriseraient la communication avec le monde spirituel. Elle n'avait encore jamais chargé de pierres dans le but de contacter l'au-delà, mais savait que par le passé cela se faisait très fréquemment. D'ailleurs si des témoignages existaient alors que les pierres n'avaient subi aucune amplification, qu'est ça donnerait une fois le don d'Aline entré dans l'équation ? Pour l'instant la concernée ne préférait pas y penser.

Doucement, la jeune fille lança un regard vers Moïra et Abel l'air de leur demander d'entrer. Il était hors de question que ce soit elle qui pénètre en première dans ce bâtiment aussi insalubre que sinistre et ces deux-là ne semblaient pas être si dérangés que ça.

« Qui entre ? dit-elle d'une toute petite voix »

Tout s’enchaîna assez rapidement. Moïra et Abel furent les premières à entrer, suivi ensuite par le petit groupe. Au final Aline fut l’une des dernières à pénétrer dans le bâtiment, invitée par un Liu aussi peu rassuré qu’elle. À son grand étonnement, Abel était déjà assise par terre à manipuler la planche comme s’il s’agissait d’un vulgaire jeu de société... N’avait-elle donc jamais vu tous ses reportages sur les manifestations paranormales ?!

Avant que sa camarade ne se décide à invoquer toute seule des démons venus tout droit des enfers, la blondinette courut se mettre près d’elle afin d'y déposer ses bougies. Elles sentaient bon le citron et il y en avait suffisamment pour dessiner un cercle dans lequel tout le monde pourrait rentrer, ainsi qu’en disposer près de la table. Après les avoir allumées, la jeune fille positionna ses grosses pierres en un carré englobant le cercle puis les chargea longuement.

Pendant qu’elle s’adonnait à sa tâche avec une mine solennelle, elle ne put s’empêcher d’entendre toute une multitude de bruits bizarres... Des cris venant de plus haut - sûrement le vent s’engouffrant dans les trous de la bâtisse ? -, des grattements au niveau des endroits sombres - peut-être des rats ? -, et enfin ce claquement de porte qui raisonna contre les murs de toute la pièce... Avec la forte peur que ressentait l’Anglaise, ses minéraux promettaient d’émettre de puissantes ondes, ce qui en soit n’était pas spécialement bon !

Une fois son travail terminé, elle prit place dans l’espèce d’autel qu’elle venait de former et regarda la planche en bois. Son cœur battait la chamade mais intérieurement, elle espérait que quelque chose se passe rien que pour s’assurer que ses Fluorites fonctionnaient. Après tout, la théorie c’est bien, mais la pratique, c’est mieux !

« Les vertes vont nous faciliter à établir le lien avec le monde spirituel, et les violettes nous protégeront et nous aideront à rester... concentrés, dit-elle en espérant ne pas paraître bizarre. »

Bien entendu, Aline s’était assise juste à côté d’une des améthystes.

Aline avait lancé un sourire à Abel quand celle-ci s'en alla puis s'était focalisée sur la planche. Lorsque tout le monde en fit de même, elle avait timidement posé son index sur le triangle supposé indiquer les réponses de l'esprit invoqué. Sa main ne tremblait plus comme avant grâce aux effets de l'améthyste qui calmait sa peur. En fait la quantité d'ondes dans la zone où les adolescents se trouvaient semblaient assez conséquente et la blondinette pouvait distinctement énumérer les effets que les pierres exerçaient sur elle.

Cependant... si la violette demeurait aussi active, alors quand était-il de la verte qui devait leur ouvrir la voie du monde des morts ? Avant que la jeune fille ne puisse y réfléchir d'avantage, quelque chose d'anormal se produisit. Un mouvement vers sa droite lui fit tourner la tête et elle put apercevoir avec horreur que la roche derrière Diane lévitait. Sentant l'adrénaline monter en elle, l'Anglaise balaya la salle du regard et comprit que tous ses blocs flottaient autour d'eux !

Les vagues positives qu'emettaient ses cristaux lui conférèrent assez de courage afin de ne pas prendre ses jambes à son cou, mais malheureusement pas suffisamment pour éviter de pousser un petit cri.

« Ce... c'est pas moi qui fais ça ! »

Elle s'était sentie obligée de se justifier car après tout il s'agissait de ses possessions, or le son de sa voix fût étouffé par le raclement du chaise non loin de là. On aurait vraiment dit qu'un fantôme se promenait dans la pièce tout en cognant tous les meubles qu'il trouvait. Le coeur d'Aline commença à s'emballer toutefois elle ne lâcha pas pour autant le pointeur comme l'avait conseillé Liu. Désespérée, la blondinette consulta des yeux Moïra pour voir sa réaction. Son amie en connaissait un rayon sur le paranormal, donc elle se tenait prête à la suivre.

Aline avait remarqué que la planchette bougeait, cependant elle se sentait bien trop nerveuse pour y lire quelque chose. Tandis que Diane délirait sur une très jolie maison et que le duo Moïra et Merle tentaient de communiquer avec l'entité, le mobilier de la pièce continuait de voltiger autour d'eux. Seul Liu paraissait aussi affecté qu'elle par la peur. Ce n'est pas normal, les morts ne devraient pas être autant en colère... Est-ce qu'ils essaient de faire passer un message ? Pour l'instant la demoiselle priait qu'il s'agissait bien du grand-père de Merle et pas de fantôme d'anciens élèves tués par l'Académie qui serait en fait une grande infrastructure de...

Pour la énième fois, la blondinette secoua la tête afin de chasser les mille et une idées vicieuses qui n'attendaient que le bon moment pour percer son esprit. Sa capacité à paniquer demeurait presque aussi grande que sa maladresse mais au moins elle pouvait la contrôler. Toujours en sentant la goutte se mouvoir sur le plateau, l'Anglaise ferma les yeux et se concentra sur les pierres et la plume que venait de créer son camarade. Elle s'était d'ailleurs plusieurs fois dit qu'à eux deux, ils pourraient créer de magnifique attrape rêves puissamment chargés en vagues positives et calmantes. Le coeur battant, la jeune fille se raccrocha à cette pensée tout en entendant quelque chose lui passer juste au dessus de la tête. Elle ne pouvait pas s'enfuir sinon elle serait maudite pour l'éternité - chose qu'elle était déjà soit dit en passant...

« Je ne me sens pas très bien, lâcha-t-elle dans un souffle blanche comme un linge. »

Inspiration. Expiration.

Ses membres étaient secoués de tremblements et au milieu de ce chaos, la terreur gagnait de plus en plus de terrain. Plus jamais elle n'utiliserait de Fluorites à des fins glaques car il semblait évident que les fantômes n'aimaient pas ça. Dans le néant, elle visualisa ses roches aussi fort qu'elle le pouvait et absorbait toutes les ondes qui en sortaient. Plus d'énergie, plus d'énergie, plus d'énergie !

Pouf, pouf

Des sortes de petits cris derrière elle se firent entendre et la blondinette se retourna immédiatement en ayant la chair de poule. Elle ouvrit de grands yeux épouvantés face à ce qu'elle aperçut et ne put retenir un hurlement. Dans les airs, à la place de deux de ses galets se trouvaient des espèces de petits lutins d'une vingtaine de centimètres gesticulants et gémissants. L'un était violet et l'autre vert, et tout deux agitaient des bras comme si cela aurait pu les aider à atterrir.

« MES PIERRES SONT POSSÉDÉES ! hurla-t-elle en lâchant le petit triangle en bois et en courant vers une autre pièce. »