Tasse à café sur le plan de travail de la salle des professeurs, il se tourne un instant pour observer le regard fuyant de certains d'entre eux, avant de reprendre la préparation de la cafetière. Ce n'est pas quelque chose qu'il fait pour les autres, c'est simplement un besoin. De boire du café pour décompresser - en plus, les cafetières d'ici sont vraiment trop petites. Il finit de verser l'eau dans le compartiment adéquat, alors il referme le tout puis pose sa tasse sur le petit socle avant d'appuyer sur on.
Et en attendant de pouvoir s'abreuver du nectar sacré, il se souvient.
Des quelques moments déplaisants de son existence.

- Placide ! Placide regarde !
- Oh.

Des roses déposées au chevet, sur la petite table de nuit près du lit. Placide n’est pas bien grand, il est malade et c’est maman qui prend soin de lui une fois encore. Papa est parti au conservatoire, ses frères et sa soeur sont à l’école, alors il n’y a qu’elle pour s’occuper de l’enfant alité. Elle est douce comme le miel avec son sourire à damner le ciel, sa mère à Placide, c’est un ange -un ange déchu qu’il se plaît à penser, mais un ange quand même et ça c’est le principal. La seule chose qu’il ne comprend pas toujours, c’est quand elle se dispute avec papa et puis aussi…

Pourquoi elle est souvent fatiguée après s’être occupée de lui ? C’est étrange parce que Placide, lui, il se sent toujours pleine d’énergie et il aime vraiment beaucoup quand elle s’occupe de lui. Là, par exemple, elle dépose les fleurs dans un vase transparent avec un peu d’eau puis elle le borde tendrement avant de poser une main sur son front, pour prendre sa température.

- Ça va ?
- Oui !

L’énergie dans la voix témoigne du regain de force. On fait pas attention à quel point c’est soudain, parce que maman a un vertige alors elle se recule rapidement pour se laisser tomber contre le siège tout près du lit.

- Maman ? Maman ça va pas ?
- Si, tout va bien mon ange.

Elle ment effrontément, lui sait bien que c’est pour le préserver mais ça ne l’empêche pas d’être inquiet, même du haut de ses trois ans et demi. Bientôt quatre, dans cinq mois.

- T’es encore malade c’est ça ?
- C’est rien mon sucre, il adorait vraiment ce surnom. T’en fais pas. Maman va juste aller se reposer un peu, d’accord ? Tout va bien.
- Ok…

Tout va bien.
Tout va bien c’est ce qu’elle lui a dit avant d’embrasser son front et de faire un malaise dans les escaliers. Finalement non, tout ne va pas bien.




Un sursaut. Encore. Les ténèbres se dévoilent brusquement, la sueur au corps encore tremblant, un peu paniqué, désormais bien éveillé. Les minutes s’écoulent, horriblement bruyantes au souvenir de ce cauchemar qui vient de le quitter. Des souvenirs qui remontent, dégueulasses, effrayants. Il aurait bien voulu les effacer, Placide, les oublier, les brûler ou peu importe au fond, pour peu qu’il puisse ne plus y songer. Seulement ça ne fonctionne pas, ça revient à chaque fois que qu’il ferme les yeux pour s’ancrer encore plus profondément. Ça lui saute au visage comme un fou viendrait l’égorger, et c’est un peu l’idée, au fond. Ce n’est pas la première fois qu’il a si mal au rêve, Placide, mais papa et maman disent que ce n’est rien alors il les croit, un peu tremblant mais il y croit. Au fait que ça ne soit rien. Au fait que tout aille bien.
Pourtant les images continuent encore un moment de se superposer à la réalité, sur le sol de sa chambre il y a du sang.
Du sang. Partout.
Il ne respire plus.
La peur au ventre.

Placide quitte sa chambre pour rejoindre le salon. Il est tard mais il sait que papa et maman sont encore réveillés, du moins il l’espère parce qu’il n’a pas vraiment le courage de rester seul maintenant. Il besoin de quelqu’un, besoin d’aide, besoin d’espoir, d’amour, de tout. Il a seulement besoin qu’ils soient présents pour le rassurer.
Mais tu sais, Placide, faudrait arrêter de tout vouloir. Parce que c’est pas comme ça que ça marche. Ça n’a jamais marché comme ça.

Des cris à travers la porte.
- Tu m’as menti ! Pendant tout ce temps tu m’as menti !??
Des cris comme tous les soirs.
Qui s’étaient calmés quand maman était à l’hôpital.
Qui sont revenus en fanfare, bien plus forts qu’avant maintenant qu’elle est rentrée.
Des cris sur lui.
- Mon fils a cette chose en lui… !?
Contre lui.
Des cris de maman qui n’en peut plus. Placide arrête, ne t’approche pas tu vois pas qu’elle suffoque ?

Doucement il pousse la porte, hésitant, pour les rejoindre.
Peut-être qu'il n'aurait pas dû, les cris de maman lui font vraiment peur ce soir.

- M-maman... ?
- Ce monstre ne peut pas être mon enfant !

Désillusion.

La grimace étire le visage quand la brutalité du doigt sur le bouton d'arrêt vient chasser les démons. Il aurait préféré se rappeler des instants les plus sympathiques, bien qu'ils n'étaient pas si nombreux. Dans un silence de mort il récupère sa tasse puis s'adosse nonchalamment contre le meuble, son regard perdu au loin à travers la fenêtre. Il ne remarque pas le bleu du ciel, seulement les nuages masquer son horizon.

- Toi et cet immondice pouvez aller crever en enfer.

Il avait mit du temps à comprendre le changement soudain de sa mère, il avait fallu pour ça que son père, acculé après quelques semaines d'efforts vains à réparer les choses, appelle l'académie afin qu'ils viennent chercher son fils. Né en Russie, Placide a déménagé en Irlande très jeune avec ses parents, sa sœur et ses deux frères sous prétexte d'une promotion au travail de son père alors qu'en réalité ce dernier avait fait en sorte de se rapprocher le plus possible de l'établissement en prévision de ce jour qu'il n'aurait jamais pensé aussi sombre.

Les yeux se plissent lorsqu'il repense aux adieux, les hurlements de haine de sa mère malade qui ne l'avait plus approché, les regards un peu perdus du reste de sa fratrie -parce qu'il était le dernier de la famille et le seul à être si extraordinaire comme papa- et puis, la caresse sur le haut du crâne du maître de maison épuisé. Placide n'en a jamais voulu à son père. Ce n'est pas lui le responsable de tout ça. Il n'a jamais su qui l'était réellement, au fond. À présent qu'il est professeur, il se souvient comme les années ont passées vite, souvent difficiles et passées seules sans aucun contact avec l'extérieur. Il a eu un ami, le seul, le meilleur. Il a eu car il n'a plus désormais -que lui et ses démons sans espoir de rédemption. Une gorgée de café, une grimace encore. C'est bien plus amer que d'habitude ce fardeau de souvenirs à porter. Pourtant il se souvient avoir été amoureux autrefois.

L’histoire d’un gamin solitaire et pas vraiment aimable au pouvoir extraordinaire. Il y a l’école en fond, les jaloux à gauche, les envieux à droite. Les années passent et il rencontre d’autres personnes, bien que renfermé il y en a deux qui s’approchent. L’un par pur bonté, l’autre empreint de vanité. Neil et Melchior ne pourront jamais s’entendre mais avec chacun d’eux il noue des liens particuliers, Neil est la lumière là ou Melchior est les ténèbres. C’est ballotté entre deux eaux pendant des années, le coeur défoncé, réparé avec quelques pansements de fortune, qu’il finit par rencontrer Jodie. Jodie est rayonnante, il l’aime vraiment beaucoup mais ce n’est pas lui qu’elle a choisit. Pourtant, lui il ne l’a jamais oubliée -malgré les conquêtes, malgré la jolie Sarah qu'il a piétiné avec cette salope de Madeline. Alors quand elle est morte, bien longtemps après, il en a été dévasté -mais ça c’est simplement parce qu’il était déjà en pièces à cette époque là. Et en y repensant, ses doigts se serrent très fort sur la tasse à café.

En échos de ses pensées, les cris de leurs poursuivants.
Et dans cette volonté féroce de refouler la pire période de sa vie, le son de la tasse qui s'éclate contre le mur de la salle des profs. Tous les regards sont tournés vers lui mais Placide s'en va parce qu'il sent ses mains trembler, il s'en va pour éviter les questions, ne pas s'énerver aux paroles indignées pour simplement tenter de préserver le peu de lui qu'il reste. Instinctivement, ses doigts viennent chercher le caducée près du coeur tandis qu'il quitte le bâtiment pour s'enfoncer dans les allées de la serre.

- Je ve-eux simplement... Que tu. Que tu... Apportes mon corps.. À mon père.
- Neil je te tuerai pas.

En mémoire le sourire de Neil si apaisé que dans toute sa douleur il se souvient avoir été abasourdi.

- Tu le... Feras. Il le f-faut.

Il l'a fait.
Et depuis il a arrêté de se sentir coupable de tout et de rien. Parce qu'il a promit sa vie il n'a plus peur de se sauver mais parce qu'il n'est pas un homme bien il continue de faire le mal autour de lui.


Bon c'est grave décousu, mais euh.
C'est sa vie voilà.

(j'ai pas tout mentionné dans l'histoire pck je sais pas les écrire TT)

Le détail en spoiler !: