« T’as des jeux sur ton téléphone ?
— Lâche ma veste, non ?
— Moi j’avais Snake sur le mien, ça existe encore ?
— Mais j’en sais rien, arrête de me saouler !
— C’était un peu nul en vrai mais on avait que ça à l’époque, maintenant vous avez des trucs trop bien, fais-voir ? »

Ginger ne se serait pas privée de hurler de frustration si elle ne se trouvait pas actuellement dans un couloir plein de monde ; non pas qu’elle ait peur d’avoir l’air bête ou bizarre –au point où elle en était, le ridicule ne pouvait plus la tuer– mais elle ne tenait pas à se faire remonter les bretelles par un professeur ou un de ces pisseux opportunistes qui affichaient fièrement leurs nouveaux privilèges épinglés au col de leurs vestes sous la forme d’une étoile filante doré.
L’adolescente n’était pas de ceux qui haïssaient la section NOVA, pour la simple raison qu’elle n’avait pas bien peur d’eux –à part ses petits trafics d’anti-sèches discrets qu’elle mettait en place quand elle n’avait plus assez d’argent pour ses cigarettes, elle n’avait pas grand-chose à se reprocher. Mais l’ambiance à l’Académie ces derniers temps avait quelque chose d’un peu pourri, sur fond de délation et d’autorité encore plus mal foutue, et ça n’était pas vraiment propice à ce qu’elle se détende un peu les nerfs quand on y ajoutait ses tourments habituels.
Si au moins on l’avait invitée à faire partie de la nouvelle section, Ginger aurait pu se défouler un peu sur les moins privilégiés –se venger sur quelque chose de tangible avait ses attraits quand elle y songeait– mais puisqu’elle faisait partie du camp des losers, elle avait décrété que tous ceux qui arboraient l’étoile filante n’étaient que des petits cons avec des problèmes d’égos, et ça l’aidait à mieux dormir.

Tout ça pour dire que si le pré-ado spectral qui lui collait aux basques depuis tout à l’heure ne la laissait pas vite tranquille, Ginger risquait de friser la crise de nerfs, et il lui fallait vite trouver un endroit paisible où se reprendre de peur de risquer aussi l’humiliation de la remontrance.
Alors qu’elle accélérait le pas pour essayer de semer sa malédiction du jour, l’eldorado lui vint comme une apparition sous la forme du placard du concierge.
Elle fit l’erreur d’être soulagée trop vite et se tourna vers le jeune fantôme avec un rictus irrité.

« Bon écoute Machin, elle souffla d’un ton menaçant, tu m’emmerdes depuis tout à l’heure, oui j’ai des jeux sur mon portable mais tu peux PAS y jouer parce que t’es MORT, alors va faire chier quelqu’un d’autre genre mon frère et ne m’impose plus ta sale gueule, MERCI. »

Et sur ces mots terrible, Ginger ouvrit la porte du placard et s'engouffra dedans sans regarder à l’intérieur au préalable.
Un cri qui ne sortait pas de sa bouche la fit sursauter et crier à son tour et ce ne fut qu’au bout d’une longue seconde qu’elle identifia devant elle une autre élève qu’elle ne connaissait pas –ou seulement de vue.
Avec pas trois mais quatre étoiles épinglées, s’il vous plaît.

« … Oui ?
— Qu’est-ce que tu fous là, putain ? fit-elle sans se départir de son ton sérieusement agacé, pas gênée le moins du monde de s'adresser ainsi à une élève plus jeune qu'elle et mieux située dans la hiérarchie scolaire. »

Après tout, on n’avait pas idée de se cacher dans son placard avant elle, franchement !

« T’as pas des punitions à donner, au lieu d’être là comme une conn–  »

*Clic-Clac*
Le son caractéristique d’une porte qu’on fermait dans son dos, suivit du cliquetis d’une serrure l’interrompit dans ses acidités.

« Ah.  »

Elle avait entendu un ricanement volatile derrière la porte et avait crispé la mâchoire à s’en faire éclater une dent. D’ordinaire, les spectres que Ginger rencontraient n’avaient pas la possibilité d’influencer le monde tangible, mais il arrivait de temps à autres qu’elle en croise des suffisamment puissant pour créer des courants d’air, agiter les rideaux de sa chambre ou faire trembler ses stylos dans le pot à crayons –elle ne savait pas avec certitude si le macchabée de pré-ado de tout à l’heure était le responsable de cette nouvelle infortune, mais l’hypothèse seule suffisait à lui donner des envies de s’adonner à des rites de résurrection rien que pour le plaisir de le tuer elle-même à nouveau.

Il fallait qu’elle se calme ; a priori, le fantôme était enfin parti, et si elle explosait de trop devant une NOVA, elle risquerait certainement son unique étoile et elle tenait un peu trop au confort de sa chambre, même minimal.
Plutôt crever que de supporter la visite de ses parents en pleine nuit pour lui reprocher ses actions et une chambre toute pourrie.
Elle haussa un sourcil aux menaces de la jeune fille –en était-ce vraiment ? il y avait si peu d’expression d’aucune sorte dans sa voix qu’elle avait l’impression de faire face à un robot– et un sourire narquois s’étira au coin de ses lèvres.

« Tu crois que ça va marcher toute ta vie de coller des avertissements dès qu’on te bouscule un peu ? »

Elle ricana, railleuse ; voire tous ces étudiants se sentir puissants à cause du nombre d’étoiles qui ornaient leurs col la faisait toujours doucement rigoler car elle se plaisait à les imaginer quelques années plus tard, une fois l’enceinte de l’école quittée, se confronter au monde extérieur dont les règles n’étaient pas aussi évidentes qu’à l’Académie et chuter bien vite du petit trône sur lesquels ils pensaient être solidement installés.

« M’enfin, elle leva les deux mains comme si elle s’apprêtait à avouer, mais rien de sincère ne se dessina sur son visage moqueur. Merci de votre clémence votre seigneurie, je vous prie d’accepter milles excuses pour mon langage inapproprié. »

Qu’est-ce qu’on ferait pas pour éviter les planchers moisis et les sommiers qui grincent du grenier, franchement…

« Plus sérieusement tu foutais quoi ici, j’ai interrompu ta crise de nerfs ou bien ? »

Parce que si c’était le cas, honnêtement,
gros mood hein.