Les talons claquaient contre les pavés dans un rythme cassé, dans les gémissements et les plaintes de la fatigue. L'infirmière avait bu trop de verres, bien trop de verres pour son petit corps. Alors elle rentrait encore en se laissant flotter au gré de l'air. D'une démarche bancale, prête à chavirer au moindre petit obstacle. Comme chaque vendredi, l'infirmière avait la tête perdue dans des brumes âcres de vin et de whisky. C'était devenue une mauvaise habitude, cet amour de l'ivresse, cette passion pour le frétillement au bout de ses doigts et cette vision si trouble. Son corps semblait ailleurs, Guenièvre semblait ailleurs et tout semblait plus beau. Le ciel, les étoiles, les pavés qu'elle voyait chaque jour.. Tout brillait de l'éclat de la boisson et la jeune femme brûlait d’allégresse.
Pour autant, le trajet était ardu avec dix centimètres à chaque pied. Elle oscillait encore et encore, parcourant chaque mètre trop vite, trop lentement, à reculons.. Jusqu'à la chute. Il avait suffi d'un pavé trop profond pour que les pieds ne s'emmêlent, pour que le corps ne s'abatte, poupée de chiffon sur la pierre. Et dans un râle, l'infirmière avait maudit les choix faits durant la soirée. Aurait-elle du se trouver un chevalier servant pour la guider jusqu'à chez elle ? Ses clefs pendaient pourtant à sa main, n'était-elle donc même pas en état de retrouver le chemin de la maison ?
Un soupir, un regard vers le ciel. La main se tendit, caressa la lune du bout des doigts, fascinée, avant que son regard ne se pose sur un objet plus utile, un objet plein de promesses.
Guenièvre avait retiré ses chaussures, là, au milieu du parc et comme une enfant, elle avait soulevé les pans de sa robe et plongé ses deux pieds fatigués dans l'eau. Et comme une enfant, elle avait ri, elle avait regardé le ciel et elle avait savouré l'instant, rien qu'un petit instant. La tête qui lui tournait un peu, la bouche qui picotait, les doigts brûlant et le corps qui battait si vite dans sa poitrine. Tout était salvateur, tout était précieux. Mais un pas avait rompu le silence et Guenièvre croisa le regard qu'elle n'avait plus vu depuis trop longtemps. Battements de cils, surprise sur le visage poupon, elle n'en croyait pas ses yeux. Il fallait évidemment qu'elle tombe sur Klaus, là, maintenant, les pieds dans la fontaine comme une enfant à la place d'être l'adulte qu'elle se devait d'être.
Vieil ami, que diras-tu à cette apparition ridicule qui chavirait dans l'eau, les pans pâles de tissu serrés entre les petits poings ?
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Sujet: Re: Le poids des souvenirs - Klaus//Guenièvre Mer 1 Avr - 16:17
le poids des souvenirs.
feat Guenièvre
Minuit a-t-il sonné ? Son carrosse va-t-il se transformer en citrouille ? Et sa belle robe disparaître ? Non, bien sûr que non. Mais si Klaus se presse, c'est bel et bien pour retrouver son foyer, sa chambre. Il n'a pas à être dehors, il le sait bien, l'heure est bien trop tardive pour ça. Mais voilà, les interdits sont faits pour être bravés, encore plus quand il s'agit de l'écossais. Alors il se risque toujours plus à tomber tout en bas de l'échelle académicienne. Et pourquoi ? Pour un brin d'adrénaline, un brin d'excitation, et quelques fous rires entre copains. Rien d'unique ou d'exceptionnel, mais simplement un semblant de liberté, le temps de quelques instants.
Jusqu'à ce que le mirage se brise. Qu'il soit nécessaire de redevenir raisonnable. Pour s'enfermer à double tour derrière une porte sinistre. Jusqu'à ce que le soleil se lève de nouveau et qu'un quotidien étroitement surveillé reprenne son cours.
Klaus tente d'être prudent. Discret dans la pénombre. Attentif au moindre bruit. Et il sursaute brusquement. Au point de s'arrêter au milieu du parc. Ses yeux un brin paniqués regardent autour de lui. D'où est venue cette voix, cette exclamation qui a perturbé le calme de cette nuit ? Et il hésite, continuer sa route ou attiser sa curiosité. L'intonation féminine qu'il a entendu fait resurgir en lui un brin d'héroïsme. La demoiselle se porte-t-elle bien ? Ne court-elle aucun risque ? Il se surprend lui-même et roule des yeux en se traitant d'idiot pour s'imaginer une seule seconde être le chevalier servant courant au secours d'une princesse en détresse. Ca ne lui ressemble pas, pas vraiment en tout cas.
Et pourtant, il s'approche. Autant avide de savoir ce qu'il se passe à quelques mètres de lui que de s'assurer que personne ne court de danger. Et quel spectacle. Quel improbable spectacle.
La fontaine. Des éclats de rire. Des escarpins retirés. Et Guenièvre. Là, comme une enfant et qui joue sous le clair de lune. Stupéfaction. Et Klaus se sent con. Terriblement con. A la regarder là sans rien dire. A pas savoir quoi faire ou quoi dire. Il la dévisage simplement du regard. Jusqu'à ce qu'elle le remarque enfin. Et qu'il réalise qu'il n'est désormais plus possible de s'enfuir.
Et maintenant ? Hein ? Faire semblant ? S'excuser ? Se moquer ? Un monde les sépare à présent. Alors qu'autrefois... Autrefois c'était plus simple. Jusqu'à ce qu'ils grandissent et que Guenièvre devienne une bien meilleure personne que lui. Et qu'elle soit désormais dans le camp ennemi, de ceux qui soutiennent cette institution cruelle.
« Qu'est-ce que tu fous ?! »
C'est sorti tout seul, comme un vieux réflexe du passé. Et il ne s'est même pas rendu compte que tout en parlant, ses mains ont mécaniquement signé une partie des mots. Et il regrette presque instantanément. Guenièvre n'est plus son amie, Guenièvre n'est plus qu'un souvenir. Et lui, il n'est qu'un abruti d'élève qui n'a pas respecté le couvre-feu...
Que de surprises lorsque la silhouette de Klaus se détache des ombres ! Guenièvre ne peut que se figer, que perdre ses moyens alors qu'il signe des mots qu'elle a bien entendu, prévoyant, encore, malgré toutes ces années, malgré l'agressivité de sa voix changée par le temps. Guenièvre recule, Guenièvre ne sait pas quoi faire alors qu'elle cherche quoi signer, quoi dire à ce vieille ami. Et elle trébuche encore, ridicule enfant dans l'eau, son sérieux d'adulte bien loin maintenant qu'elle était trempée et perdue. Alors bien sûr, elle prend son visage entre ses mains, morte de honte, assise dans la fontaine. Et il lui fallu bien quelques secondes avant qu'elle n'ose relever la tête, croiser le regard qui avait été familier par le passé et signer enfin des mots.
"Comment expliquer ça ? De toute façon on peut dire que ma dignité est partie à la poubelle là.. On se croise pas depuis mon retour et toi tu me vois.. Comme ça. C'est glorieux."
Les gestes sont endoloris, les signes peu clairs alors que l'ivresse la saisit. Elle a la cou tordu pour pouvoir observer Klaus, elle qui est ridiculement assise dans la fontaine. Et tout son être tremble de cette retrouvaille. Elle tremble parce qu'elle ne sait pas quoi penser, elle ne sait pas ce que Klaus pense, elle ne sait rien, si ce n'est qu'il devait détester ce qu'elle était devenue, lui qui était libre dans toutes ses pensées.
Il a changé en un an Klaus. Elle n'avait plus pu l'observer depuis la fin de ses études. Et Klaus avait changé. Il avait perdu ses longs cheveux, son visage encore s'était affiné et Guenièvre sentait ses yeux plus durs sur elle. Et pourtant, elle ne put que se dresser de sa petite taille, qu'osciller en sortant de la fontaine, en s'approchant comme on s'approche d'un animal sauvage. Parce que Klaus n'était plus l'ami qu'elle avait eu. Du moins, elle pensait s'en approcher doucement. Mais dans les folies de l'alcool, elle avait bondi dans ses bras. Elle avait bondi, serré ses petits bras autour de lui sans rien signer comme une idiote. Il fallait dire que Guenièvre était sotte, si sotte quand les émotions la prenaient à la gorge. Elle s'éloigna, un peu, pour signer encore.
"Ca fait longtemps... Désolée. Je.. Je dirai pas que tu as dépassé le couvre feu. Promis."
Elle ne sait pas quoi dire Guenièvre. Elle reste comme une gourde, les bras tremblants, le regard trop grand plongé dans celui de son vieil ami. Les retrouvailles sont dures, si dures et Guenièvre sent le poids des années peser sur son coeur.
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